25 avril 1792 : Rouget de Lisle chante la Marseillaise


Claude Joseph Rouget de Lisle, capitaine du génie en garnison à Strasbourg, écrit à la demande de Frédéric de Dietrich, maire de la ville, le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, le 25 avril 1792, peu après la déclaration de guerre de la France révolutionnaire au Roi de Bohême et de Hongrie.
Un exemplaire du chant dédié à l’armée du Rhin parvient à Montpellier entre les mains de François Mireur récemment inscrit sur la liste des volontaires du bataillon de l'Hérault. Mireur gagne Marseille avec son unité. A la fin d'un banquet offert aux délégués par le Club des amis de la Constitution, il interprète le chant repris par l'assistance électrisée. Deux journalistes, Alexandre Ricord et Micoulin, après avoir demandé des copies du chant écrit par Rouget de Lisle, décident de le publier.


En route pour Paris les bataillons de fédérés marseillais commandés par Barbaroux se mettent à entonner le chant volant de ville en ville. Barbaroux écrira dans ses Mémoires : « Je me souviens toujours avec attendrissement qu'au dernier couplet de l'hymne, lorsqu'on chante : Amour sacré de la patrie, etc. tous les citoyens se mirent à genoux dans la maison et dans la rue. J'étais debout sur une chaise où l'on me retint : Dieu ! quel spectacle ! des larmes coulèrent de mes yeux. Si je fus pour eux en ce moment comme la statue de la Liberté, je puis m'honorer au moins de l'avoir défendue de tout mon courage. »
L'hymne est repris à l'entrée des fédérés marseillais dans Paris en juillet 1792. Un numéro de La Chronique de Paris note que les Marseillais « le chantent avec beaucoup d'ensemble et le moment où ils agitent leurs chapeaux et leurs sabres, en criant tous à la fois Aux armes, citoyens ! fait vraiment frissonner. Ils ont fait entendre cet hymne guerrier dans tous les villages qu'ils traversaient et ces nouveaux bardes ont inspiré ainsi dans les campagnes des sentiments civiques et belliqueux ; souvent ils le chantent au Palais-Royal, quelquefois dans les spectacles entre les deux pièces. »
Le chant est enseigné sur les places publiques et se répand à toute vitesse. Il est alors appelé Hymne des Marseillais puis deviendra La Marseillaise jouée dans tout le pays comme chant de la République combattante. Ce chant devient un véritable « Te deum révolutionnaire » selon l'expression de Goethe. Ainsi, après la victoire de Valmy, le général Kellermann demande au ministre de la guerre, Servan, l'autorisation de faire exécuter un Te Deum. « La mode des Te Deum est passée, lui répond Servan, il faut y substituer quelque chose de plus utile et de plus conforme à l'esprit public. Je vous autorise donc, général, si vous croyez avoir besoin d'autorisation, à faire chanter solennellement, et avec la même pompe que vous auriez mise au Te Deum l'Hymne des Marseillais que je joins ici à cet effet. »
La Marseillaise est même mise en scène. Dans  L'Offrande à la Liberté, orchestrée pour la première fois par Gossec, elle est offerte en spectacle le 2 octobre 1792.
La Marseillaise accompagne les grandes fêtes civiques. On lui ajoute des couplets dont certains sont chantés à la tribune de la Convention par les délégués de sections. On retiendra l'ajout d'un septième couplet dit couplet des Enfants, attribué à Louis Dubois ou à l'abbé Pessonneaux. La Marseillaise l'emporte sur Le Chant du départ. En 1793 la Convention nationale décrète que La Marseillaise sera chantée dans tous les spectacles et, malgré la réaction thermidorienne qui aurait pu définitivement l'identifier à l'an II,  le 14 juillet 1795  (26 messidor an III), elle déclare La Marseillaise « Chant national » par décret adopté après une motion de Jean de Bry. Au cours de la séance la Convention fait exécuter par l'orchestre de l'Institut national de musique le chant national que les députés écoutent debout et découverts. C'est dans l'enthousiasme qu'est adoptée la demande de Jean Debry « que l'hymne à jamais célèbre des Marseillais soit consigné tout entier dans le procès-verbal d'aujourd'hui. Cet excellent patriote fut incarcéré six mois sous la tyrannie de Robespierre, tandis que le chant dont il avait composé les paroles et la musique conduisaient nos frères à la victoire. Je demande que le nom de l'auteur de L'hymne des Marseillais, de Rouget de Lisle, soit honorablement inscrit au procès-verbal d'aujourd'hui. Cet excellent patriote fut incarcéré six mois sous la tyrannie de Robespierre, tandis que le chant dont il avait composé les paroles et la musique conduisaient nos frères à la victoire. » Lors de la séance du 9 Thermidor an III, Bailleul ancien député girondin et futur Président, déclare : « L'hymne aux accents duquel nos soldats marchent est sacré ; et l'on ne doit pas le proscrire, parce que des cannibales l'ont profané en le chantant à la suite des voitures qui traînaient les victimes à l'échafaud. » 
Moins de deux ans après le coup d'État du 18 Brumaire La Marseillaise est chantée officiellement pour la dernière fois le 14 juillet. Une dernière célébration de la République a lieu le 1er Vendémiaire an IX (20 septembre 1800). Jugée trop jacobine, interdite sous l’Empire, lui substituant Veillons au salut de l'Empire,puis la Restauration, elle resurgit sur les barricades des Trois Glorieuses, inspirant  la peinture de Delacroix « La liberté guidant le peuple ». Dans l'enthousiasme des journées révolutionnaires Hector Berlioz écrit un arrangement de l'Hymne de Marseillais à Grand Orchestre et à Double Chœur dédié à M. Rouget de Lisle, Auteur de la Musique et des Paroles. La première version de l'œuvre est publiée par Schlesinger. Dans ses Mémoires Berlioz a rappelé l'émotion intense de la foule,  massée dans la galerie Vivienne à Paris, lorsque la foule reprit  La Marseillaise entonnée par un petit groupe de jeunes gens : « A la vue de cet immense concours du peuple, je m'étais rappelé que je venais d'arranger le chant de Rouget de Lisle à grand orchestre et à double chœur, et qu'au lieu de ces mots : tenors, basses, j'avais écrit à la tablature de la partition : Tout ce qui a une voix, un cœur et du sang dans les veines. » (Mémoires, XXIX) Le 20 décembre 1830 Rouget de Lisle écrit à Berlioz : « Votre tête paraît être un volcan toujours en éruption ; dans la mienne, il n'y eut jamais qu'un feu de paille qui s'éteint en fumant encore un peu. Mais enfin, de la richesse de votre volcan et des débris de mon feu de paille combinés, il peut résulter quelque chose. »
D'autres compositeurs aussi ont été ou auront été inspirés par le souffle de La Marseillaise tels Salieri, Schumann, Wagner, Liszt, Tchaïkovski et Debussy.
En 1832 les funérailles du général Lamarque, ancien soldat de la Révolution et de l'Empire, opposé à Louis-Philippe, sont l'occasion de violentes manifestations au cours desquelles les insurgés républicains entonnent La Marseillaise. Pour le sixième anniversaire des Trois Glorieuses est inauguré l'Arc de Triomphe comportant le haut-relief de Rude La Marseillaise.
La Marseillaise reparaît en 1840 dans un climat nationaliste. Peu après en Allemagne sont créés le Deutsche Rhein de Nicolaus Becker, la Wacht am Rhein de Schekenburger ainsi que le Deutschlandlied écrit par August Heinrich von Fallersleben. La Marseillaise retentit à nouveau lors de la Révolution de 1848. « Sans arrêt le tambour, les coups de fusil,  La Marseillaise. », écrit Heine. La Marseillaise est alors chantée dans l'Europe du printemps des peuples.
Sous le Second Empire La Marseillaise, à laquelle le régime préfère la romance Partant pour la Syrie composée en 1809 et attribuée à Hortense de Beauharnais, mère de Napoléon III, est interdite dans les lieux publics. C'est un chant séditieux et en 1869 le journal d'opposition La Lanterne d'Henri Rochefort reparaît sous le titre La Marseillaise.
Comme en 1792, comme en 1830 et comme en 1848, La Marseillaise revient avec la proclamation de la République et retentit sous la Commune.
« Aux armes, citoyens ! Aux fourches, paysans !
Jette-là ton psautier pour les agonisants,
Général, et faisons en hâte une trouée
La Marseillaise n'est pas encore enrouée. » (Victor Hugo, L'Année terrible)
Elle redevient « hymne national » sous la Troisième République, en 1879. Au cours d'une séance présidée par Gambetta, le 14 février, la Chambre des députés adopte l'hymne de La Marseillaise. Elle est exécutée le 14 juillet 1879 à Longchamp. En 1880 le jour anniversaire de la prise de la Bastille (14 juillet 1789) et celui de la fête de la Fédération (14 juillet 1790) deviennent fête nationale. Sarah Bernhardt prête son concours à l'exécution de l'hymne national. Une version officielle est adoptée en 1887. A l'occasion du transfert des cendres de Rouget de Lisle aux Invalides  le 14 juillet 1915, Raymond Poincaré déclare : « Dans la genèse de notre hymne national, nous trouvons à la fois un splendide témoignage du génie populaire et un exemple émouvant de l'unité française. » La Marseillaise est devenue incontournable ainsi qu'en témoigne la célébration du centenaire de la mort de Rouget de Lisle en juillet 1936 sous le gouvernement de Front populaire.  « La Marseillaise nous inspire dans notre lutte pour la paix, dans la sécurité, l'honneur et la dignité de notre peuple. », déclare alors Maurice Thorez. En 1938 c'est sous le titre de La Marseillaise que Jean Renoir met en scène la Révolution française. 
La Marseillaise résiste pendant la guerre au Maréchal, nous voilà ! et c'est à ce chant que les résistants bravent leurs bourreaux.
Ce sont les accents de La Marseillaise, qui symbolisent la liberté retrouvée à la Libération de Paris, tout au long de la journée du 25 août 1944.
La Constitution du 27 octobre 1946 reconnaît que l'hymne national est La Marseillaise, ce que consacre l’ article 2 de la Constitution de la Cinquième République, l’associant au drapeau tricolore, à la devise de la République et au principe de démocratie.
La Marseillaise, au-delà du chant guerrier des origines accompagne la réconciliation et la paix.
A Douaumont, près de Verdun, lors des célébrations du 70ème anniversaire de la bataille de Verdun, lors de l'exécution de La Marseillaise, le Président François Mitterrand et le Chancelier Helmut Kohl se tiennent la main sur le lieu même de la bataille la plus meurtrière de la Première guerre mondiale. 
Aujourd’hui La Marseillaise est bien plus que l’hymne national. « Ce cri de la France prolongé d’échos en échos » est un message chanté sur tous les continents par les combattants de la liberté.
   

DÉCRET PORTANT QUE L ES AIRS ET CHANTS CIVIQUES QUI ONT CONTRIBUÉ AU SUCCÈS DE LA RÉVOLUTION SERONT EXÉCUTÉS PAR LES CORPS DE MUSIQUE DES GARDES NATIONALES ET DES TROUPES DE LIGNE
 26 MESSIDOR AN III (14 juillet 1795)
Bulletin des lois du 26 messidor an III
La Convention nationale, voulant au retour de la première époque de la liberté française entretenir l'énergie des républicains, en proclamant solennellement des principes sacrés qui ont renversé la Bastille le 14 juillet et la royauté le 10 août, décrète ce qui suit :
Article premier. L'hymne patriotique intitulé Hymne des Marseillais, composé par le citoyen Rouget de Lisle, et le Chœur de la Liberté, paroles de Voltaire, musique de Gossec, exécutés aujourd'hui, anniversaire du 14 juillet, dans la salle des séances, seront insérés en entier au Bulletin.
Article 2. Les airs et chants civiques qui ont contribué au succès de la Révolution seront exécutés par les corps de musique des gardes nationales et des troupes de ligne.
Le Comité militaire est chargé de les faire exécuter chaque jour à la garde montante du Palais national.

REFRAIN
Aux armes, citoyens !
 Formez vos bataillons !
 Marchons, marchons !
 Qu'un sang impur...
 Abreuve nos sillons !
COUPLETS
I
Allons ! Enfants de la Patrie !
 Le jour de gloire est arrivé !
 Contre nous de la tyrannie,
 L'étendard sanglant est levé ! (Bis)
 Entendez-vous dans les campagnes
 Mugir ces féroces soldats ?
 Ils viennent jusque dans vos bras
 Égorger vos fils, vos compagnes
 
 REFRAIN
II
Que veut cette horde d'esclaves,
 De traîtres, de rois conjurés ?
 Pour qui ces ignobles entraves,
 Ces fers dès longtemps préparés ? (Bis)
 Français ! Pour nous, ah ! Quel outrage !
 Quels transports il doit exciter ;
 C'est nous qu'on ose méditer
 De rendre à l'antique esclavage !
 
 REFRAIN
III
Quoi ! Des cohortes étrangères
 Feraient la loi dans nos foyers !
 Quoi ! Des phalanges mercenaires
 Terrasseraient nos fiers guerriers ! (Bis)
 Dieu ! Nos mains seraient enchaînées !
 Nos fronts sous le joug se ploieraient !
 De vils despotes deviendraient
 Les maîtres de nos destinées !
 
 REFRAIN
IV
Tremblez, tyrans et vous, perfides,
 L'opprobre de tous les partis !
 Tremblez ! Vos projets parricides
 Vont enfin recevoir leur prix. (Bis)
 Tout est soldat pour vous combattre.
 S'ils tombent, nos jeunes héros,
 La terre en produit de nouveaux
 Contre vous tout prêts à se battre.
 
 REFRAIN
V
Français, en guerriers magnanimes
 Portons ou retenons nos coups !
 Épargnons ces tristes victimes,
 A regret, s'armant contre nous ! (Bis)
 Mais ce despote sanguinaire !
 Mais ces complices de Bouillé !
 Tous ces tigres qui, sans pitié,
 Déchirent le sein de leur mère !
 
 REFRAIN
VI
Amour sacré de la Patrie
 Conduis, soutiens nos bras vengeurs !
 Liberté ! Liberté chérie,
 Combats avec tes défenseurs ! (Bis)
 Sous nos drapeaux que la Victoire
 Accoure à tes mâles accents !
 Que tes ennemis expirants
 Voient ton triomphe et notre gloire !
 
 REFRAIN
***
COUPLET DES ENFANTS
Nous entrerons dans la carrière,
 Quand nos aînés n'y seront plus ;
 Nous y trouverons leur poussière
 Et la trace de leurs vertus. (Bis)
 Bien moins jaloux de leur survivre
 Que de partager leur cercueil
 Nous aurons le sublime orgueil
 De les venger ou de les suivre.
 
 REFRAIN
Rouget de Lisle chantant la Marseillaise Par Isidore Pils — Inconnu, Domaine public.  Partition du XIXe siècle Par Jeffdelonge—Travail personnel, CC BY-SA 3.0, Https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=5764892