L'économie européenne au Moyen Age
Texte de Ivan GOBRY, extrait in La Civilisation Médiévale.
Le Moyen Age, ici encore, peut se diviser en deux périodes presque nettement séparées. Du Ve au XIe siècle, l’économie reste dans une situation stationnaire, de nature essentiellement agricole et autarcique. A partir du XIe siècle, l’Europe sort de cette stagnation en donnant naissance aux villes, aux échanges entre monde urbain et monde rural, au commerce international, à l’activité bancaire.
L’agriculture
La
première période du Moyen Age peut être, du point de vue économique, qualifiée
de domaniale. Ce régime représente une économie de subsistance. C’est
donc aussi un régime d’économie fermée. C’est enfin une économie terrienne.
C’est
le domaine qui constitue l’unité de la terre exploitée. Ce qui fait son unité,
c’est le propriétaire, roi, seigneur ou monastère, qui organise sur l’ensemble
une communication entre la production et la consommation. Cet ensemble résulte
de la coordination de deux sortes de fonds : la réserve et les tenures.
La
réserve est le centre de l’exploitation et de commandement. C’est là que
se trouve la villa. Les terres qui dépendent immédiatement de la villa sont
cultivées au départ par des esclaves, puis, à mesure de la disparition de
l’esclavage, par des serfs attachés au domaine avec leurs familles, et de plus
en plus par des ouvriers libres, entretenus et légèrement rémunérés par le
maitre.
Les
tenures, exploitées non plus directement par le propriétaire, mais par
des tenanciers, sont confiées le plus couramment à des hommes libres,
affranchis ou colons, qui payent au propriétaire une redevance, soit, le plus
habituellement, en nature, soit aussi, de façon complémentaire, en monnaie.
L’unité de mesure de l’exploitation était la manse, qui valait 120 journaux,
superficie qu’une charrue peut labourer en un an, plus exactement en 120 jours
de travail annuel. Cette mesure étant une estimation plutôt subjective, les
manses avaient des superficies très variables, selon la fertilité du sol, et même
selon la consommation de la famille du travailleur.
De
même, le nombre de manses par tenure était fort inégal.
On
trouve cependant, dès l’époque mérovingienne, un certain nombre de paysans
libres, propriétaires de leur exploitation, d’une superficie très limitée, mais
apte cependant à suffire à tous les besoins d’une famille.
La
vaste étendue des domaines monastiques s’explique par deux causes. La première
est la générosité des donateurs.
La
seconde raison de l’extension et du rendement des domaines monastiques, c’était
la gestion des moines. Au départ, ils sont seuls à les exploiter. Emportés par
leur courage, ils acquièrent, à l’époque mérovingienne, tout ce qui était
réputé ingrat et inutile. Puis, quand leurs propriétés s’étendirent, aux
siècles suivants, ils y accueillirent les populations rurales dépossédées et
dispersées par les guerres incessantes. En quelques générations, durant les IVe
et le Ve siècles, la Gaule s’était couverte de forets sauvages, peuplées de bêtes
féroces et de brigands, vestiges des armées vaincues ou sans solde ; les
troupeaux avaient disparu, les cultures étaient abandonnées, surtout au nord de
la Loire. Les survivants étaient accablés par la peur, l’ignorance et le
découragement. Avec un étonnant mélange de sérénité et d’acharnement, les
petites communautés monastiques firent gagner partout l’exploitation
rationnelle sur l’inculture, et redonnèrent une physionomie rurale à la Gaule.
Charlemagne
apporta à l’ensemble des terres de l’Empire une exploitation systématique, et
ce fut sous les Carolingiens que se constituèrent les immenses domaines des
abbayes.
Jusqu’au
XIe siècle, l’économie agricole y fut autarcique. Cependant, malgré cette
organisation, une communication s’avéra indispensable entre les tenures qui
manquaient de certaines ressources propres à la région ; les propriétaires
cherchèrent même à acheter ou à conquérir des tenures appartenant à d’autres
climats.
Ainsi,
aux échanges internes aux domaines succédèrent les échanges inter-domaniaux,
qui constituèrent une incitation permanente à l’extension des terres
cultivables.
Durant
les premiers siècles médiévaux, où la production locale est la base de
l’alimentation, le manque de variété entraine l’habitude dans les gouts et les
cultures, et ceux-ci sont fort restreints. On se nourrit essentiellement de
pain, fait surtout de céréales pauvres : seigle, orge ou mil ; on y
ajoute des laitages et des œufs ; la viande est exceptionnelle, sauf sur
la table du seigneur, qui mange plus volontiers celle de sa chasse que celle de
se basse-cour. Les immenses forets regorgent de grand gibier : sangliers,
chevreuils, cerfs, et aussi buffles aujourd’hui disparus. Seuls, jusqu’à Louis
XI, les nobles jouissaient du privilège de la chasse, qui était souvent une
calamité pour les paysans.
La
consommation de la viande de basse-cour, puis de la boucherie se fait plus
fréquemment à partir de l’époque carolingienne. Il en va de même pour celle du
poisson de rivière ou d’étang. Au Moyen Age récent, il semble bien que tous,
tant à la ville qu’à la campagne, mangent quotidiennement de la viande. En
revanche, la consommation des légumes reste sommaire : ce sont surtout les
fèves, les choux et les poids chiches, aliments d’une saveur fade et d’une
lourde digestion, qu’on prépare pour cela à ingurgiter sous forme de soupes.
C’est seulement vers 1460 qu’arrivent d’Italie sur les tables françaises les
haricots verts, les carottes, les choux fleurs, les artichauts (à la mode
pendant la Renaissance). Apparaissent également les frais, framboises et
groseilles cultivées ; on ne les connaissait jusque-là que dans leurs
espèces sauvages.
Cependant,
la condition paysanne n’est guère touchée par ces progrès de l’alimentation,
qui profitent surtout aux citadins et aux seigneurs. C’est la céréale qui
reste, tout au long du Moyen Age, la première pourvoyeuse de nourriture, malgré
le très faible rendement de la terre. Les quelques progrès enregistrés dans ce
domaine seront l’emploi de la charrue, substituée à l’araire, et du cheval,
plus rapide, mais moins vigoureux que le bœuf.
Dès
l’Antiquité gallo-romaine, le vignoble connut, grâce à son usage sacramentel,
un traitement spécial qu’il conserva au Moyen Age. Mais comme on ignorait les
modes de conservation, qui ni la bouteille de verre ni le bouchon n’étaient en
usage, on tirait le vin au tonneau au fur et à mesure de son utilisation, et il
n’était guère buvable au-delà d’un an.
Toute
l’Europe méditerranéenne consommait le vin, avec une multitude de cépages
différents.
Presque
tous les crus obtenus au Moyen Age étaient déjà connus dans l’Antiquité
gallo-romaine.
La
cervoise, boisson fermentée à base de grain, était utilisée, elle aussi, depuis
l’Antiquité dans les régions du nord de la Gaule et de la Germanie. A la fin du
XIVe siècle, la culture du houblon permit de la transformer en bière.
Tout
ce peuple de terriens était dur à la tache. Aussi, son plus grand ennemi était
les calamités naturelles. Périodiquement, de grandes famines sévissaient, et
tuaient une partie de la population.
A
partir de la fin du XIIe siècle, et jusqu’au début du XVe, cette catastrophe
reviendra cycliquement dans l’Europe du Nord.
La
pestilence des charniers et l’affaiblissement des organismes provoquaient de
surcroit des épidémies qui massacraient à leur tour le reste de la population.
Ce fut les cas surtout aux XIVe et XVe siècles, où l’Europe subit des assauts
périodiques de la peste. Le plus effrayant fut celui qui sévit de juin 1347 à
octobre 1348. La peste noire, dit encore peste bubonique, rapportée d’Asie par
des marchands, attaqua d’abord l’Italie, puis se répandit dans toute l’Europe,
dont elle anéantit le tiers de la population. Elle attaquait avec succès des
organismes affaiblis par de terribles famines, la plus cruelle étant celle de
1315-1317.
L’industrie
(le travail urbain)
La
ville médiévale a été très longue à naitre ; les invasions barbares
avaient détruit les belles cités romaines ; les guerres entre Barbares
achevèrent d’abattre celles qui, à l’écart, avaient résisté. En Italie, Rome,
parce qu’elle était le siège de la papauté, Ravenne, longtemps restée au
pouvoir des Grecs, puis résidence de Théodoric le Grand, qui la voulait
fastueuse ; Pavie, devenue capitale des rois lombards, Venise et Genès,
nourries par le commerce, gardèrent une certaine prospérité. En Espagne, les
villes de la cote méditerranéenne, anciennes cités grecques et romaines, et
Séville, la métropole du sud, conservèrent une certaine opulence.
En
Gaule, demeuraient debout et encore imprégnées des mœurs gallo-romaines les
cités du midi : Arles, Marseille, Narbonne, Toulouse, Bordeaux. Pendant
toute la période mérovingienne, la constitution des domaines en autarcie fit
des villes des sortes d’excroissance à l’écart des terres cultivées. Elles
avaient encore deux rôles, qui étaient déjà les leurs au moment des invasions :
d’une part citadelle et ville de garnison, d’autre part siège épiscopal ;
mais, du point de vue économique, elles constituaient des parasites : les
rois et les comtes devaient rançonner les campagnes pour les fournir en
nourriture. Les souverains et les grands feudataires, d’ailleurs, n’aimaient
pas résider dans les villes ; les premiers avaient bien quelques palais,
hérités de l’administration romaine, dans les cités qui leur servaient de
capitale officielle : Soissons, Paris, Reims, Metz, Orléans ; mais
ces résidences répondaient mal à leurs gouts encore barbares.
Ce
ne fut donc pas autour de la cour des chefs politiques et militaires que se
constituèrent les villes médiévales, mais autour des abbayes. Les moines bâtisseurs,
dans leurs premiers travaux, manquaient souvent de main-d’œuvre. Aussi les
travailleurs livrés au chômage et à la misère, accouraient, certains de jouir
d’un statut privilégié chez les hommes de Dieu. Les familles formaient des
villages au-delà de l’enceinte du monastère, et les artisans, pour la plupart
libérés de leur emploi après l’époque des constructions, y constituaient un
corps de métier ; de sorte que, pendant que la communauté monastique
organisait son autarcie, les bourgs qui l’entouraient constituaient la leur.
Petit à petit, grâce à l’amélioration de la vie, l’artisanat se développait,
une véritable cité se constituait à proximité de l’enceinte monacale, et les
terres cultivées reculaient. La campagne avait formé la ville, et la ville
repoussait la campagne, tout en restant sa cliente.
Ce
processus, plus rare au sud de la Loire, se développa du VIIe au IXe siècle au
nord, là où ne subsistaient que peu de cités gallo-romaines laborieuses.
L’actuelle Belgique, comme le nord de la France et la Germanie, connut à
profusion cette naissance de l’urbanisme.
Il
faut donc éviter soigneusement d’affirmer, comme le font certains historiens,
que l’artisanat s’est formé en Europe occidentale à partir du XIe siècle.
L’artisan se distingue de l’esclave, du serf ou du colon en ce qu’il est un
ouvrier libre, qui choisit sa clientèle, est rémunéré directement par elle et
pourvoit lui-même à sa subsistance. Ce statut apparaît dès le VIe siècle dans
le milieu préurbain.
Le
fait que l’artisanat n’existait pas dans l’économie domaniale, et que cette
économie, toute rurale, dominait l’ensemble de l’Occident, n’empêchait
nullement la ville, quelque rudimentaire qu’elle fut dans le Moyen Age ancien,
d’avoir sa petite économie interne. Ce qui s’est produit à la fin de cette
période, c’est d’une part l’éclatement de l’organisation domaniale, et d’autre
part l’exode des campagnes vers les villes, qui ont apporté à celles-ci une
nouvelle main-d’œuvre, et provoqué une réglementation de l’artisanat.
Cette
réglementation fut opérée par les corporations. Elle repose sur le double
principe que, à l’intérieur de la ville, il y a autant de corporations que de
métiers distincts, et que, à l’intérieur du métier, les membres du groupe
corporatif ont le monopole de la profession. Ne nous étonnons pas alors de ce
que les artisans d’une même spécialité se regroupent dans un même quartier de
la ville, et que l’on trouve une rue des Boulangers, une rue des Boucheries,
une rue des Tanneries.
Boutiques
et ateliers ouvraient au lever du jour et fermaient à la nuit, pour économiser
certes les yeux, mais aussi la chandelle ; de sorte que les journées de
travail étaient inégales. Elles cessaient le labeur après les vêpres le samedi
pour reprendre le lundi matin. Outre le dimanche, de nombreuses fêtes étaient chômées.
Le travail de nuit était sévèrement interdit.
Les
professions qui occupaient la main-d’œuvre la plus abondante étaient celles du
textile, avec, à partir du XIIe siècle, un déplacement de la campagne vers la
ville qui bientôt acquit le monopole. Les grands centres de draperie se
constituent dès le XIIe siècle au nord et au centre de l’Italie (Pise,
Florence, Lucques, Milan, Venise, Genès), en Flandre (Douai, Gand, Ypres,
Bruges, plus tard Hondschoote), en Artois (Arras, Saint-Omer). On trouve certes
cette industrie à Paris, où l corporation des drapiers tient le premier rang,
mais pour ne satisfaire que la consommation locale, alors que les villes
drapières travaillent pour l’exportation.
L’industrie
de la soie commence timidement au XIIIe siècle en Italie. Elle s’installe dans
les villes drapières. Au XVe siècle, se développe l’industrie du coton (Italie
septentrionale), du chanvre (Bretagne, Poitou) et du lin (Hainaut, Flandre).
Les deux derniers siècles du Moyen Age, sous l’influence des ateliers de luxe,
voient se modifier le vêtement ou naitre la mode.
Très
importante aussi, au Moyen Age récent, l’industrie du cuir et des peaux prend
son essor en Italie centrale (Pise, Florence, Sienne), d’où est lancée la mode
des fourrures.
C’est
encore au XIe siècle que s’installa la métallurgie du fer, notablement en
Lorraine et en Normandie, pour les instruments aratoires, les armes et les
armures ; de l’étain pour la vaisselle. Le travail de l’or et de l’argent
était connu depuis la plus haute Antiquité ; il ne cessera d’être pratiqué
au Moyen Age d’une part pour l’art liturgique, d’autre part pour l’orfèvrerie
domestique et la bijouterie.
Les
mines de sel sont exploitées à partir du XIIe siècle en Espagne et en Lorraine,
puis en Pologne, concurrençant le sel marin recueilli le long des cotes de
l’Atlantique et de la Méditerranée. Le XIIIe siècle voit s’ouvrir les mines de
houille, dans le Languedoc vers 1240 (Alès), en Angleterre quelques années plus
tôt. A partir du XIIe siècle, Venise se spécialise dans la fabrication et le
commerce du verre.
Les
mines d’argent de l’Europe commencent à s’épuiser dans le courant du XVe
siècle. Mais la découverte de l’Amérique va apporter à l’Espagne et au Portugal
une quantité éblouissante de métal précieux, qui va transformer l’économie
européenne.
Le
commerce
Le
commerce nait vraiment à partir du moment où l’autarcie domaniale se disloque,
c’est-à-dire, cette fois encore, à partir du XIe siècle.
Les
exigences vont faire aménager un réseau routier. Et celui-ci sera d’abord
l’œuvre des moines. Pendant que l’ensemble de l’économie régresse, à l’époque
carolingienne, la richesse des monastères s’accroit démesurément. Il leur faut
des routes nouvelles, à l’écart des voies romaines. Les nouvelles voies furent
constituées pour les charrois, et exigeaient donc une assise solide ; en
outre, comme elles étaient souvent longues, il fallut établir des relais.
Le
réseau des routes se compliqua avec l’intensification des pèlerinages. Dès le
VIIIe siècle, le pèlerinage aux tombeaux des saints Apôtres Pierre et Paul
devint si populaire qu’il occasionna un véritable réseau routier, qui fit
naitre le dicton : « tous les chemins mènent à Rome ». Au Xe
siècle, se développaient ceux de Saint-Jacques de Compostelle et du
Mont-Saint-Michel. Pour recevoir cette multitude de pèlerins, les abbayes
durent non seulement augmenter et agrandir les hôtelleries, mais entretenir les
routes. Celles-ci servirent alors tout naturellement aux négociants et aux
marchands.
Elles
étaient d’ailleurs peu sures. Les voies terrestres se doublèrent bientôt des
voies fluviales et maritimes. Les grandes abbayes, dès l’époque carolingienne,
armèrent des flottilles. Le Rhin, la Moselle, la Loire, la Seine, le Rhône,
devinrent des moyens de communications entre les abbayes et leurs domaines,
qu’empruntèrent ensuite les marchands.
A
partir du XIIe siècle, le commerce laïque devint florissant. Le Rhin notamment
constitua la voie d’un abondant trafic. Les seigneurs riverains, pauvres et
jaloux, voulurent exploiter ce filon ; certains se firent pirates. En
1247, à l’initiative d’Arnold de Waldboten, se forma la ligue du Rhin, qui
regroupa soixante villes, et fut approuvée en 1255 par l’empereur Guillaume de
Hollande. Les contractants s’engageaient à armer six cents navires pour y
pratiquer la police et faire régner la liberté du commerce.
Ce
fut encore sous le patronage des abbayes que se constituèrent les premières
foires. Celle de Saint-Denis fut fondée dès le VIIIe siècle grâce à la
protection de Dagobert. Elle devint bientôt un rendez-vous d’échanges européens
qui duraient chaque année quatre semaines. Sur ce modèle, Charlemagne institua
une foire rhénane à Aix-la-Chapelle. Charles le Chauve transféra la foire d’Aix
dans la plaine de Saint-Denis, et notamment sur les territoires de La Chapelle
et d’Aubervilliers ; ce fut la foire du Lendit, du latin indicta (dies) :
« Le jour indiqué, le jour de la convocation ».
Mais
les Parisiens tinrent à avoir leur propre foire.
Le
XIIe siècle vit la constitution des plus grandes foires. Ce furent d’abord les
foires de Champagne, sous la protection des comtes, qui leur valurent un
notable enrichissement ; elles se tenaient à Troyes, Bar-sur-Aube, Provins
et Lagny. On y venait d’Allemagne, d’Italie, d’Orient ; les principales
marchandises négociées furent d’abord le drap, puis, avec le déplacement de
celui-ci vers la Flandre, les marchandises de luxe, soierie, vêtements,
parurent. Leur déclin au XVe siècle suscite les foires de Lyon, qui commencent
en 1419, et durent bientôt vingt jours.
Le
développement des ports et de la navigation fut un des éléments essentiels du
commerce international.
En
Méditerranée, Venise, parce qu’elle s’assura la suprématie des mers et finira
par effacer ses rivales, Pise et Genès. Le commerce se fait surtout avec
l’Orient, d’où les marchands rapportent des soieries, des objets d’art, des
épices, des bois précieux ; ils exportent essentiellement du drap. En mer
du Nord, Flandre (Bruges, Anvers), Angleterre (Londres, Southampton) et
Allemagne (Cologne, Breme, Hambourg) se livrent à un commerce mutuel intensif.
Les Anglais exportent la laine de leurs moutons, l’étain, le cuir, les
fourrures ; les Flamands le drap ; l’Allemagne le grain, le vin, la
toile, le cuivre.
Le
commerce, stimulé par l’augmentation de la population, le perfectionnement des
techniques, l’enrichissement et l’apparition du luxe, progresse très fortement
du XIe au XIVe siècle. Mais il connaît alors une régression. Elle est due aux
famines et aux épidémies, à la guerre de Cent Ans qui désole les campagnes
françaises, à l’anarchie politique en Italie et en Allemagne.
La
monnaie et le crédit
La
monnaie se définit chez les économistes par sa triple fonction :
instrument des échanges, qui les simplifie ; mesure de la valeur des choses ;
moyen d’accumuler et de conserver les richesses.
Les
Mérovingiens ne firent pas d’abord frapper des pièces à leur effigie ; ils
se contentèrent de garder l’institution romaine ; l’occupant parti
précipitamment, ils avaient à leur disposition des masses importantes de sous
d’or (solidi) et aussi des tiers de sou (trientes). Quand ces
masses furent plus ou moins épuisées, les rois, utilisant soit des objets d’or,
soit le métal était des mines, frappèrent des pièces soit à leur effigie, soit
à celles des empereurs romains d’Orient. La valeur élevée que représente l’or
pour les petites marchandises, fit apparaître le bimétallisme : au début
du règne de Thierry III de Neustrie (675-691) est mis en circulation le denier
d’argent, qui vaut le douzième d’un sou. La carence du pouvoir central, due à
la fois à la dispersion des métaux et à la division territoriale, amena les
comtes, puis les petits seigneurs et les abbés, à battre eux-mêmes
monnaie ; on en arrive, à la fin de la période mérovingienne, à trouver plus
de mille ateliers de frappe.
Les
premiers Carolingiens, en même temps qu’ils unifiaient le pouvoir politique,
unifièrent la monnaie, et recoururent pour cela au monométallisme. Pépin le
Bref, puis Charlemagne, décrétèrent l’usage exclusif du denier d’argent ;
son poids (2,04 g) valait 1/240e de la livre (mesure de poids et non
valeur monétaire) ; mais, devant cette difficulté des petits paiements
avec un seul type de pièce, on introduisit ensuite le demi denier ou obole,
et le quart de denier, ou piste.
Le
privilège royal instauré par Charlemagne ne dura pas un siècle ; avec
l’anarchie politique carolingienne, l’Europe occidentale retourna à l’anarchie
monétaire. Au début du XIIIe siècle, on compte en France quatre-vingts ateliers
de frappe. Certaines pièces sont réputées plus valables, mais cette dernière
oscille avec l’économie du lieu d’origine ; le denier parisis,
frappé à Paris, était relativement stable, à cause de la garantie royale ;
le denier provinois, frappé à Provins, eut une forte cote durant le
succès des foires de Champagne, mais déclina avec elles. Le denier tournois,
frappé à Tours, dut son importance a fait qu’il fut adopté comme monnaie
royale.
A
nouveau, sous les Capétiens, la puissance du pouvoir central rendit une
certaine unité à la monnaie. En 1262, un édit de Louis XI rendit utilisable la
monnaie seigneuriale dans la seule seigneurie, tandis que la monnaie royale
l’était dans toute la France. Ce fut alors en Italie, le retour de la monnaie
d’or, métal importé d’Orient par les grandes cités commerçantes en paiement de
leurs marchandises. Au milieu du XIIIe siècle, on vit frapper en Italie du sud
l’augustale, à Florence le fameux florin, à Genes le génois,
puis à Venise, en 1284, le ducat. Cet usage gagne l’Angleterre, où Henri
III fait frapper le penny d’or (1257). En France, Louis IX émet en 1266
le denier d’or en même temps que le tournois d’argent, consécration du
bimétallisme.
Le
franc fut décrété en 1360 par Jean le Bon ; c’était une monnaie d’or qui
valait une livre et figurait le souverain sous une effigie équestre.
En
plus des monnaies nationales et locales, on créa à partir du XIIe siècle une
monnaie de foire, valide seulement sur le lieu et durant les semaines où
fonctionnait la foire, et pour laquelle on établissait un barème de change
contre les autres monnaies.
L’accroissement
des échanges, et les moyens considérables employés pour la circulation,
exigèrent, dès le XIe siècle encore, la constitution de capitaux.
Cependant,
le transport des espèces était dangereux. On créa le crédit. A la fin du XIIIe
siècle apparaît en Italie la lettre de change, qui crédite le porteur d’une
somme considérable sans qu’il ait à transporter la monnaie
correspondante ; c’est en quelque sorte un chèque non bancaire.
Un
autre problème est celui d’entreposer les capitaux dans un lieu sur, à la fois
à l’abri des voleurs et entre les mains d’un homme puissant et crédible. Le
premier de ces hommes est le pape. C’est ainsi que se constitue à Rome la
première banque de dépôt. Elle devient aussi une banque de change, puisque
c’est là que les fidèles déposent leurs capitaux.
Les
premières banques de prêt, destinées à l’investissement, se signalent, en
Italie encore, dès le XIIe siècle. En 1171, une compagnie bancaire se constitue
à Venise. Elle fut imitée au XIIe siècle par les marchands toscans, qui furent
appelés Lombards dans le reste de l’Europe. Florence devint l’un des centres
les plus actifs du capitalisme européen. Ce sont les Bardi, les Peruzzi, les
Acciaiuoli, qui ont pour clients les souverains. Au XIVe siècle, les banques
siennoises deviennent leurs rivales, avec les Piccolomini et les Tolomei. Au
XVe siècle, les Médicis, par leur habileté en même temps que par leur pouvoir
politique et leur mécénat, s’imposèrent comme les banquiers de l’Europe.
Les
Templiers rivalisèrent à Paris avec les Lombards. Le Temple fut d’abord une
banque de dépôt, choisie par les nouveaux capitalistes en raison de sa
puissance militaire et de l’honnêteté insoupçonnable de se membres. Mais les
richesses confiées à leur garde devinrent telles qu’ils s’en servirent pour le
prêt.
En
Allemagne, les plus grands des banquiers furent les Fugger, qui s’enrichirent
par le commerce des tissus. Au siècle suivant, ils acquirent des mines. Leur
colossale fortune mit entre leurs mains le sort de l’Allemagne. En 1519, à la
mort de l’empereur Maximilien 1er, les trois premiers souverains
d’Europe étaient candidats à sa succession : François 1er de
France, Henri VIII d’Angleterre, Charles 1er d’Espagne. L’élection
étant devenue mercantile, et les électeurs faisant montre de surenchère,
François 1er demanda un prêt royal aux banquiers d’Augsbourg et
d’Anvers, qui le lui refusèrent ; en revanche, Jakob II Fugger, dit le
Riche (mort en 1525) offrit au candidat espagnol, qui serait bientôt Charles-Quint,
la somme fabuleuse de 650 000 florins, remboursable seulement s’il était
élu. Il le fut. A fortune des Fugger était consacrée. Ce fait, lui aussi,
marque la fin du Moyen Age chevaleresque et l’essor de la modernité mercantile.