26 avril 1319 : un fils pour Philippe de Valois


"Un fils pour Philippe de Valois", c'est à peu près toit ce qu'on aurait pu titrer dans la presse de ce 26 avril 1319 dans la rubrique "Gotha". Certes il s'agit de la naissance d'un seigneur de haut rang, mais un parmi d'autres. On ignore encore que ce père et ce fils seront rois de France.


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« Le personnage de Jean II le Bon, roi de 1350 à 1364, est d'une ambiguïté extrême. Au vrai, sa nature apparaît comme un véritable défi à la logique.

Ainsi le souverain est laid, mais néanmoins séduisant. Jouisseur et insouciant, il se montre en même temps un excellent législateur. Il est naturellement bon, mais il sait aussi se montrer très cruel. Pacifiste, il guerroie. Il fait preuve d'une bravoure généreuse voire prodigue (à la bataille de Poitiers, où le Prince Noir le fait prisonnier, il se livre à une escrime sanglante, la hache d'armes au poing) et cependant il est capable de faire bombarder une ville avec des cadavres décapités sur son ordre. Candide et courtois, il n'en perd pas moins tout contrôle dans des fureurs aveugles. Il dévalue la monnaie plus que de raison en même temps qu'il lutte farouchement contre la vie chère.

Brave, " bien-disant ", il attire l'adoration du peuple, alors qu'il déchaîne le mépris chez la plupart des historiens modernes. Il a pour passion le luxe, la chasse et les tournois, mais, roi " humaniste ", il convie à sa Cour hommes de lettres et savants... Il rattache le Dauphiné et la Bourgogne à la couronne de France pour, plus tard, céder d'un coup un gros morceau du royaume aux Anglais...

Un destin pour le moins paradoxal qui le conduit à mourir en Angleterre, après avoir passé plus de la moitié de son règne en captivité. Et ces Anglais qui le pleurent et qui pendant la cérémonie funèbre font brûler autant de torches qu'ils en avaient allumées, au soir de Crécy, pour rechercher leurs morts... »


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« Si pourtant les diableries existaient, su par exemple le « Mauvais nid » portait vraiment malheur ? Le « Mauvais nid », c’est le château du Gué de Maulny qui dresse ses grosses tours rondes, presque aveugles, au confluent de l’Huisne et de la Sarthe, tout près du Mans.

Sans doute peu sensible à ces superstitions de rustres, Madame Jeanne, qui enfin se trouve enceinte après six ans de mariage, a décidé de faire là ses premières couches.

Depuis le début de cette année 1319, elle habite le manoir en compagnie de son époux Philippe de Valois, comte du Maine.

Au vrai, tous deux adorent les séjours à Maulny. Malgré la méchante réputation du lieu et son odeur de soufre, l’endroit est délectable. La rivière luisante comme de la soie traverse de grasses prairies et des brandes limitées par la forêt de Longaunay où l’on pousse le cerf à son de cornes et de trompes. Au-delà, par-dessus la futaie, on aperçoit les hauts toits de l’antique cité mancelle.

Pour messire Philippe, ce pays est une gourmandise. Chaque jour, il se précipite dans la chasse, plaisir tout aussi grisant pour lui que manier l’estoc en tournoi. Une existence merveilleusement brutale qui exige du muscle mais n’exclut pas pour autant le délicat de la vie. Philippe entend donner une âme à sa demeure. Pour ce faire, il n’a pas hésité à tirer de son atelier parisien de rue Saint-Denis l’imagier Evrart d’Orléans, bon manieur de couleurs paraît-il. Ainsi le peintre est devenu l’hôte permanent de Maulny où il exerce désormais son art.

Le 26 avril, un jeudi, lendemain de la Saint-Marc, Madame Jeanne met au monde un fils qu’on prénomme Jean. Il n’est pas beau, mais la matrone assure qu’ils sont tous affreux en naissant.

Le dimanche, on baptise l’enfant De Maulny, on part en procession vers l’église Saint-Julien du Mans. Trois gentilhommes marchent en tête : Amaury III de Craon, qui porte un bassin d’argent rempli d’eau de rose, le vicomte Jean de Beaumont, avec en main un gobelet renfermant le sel, et messire Geoffroy de Vendôme qui tient un cierge incrusté d’or.

C’est l’évêque d’Angers, Monseigneur Odart, qui procède à l’onction d’huile parfumée. Le doyen de la paroisse l’assiste. Autour du baptistère, dans la brillance des cierges, on reconnaît Messire de Foulque, le comte de Mathefelon et tout un gracieux concours de chevaliers et barons.

Au-dehors, une petite multitude se presse aux abords de l’église qui résonne du balancement des cloches. Les braves gens sont restés là à attendre, sans oser rentrer. Les Grands n’aiment pas les envahissements. Toutefois, leur joie est franche lorsque, en ce dimanche aigrelet d’avril, on leur présente le bébé vagissant dans ses langes, un nourrisson qui va devenir Jean II, dit le Bon, roi de France.

Rien pourtant ne laisse augurer un tel destin pour le fils de Jeanne et de Philippe de Valois. Jean, bien qu’issu de hauts parages, n’est pas héritier royal. Certes, par les femmes, il descend en droite ligne du roi Saint Louis ; mais son père, neveu de Philippe le Bel, n’appartient pas à la branche régnante des Capétiens.

Comment imaginer alors que Jean de Valois puisse un jour accéder au trône ? Comment ; sinon à la faveur de ces « impondérables » qui font parfois de l’Histoire une fantaisie échevelée ? »

Texte extrait de Jean II le Bon par Jean Deviosse – Fayard.







Portrait de Jean II le Bon, anonyme vers 1350[1], dép. des Estampes de la BnF — www.louvre.fr : Accueil - info - photo, Domaine public