Le clergé et son action : ombre et lumière (XIIème siècle)
Entre les conditions de la vie spirituelle de la
fin du XIIème siècle et celles de la fin du XIème siècle, les différences sont
nettement sensibles. La réforme grégorienne, relayant l’effort de purification
clunisien, a combattu des pratiques jusqu’alors répandues et préjudiciables à
la mission de l’Eglise. La condamnation des investitures laïques par Grégoire
VII et ses successeurs fournit aux légats pontificaux les moyens de traquer la
simonie (achat des dignités ecclésiastiques) et le nicolaïsme (concubinage des prêtres).
Sans doute, le clergé supérieur est-il, dans son ensemble, mieux choisi, plus
soucieux de ses responsabilités pastorales. L’amélioration est moins sensible
au niveau du bas clergé. Certes les cadres paroissiaux se stabilisent, l’église
paroissiale est mieux entretenue, le culte est assuré plus régulièrement, mais,
faute de séminaires appropriés, les prêtres ruraux, fils de serfs, restent
souvent grossiers et peu instruits. A bien des égards, la religion qu’ils
enseignent ne s’écarte guère de la superstition, voire des pratiques magiques
de la sorcellerie.
Désir d’une religion purifiée…
Séduits par l’érémitisme, nombre d’esprits de
qualité cherchent dans la solitude de régions retirées à créer la pureté
évangélique. Bientôt, entourés de quelques compagnons enthousiastes, ils
fondent de nouvelles communautés religieuses qui s’écartent des l’idéal
bénédictin de Cluny. Idéaux communs à ces initiatives : austérité,
pauvreté, obligation du silence et de la méditation.
…parmi les moines : Cîteaux…
Parmi ces communautés nouvelles, une fondation
bénédictine brille d’un exceptionnel éclat. C’est, en effet, la règle de saint Benoît,
mais appliquée dans sa rigueur originelle, que veut suivre Robert de Molesme,
installé d’abord au cœur de la foret marécageuse de la vallée de la Saône, puis
à l’abbaye de Cîteaux (1098), qui devait donner son nom à l’ordre tout entier.
Pauvreté absolue : dans le vêtement, dans la nourriture, dans la couche,
jusque dans la nudité des églises, dépouillées de toute ornementation
figurative ; solitude des monastères. Retour au travail manuel ;
aidés des frères « convers », fils de paysans, les Cisterciens
mettent leurs terres en valeur de leurs propres mains.
Le renom des Cisterciens repose en grande partie
sur la personnalité hors série de saint Bernard, abbé de l’une des filiales,
Clairvaux, qui devint l’âme de la congrégation. Conseiller officieux des hauts
barons, des rois et des papes, organisateur de la deuxième croisade, il
régenta, de 1130 à 1150, la chrétienté tout entière, sur le plan de la
doctrine.
…et dans le peuple : cathares et vaudois
Aucune de ces innovations ne sort du milieu
clérical proprement dit, et leur pénétration dans les masses paysanne et
urbaine demeure malgré tout limité. Or, chez celles-ci aussi, le besoin d’un
nouveau style religieux se fait sentir. C’est alors que les purs ou
« cathares » s’installent entre Massif central et Pyrénées et
instaurent même, après 1167, une véritable église avec hiérarchie et concile. Leur
religion, héritière du manichéisme, est fondée sur un dualisme très
simple : l’univers (et l’homme) est le théâtre de la lutte entre le
principe spirituel du Bien et le principe matériel du Mal. Pour soutenir le
parti du Bien, il faut rompre avec la matière : pauvre, chaste, sans
attaches. Sorte de christianisme simplifié, bien adapté à la mentalité
populaire, cette doctrine se répandit rapidement. C’est en vain que saint
Bernard tenta, par une tournée de prédications, de ramener le Midi à
l’orthodoxie (1145). En 1177, le comte de Toulouse signale avec effroi, au
chapitre général de Cîteaux, la gravité de la situation à Albi et à Toulouse.
C’est la même insatisfaction – mais dans le milieu
urbain – que traduit l’aventure spirituelle de Pierre Valdès, ce marchand de
Lyon qui, renonçant à ses biens, distribua son argent aux miséreux et prêcha la
pénitence et le retour à la pauvreté évangélique (1176). Ignorant la
condamnation de l’Eglise, il persévéra dans l’hérésie avec ses disciples,
bientôt dénommés vaudois et volontiers confondus avec les cathares.
Cette fermentation spirituelle traduit à coup sur
dans toutes les couches de la société une volonté de retour aux fondements de
la religion primitive : pauvreté, humilité, piété. Sous des formes
contrastées et anarchiques, pareil élan témoigne visiblement d’une foi et d’une
religion plus exigeante, en fin de compte d’un indéniable progrès sur le plan
spirituel.