L'Art médiéval
Texte de Ivan GOBRY, extrait in La Civilisation Médiévale.
L’art est la première forme de la culture. Il est à cheval entre la vie spirituelle et la vie intellectuelle car dans toutes les cultures l’art est d’abord sacré avant d’être profane. Il est pourtant convenable de faire figurer ce chapitre en compagnie de ceux consacrés aux lettres et à l’intelligence.
L’art médiéval est d’abord essentiellement
chrétien (et musulman sur la bordure hispanique et orientale de la société
établie), d’un christianisme qui imprègne toutes les formes de la pensée et de
l’action ; puis, modestement et timidement, il laisse aux individus la
liberté de tirer de ce tissu religieux des thèmes tout à fait profanes.
De même, comme dans touts les cultures, la musique
apparaît la première, comme étant l’art le plus propre à exprimer le mystère et
le surnaturel.
Ensuite vient l’architecture, car, tout en étant
spatiale et visuelle, elle ne reproduit rien.
C’est quand l’architecture a acquis ses droits que
les arts imaginaires s’affirment à leur tour et réclame une attention précise.
Quant aux arts dits mineurs, ils ont des fonctions
diverses, et sont plus aisément adoptables pour des usages profanes :
orfèvrerie, vitrail, tapisserie.
La musique
L’époque mérovingienne est marquée par
l’épanouissement et la fixation du chant liturgique.
La réforme et l’unification du chant sacré furent
l’œuvre de saint Grégoire le Grand (590-604).
Les rois francs furent grands amateurs de chant
liturgique.
Saint Grégoire le Grand, et ceux qui ont appliqué
sa réforme, ont-ils appauvri le chant sacré ? Il faut constater que la
réforme de saint Grégoire a été unanimement louée au Moyen Age. Ce que certains
peuvent prendre pour un appauvrissement est essentiellement une purification.
Le chant sacré, comme l’architecture sacrée, a besoin, pour élever l’âme vers
le surnaturel, d’un grand dépouillement.
La musique médiévale fit de sensibles progrès grâce
à deux grands musicologues, Hucbald, moine de Saint-Amand (840-930) et Guido
d’Arezzo, prieur d’Avellano en Toscane (990-1034).
Guy d’Arezzo apporte un progrès d’une extrême
importance. Dans son Micrologus de disciplina artis musicae, il reprend
la théorie complète de la musique, à laquelle il apporte dans un premier temps
un élément pédagogique, l’appellation des notes, empruntée à l’hymne de saint
Jean-Baptiste composé par Paul Diacre, moine du Mont-Cassin, au IXe siècle.
Ensuite, remplaçant les lettres par des neumes, petits signes semblables pour
leur durée, il les places sur une portée, invention qui prélude à la
musique moderne ; pour situer la place de la note de référence, il pose la
clé à l’entrée de la portée : ut ou fa ; et pour
mieux distinguer la ligne de la portée qui porte la note de référence, il la
trace en couleur : jaune pour ut, rouge pour fa.
Alors, tandis que la musique sacrée s’enchante de
ses acquis et produit encore, dans sa tradition, un certain nombre de pièces
fidèles à ses principes, s’élance la musique profane. C’était le cas,
notamment, de la fameuse abbaye de Saint-Gall, où l’on jouait aussi, aux heures
de récréation, de la musique profane, certes savante, mais fort peu biblique.
Du IXème au XIVème siècle naissent une foule
d’instruments qui vont donner du relief au chant ; à vent, certes (flûtes,
cors, cornemuses, trompettes), mais surtout à cordes : vielles de
différents types, rebec, harpe, psaltérion, luth, lyre, rote, guitare, cithare
– dont la plupart eurent une existence éphémère.
Tous ces instruments arrivent à point pour
célébrer l’amour courtois.
La chanson d’amour est née au sud de la Loire, et
se développa du XIe au XIVe siècle, avec les troubadours. L’un des plus
anciens fut Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, aïeul
d’Aliénor.
Cet élan fut brisé en Aquitaine par la croisade
des Albigeois. De Provence, la poésie courtoise passa en Italie, et
spécialement en Ombrie et Toscane.
Celui-ci passe la Loire au XIIe siècle, grâce en
bonne partie à Aliénor, reine de France puis d’Angleterre.
A leur tour, les trouvères du Nord font
école en Allemagne.
L’architecture
Les invasions barbares avaient anéanti presque
tout le patrimoine architectural de l’Empire romain. Constantinople était restée
à l’écart du déferlement, et Constantin y avait fait élever de fastueuses
églises ; la grande rébellion de Nika en 532 détruisit à un près toutes
les basiliques. Justinien, vainqueur de l’émeute, s’employa à reconstruire et à
embellir.
En Occident aussi, les invasions barbares avaient
détruit tous les monuments chrétiens. Sous l’impulsion de Charlemagne, l’art
religieux trouva un nouveau souffle, dans lequel l’architecture fut
prépondérante. Les spécialistes divisent cette nouvelle époque en trois ages
successifs : le carolingien au IXe siècle, l’ottonien au Xe siècle, au XIe
siècle enfin le salique en Germanie (du nom de cette dynastie) et le premier
roman en France. Ce découpage tranché ne rend pas compte de la réalité, qui est
toute de continuité, et qui passe d’un style à l’autre par des transitions
insensibles. Le style dit ottonien n’est que l’épanouissement progressif
du carolingien, avec une croissance dans le volume et la lumière. Les détails
invoqués pour distinguer les styles sont dans l’ensemble insignifiants, sauf
l’introduction d’un élément capital : les voûtes d’arêtes, qui
apparaissent au XIe siècle. Alors, en Germanie, la nef garde sa rigidité
carolingienne, tandis qu’en France nef et collatéraux épousent l’arcature de la
voûte. On peut donc dire que, de 800 à 1100, l’architecture est un art
carolingien marqué par le triomphe des lignes droites, et qui évolue vers un
art roman marqué par le triomphe des lignes courbes.
L’unité de l’art monastique au IXe siècle est le
fruit de l’unité politique, instaurée par Charlemagne, et inspiré par l’unité
religieuse apportée par saint Benoît d’Aniane ; l’éclatement du style au
Xe siècle est du à celui de l’Empire et à l’anarchie de l’Eglise ; son
unification aux XIe et XIIe siècles est le fruit d’une unité de l’ordre
monastique, amorcée par Cluny et réalisée par Cîteaux, qui l’un et l’autre ne
connaissent pas de frontières. Le XIe siècle nous présente encore de nombreuses
églises monastiques.
Pendant les XIe et XIIe siècles, la chrétienté va
voir s’épanouir la splendeur de l’architecture romane. Jusque-là, les églises
étaient des basiliques couvertes à l’intérieur par un plafond de bois, que l’on
garnissait parfois d’une riche décoration ; un tel plafond, que l’on
trouve à profusion dans les édifices de l’Antiquité romaine, avait un grave
défaut : il était voué aux incendies ; et presque toutes les églises
d’Occident, en l’espace de deux ou trois siècles, avaient été dévorées par le
feu. Le remède eut été un plafond de pierre ; mais il était promis à
l’effondrement. Le plus important des problèmes posés aux architectes était de
trouver un plafonnement de pierre capable de résister à la double pression
subie par le matériau : pesanteur s’exerçant de haut en bas, poussée
s’exerçant des parois vers l’intérieur. La solution, ce fut la voûte.
Le poids de la voûte restant encore dangereux, on
s’ingénia à répartir sa pression : murs épais soutenus par des contreforts,
remplacement des colonnes élégantes par des piliers massifs ; quant à
l’étroitesse des fenêtres percées à une certaine hauteur, elle n’est pas due,
comme l’ont imaginé certains esthètes, au souci d’intimité et de mystère, mais
à l’exigence de résistances des murs. Dans un deuxième temps, on imagina, plutôt
que d’augmenter cette résistance des murs et des piliers, de diminuer le poids
de la voûte On divisa cette grande voûte centrale par des arcs doubleaux, qui
partageaient la nef en autant de travées ; enfin, on aménagea la voûte arêtes,
grâce à deux berceaux se coupant au centre à angle droit, ce qui revenait à
diviser en quatre la pression, et permettait d’alléger d’autant murs et
piliers.
L’ordonnance de l’église romane donna lieu en
outre à des modifications importantes. La nef centrale fut complétée de
part et d’autre par des nefs latérales deux ou quatre) dites encore collatéraux,
qui permettaient de démultiplier le poids de la voûte tout en augmentant la
capacité de l’édifice. L’entrée est précédée d’un porche qui sert d’abri avant
de pénétrer dans la nef, le narthex. Le transept, inexistant ou
très peu développé dans l’église carolingienne, acquiert de fortes dimensions.
Entre le sanctuaire, où s’élève l’autel principal, et la nef, se place le chœur,
où est chanté l’office. Enfin, le chevet qui clôt le sanctuaire prend la
forme d’une abside arrondie, entourée souvent d’absidioles. Etre le
sanctuaire et l’abside, on se déplace d’un bras à l’autre du transept par un déambulatoire.
Le style carolingien est tout à fait aboli. L’un des charmes de l’église romane
est, en outre, les sculptures qui ornent les chapiteaux des piliers.
Du premier roman, au XIe siècle, datent la
basilique Saint-Philibert de Tournus (narthex et chapelle Saint-Michel) ;
Saint-Savin en Poitou, avec sa nef étroite pour maintenir la voûte d’un seul
tenant, sur des piliers élégants et tous dissemblables ; Saint-Hilaire de
Poitiers, partiellement ; Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand et Issoire
pour sa nef centrale, les collatéraux étant divisés par des doubleaux.
Les nefs à doubleaux sont en nombre considérable.
Signalons, Saint-Philibert de Tournus, Saint-Etienne de Nevers, Saint-Foy
Conques, Notre-Dame la Grande à Poitiers ; et pour le XIIe siècle la merveille
de Vézelay, avec sa vaste nef lumineuse aux doubleaux de pierres noires et
blanches alternées, les cathédrales Saint-Lazare d’Autun et Saint-Frint de
Périgueux (cette dernière surmontée de coupoles) ; Saint-Trophime
d’Arles ; Saint-Sernin de Toulouse ; Paray-le-Monial ; Aulnay en
Poitou et les abbayes cisterciennes de Fontenay, Noirlac.
Enfin, les églises typiques à voûtes arêtes sont,
au XIe siècle, la cathédrale Saint-Etienne et la Trinité de Caen, Saint-Rémi de
Reims ; et au XIIe siècle, le Mont-Saint-Michel et Pontigny, transition
entre la voûte arêtes et la croisée d’ogives.
Au XIIe siècle, l’Europe était couverte d’églises
romanes. Nombreuses furent celles qui disparurent ou ne laissèrent que des
ruines, détruites par les guerres, les protestants, les révolutionnaires de
1789, ou simplement l’abandon. Ces causes agirent peu en Italie, où se sont
conservées de nombreux sanctuaires romans qui obéissent mal aux définitions
classiques, qui se signalent surtout par l’ampleur de la façade et une certaine
rigidité des lignes.
A l’art roman, succéda insensiblement l’art
gothique (XIIe-XVe siècles), qualificatif fort mal employé, et inventé par dérision comme
synonyme de barbare, par les humanistes de la Renaissance italienne, qui lui
préféraient le style classique hérité des Grecs et des Romains. Le synonyme qui
lui est attribué habituellement est ogival, pour définir une architecture qui
se caractérise par la croisée d’ogive, dernier perfectionnement apporté
à la voûte arêtes : les arcs issus des chapiteaux se croisent en
diagonale, à quatre ou six, et même huit, en un point qui est la clé de voûte ;
souvent, la résistance est augmentée par des arcs-boutants, contreforts
extérieurs sur lesquels s’appuie le mur. Ces dispositions permettent de porter
les voûtes à une hauteur impossible à l’architecture romane : Notre-Dame
de Paris, 34 m ; Notre-Dame de Chartes, 36 m ; Notre-Dame de Reims,
38 m ; Notre-Dame d’Amiens, 42 m ; le chœur de Beauvais, 47 m. Ces
édifices peuvent en même temps supporter des charges colossales : la
flèche de la cathédrale de Strasbourg s’élève à 142 m au-dessus du sol. En même
temps, la résistance des murs permet de les trouer d’amples fenêtres et de les
orner de belles verrières et de roses multicolores.
On divise classiquement l’age gothique en quatre
périodes, qui ne sont nullement tranchées, et d’autant plus difficile à
délimiter que nombre d’édifices ont été commencés sous l’une d’entre elles et terminés
sous une autre. Ce sont : le gothique primitif (1140-1200), aux fenêtres
étroites et à la décoration héritée de l’age roman ; les principales
seraient Sens, Noyon, Laon et Paris auxquelles on pourrait ajouter Saint-Martin
de Chablis ; le gothique à lancette (1200-1250), qui amplifie les
hauteurs et s’applique plus minutieusement à la sculpture ; ce seraient
Chartres, Amiens, Laon et Beauvais ; le gothique rayonnant (1250-1400),
qui retourne à des proportions plus harmonieuses, avec Metz, Strasbourg, Meaux,
Bordeaux, Saint-Ouen de Rouen et aussi Saint-Julien du Sault (Yonne), Saint-Satur
(Cher), Chavanches (Aube), Ploermel ; le gothique flamboyant
(1400-1500), aux nefs et fenêtres plus larges, aux clés pendantes, à la
suppression des chapiteaux. D’autres
classifications ignorent le gothique à lancettes, et s’en tiennent aux trois autres
catégories, qui ne sont pas des époques déterminées, puisqu’elles peuvent se
chevaucher, et s’appuient essentiellement sur la plus ou moins grande
complexité des fenêtres.
En réalité, peu d’édifices gothiques ont été bâtis
dans des périodes délimitées ; on peut citer, comme exemples
exceptionnels, Saint-Etienne de Sens, la première de toutes les cathédrales
gothiques, de 1140 à 1164 ; Notre-Dame de Chartres, de 1200 à 1260, la
Saint-Chapelle (record) de 1245 à 1248. Mais la cathédrale de Paris, commencée
en 1163, ne fut terminée qu’au XIVe siècle ; la construction de celle de
Strasbourg va de 1176 à 1439, celle de Bourges de la fin du XIIe siècle à 1324,
celle de Reims de 1211 au XIVe siècle. Aussi ne faut-il pas s’étonner de leur
manque d’unité, si l’on entend par ce terme une rigueur de style obtenue dans
un cloisonnement de la conception et de l’exécution. La basilique Saint-Denis,
classée « gothique primitif », est dotée de hautes fenêtres
rayonnantes. Ce qui peut être un défaut pour certains puristes est en fait une
originalité et un charme : les cathédrales gothiques sont de grands corps
vivants et, comme la vie, elles n’obéissent pas à une programmation rigoureuse.
Les définitions classiques des différents
gothiques sont propres à la France, et échappent le plus souvent aux autres
pays. On peut volontiers ranger les cathédrales de Bayeux, de Nantes, d’Evreux
sous l’appellation « rayonnant ». Quant au style flamboyant, on peut
l’assigner aux cathédrales de Tours, à l’abbatiat Saint-Urbain de Troyes, à la
Trinité de Cherbourg, au chœur du Mont-Saint-Michel ; mais une foule
d’édifices en gothique tardif qui restent des splendeurs ne parviennent pas à
se plier au signalement des classificateurs (c’est le cas de la cathédrale de
Bourges).
Remarquons aussi qu’une abondance d’édifices
classés comme romans ou gothique sont en fait un mélange des deux styles. En
France, les chefs-d’œuvre de Vézelay, Saint-Rémi de Reims et Saint-Bertrand de
Comminges, l’abbatiale du Monastier-sur-Gazeille ont une nef romane et un
sanctuaire gothique.
Un élément architectural modeste dans son
intention, mais qui a produit une abondance de chef-d’œuvre, c’est le cloître.
Destiné aux seuls usagers, c’est-à-dire habituellement aux moines, parfois aux
chanoines, il était caché du monde ; mais, comme toute architecture
religieuse, il était fait, au-delà des yeux, pour les âmes, président ici non
plus comme l’église,à la prière, mais à la méditation. La période romane et la
période gothique lui ont toutes deux consacré des trésors d’attention. De la
période romane, datent notamment Saint Guilhem le Désert et Tournus (archaïques),
Le Puy, Saint-Trophime d’Arles, Le Thoronet, Elne, Cuxa, Saint-Martin du
Canigou, Saint-Salvy d’Albi, Vézelay, La Grainetière (Vendée), Fontenay et
Conque (arceaux gémellés), Moissac et Fontfroide (transition du roman au
gothique). Au gothique primitif appartiennent Tréguier, Saint-Front de
Périgueux, les Jacobins de Toulouse, le Mont-Saint-Michel (transition vers le
rayonnant) ; au rayonnant lui-meme Saint-Jouin de Marnes (Deux-Sèvres),
Noirlac, La Chaise-Dieu, Poblet.
Dans le monde byzantin, l’architecture se déplace
de Constantinople vers la chrétienté slave. Au XIIe siècle, le mouvement
s’amplifie vers l’ouest, où l’on bâtit des églises qui combinent l’art byzantin
et l’art roman.
L’architecture civile s’élève tard. En France,
elle concerne essentiellement des châteaux robustes, édifiés du XIIIe au XVe
siècle, et destinés au début à la guerre. Ainsi, les remarquables villes
fortifiées de Carcassonne, d’Avignon, de Saint-Malo, d’Aigues-Mortes ; les
puissants châteaux, dans le midi, de Foix, Baynac, Montaigne, Fénelon, en
Bretagne ceux de Vitré, Fougères, Combourg, La Roche-Jagu, dans le
Val-de-Loire, ceux de Chinon, Plessis-Bourré, La Roche-Combon. Il en reste aussi
en Allemagne, mais beaucoup d’autres ont été transformés au cours des siècles.
Les châteaux forts abondent aussi dans la
Péninsule ibérique, souvenir des guerres contre les Maures ; on trouve
aussi des palais soigneusement conservés.
L’Italie brille particulièrement par ses places
médiévales communales.
Le gothique flamboyant à l’usage laïque se propage
au XVe siècle dans le Brabant et dans les Flandres, où Philippe le on, duc de
Bourgogne, a établi sa capitale à Bruges.
La sculpture
La sculpture dans la pierre ne commence guère qu’à
l’age roman. A l’époque carolingienne, on trouve quelques statues de bois, de
provenance impériale ou seigneuriale, mais aussi des portes sculptées et
surtout des œuvres en ivoire, particulièrement sur les reliures des évangéliaires
et des psautiers. Le Xe siècle produisit quelques statues, comme celle de
Sainte-Foy de Conques, en or ; mais aussi de grands crucifix en bois.
Au XIe siècle, la sculpture s’affirme dans la
pierre, non encore dans la statuaire, mais dans les parois mêmes de
l’édifice : tympans au-dessus des portails, puis, timidement, voussures et
trumeaux. C’est surtout dans le chapiteau que l’art roman trouve ses
manifestations les plus nombreuses, les plus variées, les plus originales, avec
parfois un souci du détail et de l’expression (grotesque ou pathétique)
étonnant. Tantôt ces chapiteaux ont une fonction éducative, en illustrant des
récits de l’Ecriture ou de la vie des saints (Saint-Lazare d’Autun, Souillac,
Saulieu, Anzy-le-Duc, Saint-Nectaire, Vézelay, les abbayes catalanes, Mozac,
Paray-le-Monial), tantôt ils se complaisent dans l’allégorie et dans
l’ornementation (Moissac, Cluny, Charlieu, Tournus, Aulnay, Cunault, Saintes,
Notre-Dame du Port à Clermont-Ferrand, Saint-Julien de Brioude, Issoire).
Ensuite, à la fin du XIIe siècle, c’est la
profusion de la statuaire gothique, qui apparaît dans toute l’Europe, mais est
surtout omniprésente dans les cathédrales françaises, de préférence autour des
portails, avec sa double fonction de vénération et d’enseignement : ces
scènes et ces personnages sont aux illettrés ce que la Bible et les Pères sont
pour les doctes. La réussite de cet art est étonnante : des centaines de
sculpteurs ont laissé des œuvres qui atteignent à la perfection dans le mouvement,
le drapé, le réalisme du détail et surtout l’expression du visage : joie,
tristesse, pitié, dignité, majesté. La profusion de ces statues au XIIIe siècle
est étonnante : la seule cathédrale de Reims en compte 2300.
La sculpture médiévale est la plus nette et la plus
multiforme manifestation de la piété. Le Christ est d’abord vénéré surtout
comme enseignant et glorieux, puis dans ses multiples mystères, enfin dans sa
passion. Le Christ enseignant apparaît d’abord dans de nombreux tympans de la
période romane : Vézelay, Mars-sur-Alliers (naïf), Moissac, Cervon
(Ardèche), Saint-Sernin de Toulouse, puis passe au gothique notamment avec
Chartres et la statue du Beau Dieu d’Amiens. Le Christ en gloire, qui est le
plus souvent celui du Jugement dernier, apparaît lui aussi à l'âge roman
(Autun, Vézelay, Moissac, Conques), pour passer au gothique (Bamberg, Bourges,
Reims, Chartres, Paris).
Aux XIIe et XIIIe siècles, la dévotion mariale
produit une multitude de statues consacrées à la Vierge à l’Enfant. On peut
citer parmi les figurations archaïques, les Vierges noires de Notre-Dame de
Dijon, de Marsat, de Notre-Dame du Port, de Rocamadour et de Moulins ; les
Vierges de Cerdagne (Font-Romeu, Saint-Martin du Canigou, Corneilla de
Conflent, Bourg-Madame) et d’Auvergne (Saint-Nectaire, Orcival,
Colamine) ; mais aussi Notre-Dame la Brune, à Tournus. Le XIIIe siècle
voit une Vierge auvergnate exposée au musée de Cluny à Paris, la Vierge au
Raisin de Semur-en-Auxois, et bien sur toutes celles des cathédrales gothiques.
Aux XIVe et XVe siècles, sous l’influence à
retardement de saint Bernard de Clairvaux (mort en 1153), de saint François
d’Assise (morte en 1226), et des mystiques de leurs ordres, cisterciens et
franciscains, la sculpture incarne la spiritualité de dévotion au Christ souffrant.
Cet art douloureux, à peu près inconnu jusque-là, part du nord de la Bourgogne
pour se répandre en France, puis en Allemagne. Il produit des christs en pitié,
appelés encore christs aux outrages ou christs aux liens, comme aux Hospices de
Beaune, à Soumantrain (Yonne), Auxon (Aube), à Saint-Martin de Laon, à la
cathédrale de Dol.
Notre-Dame, sans cesser d’inspirer la classique
Vierge à l’Enfant, devient la Pieta, la Mère digne de pitié, comme a Beaune,
Joigny, Epoisses, Chalon-sur-Saône, à Bayel, Saint-Pantaléon de Troyes,
Saint-André-les-Vergers, Ramerupt, Laines-au-Bois, Lhuitre, Crésantignes,
Chaource, Crenay, Rigny-le-Ferron, ces dix derniers dans l’Aube,
Germigny-les-Prés, puis, au-delà du cercle bourguignon, le Dorat, Senlis,
Moissac, Le Puy, Le Plessis-Bourré, Cunault, Saint-Nazaire de Carcassonne, les
Récollets de Toulouse, Ahun (Creuse), Cimiez, Thirenbach (Alsace).
Ce sont surtout les mises au tombeau, grandeur
nature, qui sont concentrées dans cet espace nord-bourguignon :
Semur-en-Auxois, Joigny, Villeneuve-l’Archevêque, Saint-Michel en Dijon,
Saint-Michel de Tonnerre, Châtillon-sur-Seine, Pouilly-en –Auxois (Notre-Dame
Trouvée), Arnay-le-Duc, Villeneuve-sur-Yonne, Nevers, Clamecy, et, sur la
périphérie, Salon, Bar-sur-Seine, Grandville, Rigny-le-Ferron, Amance,
Malesherbes, Chaource (sublime), Saint-Jean-Baptiste de Chaumont, Wassy,
Jouarre, Moulins. Bon nombre appartiennent au premier quart du XVIe siècle.
Mais on trouve d’autres groupes de ce type à Saint-Rémi de Reims, Saint-Mihiel,
Colmar, Evreux, Solesmes, Bourges, Auch (fort belle), Carennac (Lot), Moissac…
Des ensembles de stalles sont, à la même époque,
merveilleusement ouvragés, comme à la cathédrale d’Auch, à la Chaise-Dieu, à
l’église de Brou, à Saint-Cernin (Cantal), à Amiens, à Saint-Denis, à Montréal
(Yonne) ; dans cette dernière église, les scènes sculptées atteignent un
réalisme saisissant, qu’elles figurent l’adoration des Mages ou de joyeux
buveurs bourguignons.
L’Europe, mais surtout la France, possèdent de
nombreux gisants, surtout à l’intérieur des églises, comme il est juste pour
des évêques et des abbés, mais aussi des rois de France, comme à Saint-Denis,
des grands seigneurs laïques : le duc Jean de Berry dans la crypte de la
cathédrale de Bourges, le duc François II à Nantes, Charles IV, Jeanne
d’Evreux, Philippe Pot (au Louvre), mais surtout les ducs de Bourgogne au
palais ducal de Dijon.
Une nouvelle sculpture prend en fourmillant essor
en Italie au XVe siècle, tout particulièrement à Florence, où se mêlent les
thèmes religieux et les thèmes profanes.
En même temps apparaît à Albi, dans la cathédrale
Sainte-Cécile, un art de la statuaire inconnu jusque-là, d’un réalisme qui méconnaît
toutes les traditions léguées pieusement dans les ateliers. C’est encore un art
religieux par les thèmes traités, ce n’en est plus par le style. La clôture du
chœur, d’un flamboyant envahissant, et d’une dimension géante, est percée à
l’extérieur et à l’intérieur de niches où gîtent des personnages de pierre
polychrome, vêtus comme des bourgeois du XVe siècle, et dont les visages, d’un
puissant réalisme et d’une variété inconnue aux siècles précédents,
reproduisent les visages expressifs de modèles judicieusement choisis. A
l’extérieur et, en face d’eux, dans le déambulatoire, ce sont ceux de l’Ancien
Testament ; à l’intérieur, les personnages du Nouveau Testament.
A l’entrée du chœur se dresse un jubé d’une finesse et d’une exubérance
radieuse. Des soixante-quinze personnages logés à l’origine dans ce prodigieux
travail, il n’en reste que quatre : Adam et Eve, la Vierge et saint Jean
au pied de la Croix.
La peinture
En Orient, la peinture byzantine est représentée
essentiellement, du Ve au XIIe siècle, par la mosaïque. C’est surtout à
Ravenne, restée byzantine jusqu’au VIIIe siècle, que nous trouvons les plus
importantes manifestations de cette époque. Tandis que la plupart des mosaïques
étaient détruites à Constantinople par les iconoclastes, cet art était diffusé
dans de nombreuses églises du monde byzantin.
La mosaïque prend un grand essor au XIe siècle.
L’invasion turque arrêtera cet essor.
En Occident, la peinture commence fort
discrètement ; mais il est difficile de suivre son itinéraire, car la
plupart des peintures carolingiennes et un grand nombre de celles du XIIe
siècle ont été effacées. Ce qui nous reste actuellement de plus ancien est une
vie de saint Etienne dans la crypte de Saint-Germain d’Auxerre, en trois
tableaux, datant du IXe siècle. De la même époque, et même un peu antérieure,
au tout début du siècle, date la mosaïque de l’Arche de l’Alliance divine, dans
l’église de Germingny-les-Prés (Loiret).
La peinture romane commence, dit-on, avec la Vie
et le martyre de saint Savin, dans la fameuse église homonyme, et qui date
de la seconde moitié du XIe siècle. Il est vrai que nous avons là un ensemble
saisissant ; mais il fut précédé de témoignages non moins
artistiques : Chauvigny (Poitou), Saint-Chef (Dauphiné).
Du XIIe siècle, il reste peu de chose,
comparativement à ce qu’on put admirer à l’époque. Ce sont notamment les chefs d’œuvre
de Tavant (Ille-et-Vilaine) ; de Berzé-la-Ville (Saone-et-Loire) – Christ
en majesté entouré de ses Apôtres –, de Saint-Martin de Vic (Indre) – entrée du
Christ à Jérusalem –, de la cathédrale d’Auxerre – extraordinaire effigie du
Christ monté sur un cheval blanc au milieu des cavaliers de l’Apocalypse ;
de Lavaudieu (H-L) – Vierge en majesté parmi les Apôtres – ; de Brinay en
Berry, de Saint-Denis.
L’étonnant XIIIe siècle apporte à la peinture
occidentale une transformation qui la conduit à la Renaissance. Tandis qu’en
France, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, la peinture, presque
exclusivement confinée dans les églises, reste tributaire, bien qu’appelée
« gothique », de la peinture du XIIe siècle, en Italie, elle échappe
comme soudain à la tradition et, tout en s’appliquant encore à des sujets d’une
belle inspiration religieuse, se répand dans le monde profane.
Les premiers maîtres de ce mouvement appartiennent
à l’Italie centrale.
Deux sortes de peinture se développent
parallèlement à celle de la paroi et de la toile : l’enluminure (ou
miniature) et le vitrail.
L’enluminure est un genre cultivé avec
bonheur dès l’époque carolingienne. Des manuscrits en sont célèbres. Du XIe
jusqu’au XIIe siècle, les peintures illustrent les livres de piété. A partir du
XIIIe siècle, elle illustre aussi des ouvrages profanes. Au XIVe siècle, les
auteurs, jusque-là réfugiés dans l’anonymat, ont un nom.
Le vitrail, technique qui réunit dans une
armature de plomb et de fer des fragments de verre coloré, commence à se
montrer timidement au Xe siècle, et ne se développe qu’au XIIe. On le trouve
alors, sous forme d’une série de prophètes de l’Ancien Testament, comme
à l’abbatiat de Saint-Denis, par les soins de Suger. Le XIIIe siècle voit la
splendeur du vitrail dans les cathédrales de France. Les plus célèbres sont
ceux de Chartres, qui constituent tout un traité d’histoire religieuse. Les 64
grandes verrières qui font le tour de l’édifice, à dominante bleu et rouge,
racontent la vie du Christ, sa passion, celle de la Vierge, de sa mort et de
son assomption, de ses miracles ; celles de nombreux saints, mais aussi
des scènes de l’Ancien Testament. Les plus beaux furent offerts
par la maison royale de France, d’autres par des membres de la noblesse ;
les confréries des métiers qui avaient participé à l’édification de la
cathédrale en offrirent quarante-deux, qu’ils firent insérer dans les vitraux
des représentations de leur travail. A la même période, appartiennent les
verrières des cathédrales les plus célèbres : Paris, Rouen, Reims,
Bourges, Le Mans, Poitiers, Chalons, Amiens. La cathédrale de Troyes
possède des vitraux dans lesquels une couleur jaune, sinon dominante, du moins
très importante, confère à la nef une luminosité toute spéciale.
Les arts mineurs
Il faut éviter ici d’attribuer au qualificatif
mineur le sens « de peu d’importance ». Une certaine tradition, venue
de la Renaissance florentine, fonde la différence entre arts majeurs et arts
mineurs sur une opposition sociale, celle des majores, aristocratie qui n’a
pas à faire commerce de son travail, même si des mécènes lui octroient
gracieusement de substantielles rémunérations ; et les minores,
gens besogneux qui reçoivent des commandes pour gagner leur pain. Ainsi, tandis
que l’art majeur est produit pour sa seule beauté, l’art mineur est cultivé
dans des ateliers pour obtenir une rémunération. C’est pourquoi l’orfèvrerie et
la tapisserie comptent parmi les arts mineurs, et que nous aurions pu également
y placer le vitrail, exécuté par des maîtres spécialisés.
L’orfèvrerie est d’abord un art utile, et
un art à la fois guerrier et de prestige, pour lequel on paie des artisans
réputés, fabricants d’épées et de bracelets. Il devient ensuite un art
sacré ; mais, même en ce cas, les bienfaiteurs qui offrent vases sacrés,
croix d’autel et chandeliers font appel à des artisans rémunérés à la tache.
Au Xe siècle se constituent des ateliers
épiscopaux, spécialisés dans la fabrication des ouvrages d’orfèvrerie. L’un des
plus importants était celui de Trèves. A la fin de ce siècle, et durant tout le
suivant, on voit se répandre des statues précieuses de la Vierge (sorties
notamment d’Essen) et des crucifix, qui préludent à l’éclosion de l’art roman. A
partir de ce moment toutes les églises se dotent de pièces d’orfèvrerie de
toutes sortes ; ce ne sont plus seulement des objets liturgiques, mais des
reliquaires et des chasses, dont bon nombre sont relégués dans les trésors des
cathédrales et dans les musées.
La tapisserie est d’abord, elle aussi, un
art utilitaire, qui adoucit, sous forme de tapis ou de tentures, les rigueurs
de l’hiver. Elle devient, à partir du XIIe siècle, avec la tapisserie de haute
lisse, un très grand art, à la fois religieux et profane, qui, comme la
peinture, remplit le double rôle d’édifier et de réjouir les yeux. On voit
s’édifier de grands ateliers capables de satisfaire aux commandes des grands,
notamment à Paris, à Arras et à Aubusson. La plus prestigieuse série de
tapisseries, datant de la fin du XIVe siècle, est celle de l’Apocalypse ;
elle fut commandée par le duc Louis 1er d’Anjou à Hennequin de
Bruges pour les cartons et à Nicolas Bataille, célèbre lissier parisien pour
l’exécution ; celle-ci dura de 1377 à 1380 ; l’ensemble, qui comptait
cinq cents scènes, s’étendait sur 168 m de long et 5,50 de haut ; ce qui
en reste (à peine la moitié) est exposé dans une galerie du château d’Angers.
Le musée de Cluny à Paris possède un remarquable ensemble de tapisseries du XVe
siècle, parmi lesquelles les six pièces allégoriques de la Dame à la Licorne, à
mille fleurs sur fond rouge, d’une finesse et d’un charme exceptionnels.
Proche de la tapisserie, mais beaucoup plus
rudimentaire dans sa technique, est la broderie, qui n’a pas de vocation
artistique ; il nous reste cependant du XIe siècle, dans cette spécialité,
une œuvre tout à fait originale, appelée improprement « tapisserie de
Bayeux » parce qu’elle était tendue entre les piliers de la cathédrale de
Bayeux, et plus improprement encore « tapisserie de la reine
Mathilde », alors que cette reine, épouse de Guillaume le Conquérant, ne
prit certainement aucune part à cette entreprise. Cette œuvre qui raconte la
conquête de l’Angleterre, fut exécutée sur l’ordre d’Odon, évêque de Bayeux et
frère utérin de Guillaume, entre 1066 et 1077. Elle consiste en une bande de
toile de lin de 70 m de long sur 0,50 de haut, représentant 58 scènes de cette
épopée, auxquelles s’ajoute une ornementation faite surtout d’animaux. Ce qui
est important, c’est surtout la restitution des mœurs de l’époque : vêtement,
armement, nourriture, qui fait de cette suite agréable d’images un document
exceptionnel.
Il faut compter aussi parmi les arts liturgiques
les ornements sacerdotaux, chapes et chasubles, qui tiennent de la tapisserie
par leur tissu et de l’orfèvrerie par les pièces de métaux précieux qu’on y a
ajoutées. Une profusion en a été exécutée du XIIe au XVIe siècle. On en trouve
encore un certain nombre dans les trésors des cathédrales.