La reconstruction (1440-1515)


Passé les temps difficiles, un nouveau départ depuis 1440, vers le mirage italien et les prestiges de la Renaissance.

En soixante-quinze ans d’apparente stabilité, depuis la Saint-Martin 1436, date de la libération de Paris, jusqu’au 1er janvier 1515, avènement d’un roi de vingt ans, nommé du vocable même de la patrie, la France a plus changé qu’en un siècle de drames. Or, les contrastes des générations expriment les mutations profondes d’une société mieux que les péripéties superficielles des évènements.

Même les Français âgés seulement d’une quinzaine d’années lors des derniers soubresauts de la guerre de Cent Ans ne pouvaient souhaiter autre chose que la sécurité. Leurs aînés l’éprouvèrent encore davantage. A l’exception, naturellement, de ceux à qui la chance souriait dans le désordre, tous ont œuvré pour conjurer le retour du malheur et reconstruire le pays. Beaucoup ont cherché à restaurer le passé, quelques-uns à faire du nouveau, tous à vivre mieux. Dans leurs vieux jours – mais la longévité, alors, n’était pas grande –, ils connurent, enfin la « douceur de vivre » au terme du siècle, sous Louis XII.

Cette douceur de vivre, les jeunes générations n’eurent garde de la dédaigner. Cependant, elle ne leur suffisait plus. Déjà, au temps où déclinait Louis XI, un homme de 55 à 60 ans était jugé sénile et capable d’ennuyer la nouvelle vague par les sages propos de son expérience. Aux yeux des jeunes chevaliers, une « guerre folle » valait mieux que pas de guerre du tout, car ils étaient éblouis par l’héroïsme des temps passés, dépouillé de on cortège de misères, comme plus tard la légende napoléonienne. Quant aux autres, moins soucieux de horions et de panache, mais bénéficiaires des efforts de leurs anciens, ils semblent, eux aussi, avoir éprouvé un désir de progrès, connu l’initiative, aspiré à un nouveau style de vie et de pensée.

La considération des générations successives peut donc servir de révélateur efficace des comportements individuels et collectifs de la société française et des nuances qu’elle a données à ses institutions et aux cadres de son existence, à une étape majeure de son évolution.

I.                   LES TEMPS DE LA RENOVATION

Trois générations de reconstructeurs

La liquidation de la guerre de Cent Ans et le relèvement de la France occupèrent trois générations.

La transformation du caractère et du comportement de Charles VII, à partir du moment où il reprit confiance en son destin, symbolise exactement le changement du cours de la destinée nationale. Ce n’était plus le dauphin timide et indolent. Sa personnalité, lentement, s’est éveillée. Il devint capable de courage militaire. Il était resté influençable, mais les influences avaient changé. Sa belle-mère, Yolande d’Aragon, mourut en 1442, mais Richemont demeura. Un seigneur angevin, Pierre de Brézé, eut la faveur. Paradoxalement, les aventures sentimentales du roi ne nuisirent pas toujours à l’exercice de sa fonction ; on ne peut nier que l’influence de deux de ses maîtresses, Agnès Sorel, puis la cousine de cette dernière, Antoinette de Maignelais, n’ait contribué à affermir son caractère. Le roi sut choisir lui-même ses conseillers : quelques grands personnages, Dunois, Jean de Bueil, Jean d’Estouteville ; surtout des hommes de moyen état, véritables successeurs des Marmousets, Guillaume Cousinot, Jacques Cœur, Jean Jouvenel des Ursins, les frères Bureau, dont le zèle valut à Charles le surnom de « Bien servi ».

L’opposition des générations se manifesta clairement entre Louis XI et son père. Dauphin, Charles avait été indolent ; Louis fut intrigant et brouillon, impatient de régner. Il avait lié partie, en 1456, avec le complot princier connu sous le nom de Praguerie, par analogie avec les troubles de Bohême ; l’affaire ayant échoué, le dauphin du s’exiler et solliciter l’hospitalité du duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Lorsque Louis succède à son père mort le 22 juillet 1461, l'âge (38 ans) n’avait pas atténué les rancœurs. Le nouveau roi chassa, sans ménagement, les conseillers paternels. Le prince n’avait rien d’attirant. Son extérieur négligé et son physique disgracieux ne suscitaient pas la sympathie. Il passait pour égoïste et avare, dur et sournois. Son entourage était médiocre, sinon suspect.

Louis XI fut essentiellement pragmatique. Contemporain des tyrans italiens tel son ami Francesco Sforza, Louis leur ressemblait par son art d’ « universelle aragne » à nouer des intrigues, par son talent à redresser des situations parfois compromises par sa propre rouerie ou par ses bavardages incoercibles. Il fut autoritaire. Louis XI ne fut pas aimé ; il fut craint, mais il fut aussi respecté parce qu’il accomplissait strictement son devoir de prince qu’il tenait en haute estime. Ce fut un grand travailleur. Fort instruit, voyageur infatigable, il s’informait sur place et de préférence auprès des gens de moyen état. Il appartint à la génération en laquelle s’est éveillée la conscience française. Face au Bourguignon et à l’Anglais, qui cherchaient de nouveau à exploiter les querelles partisanes, il eut cette réplique : « Je suis France ».

Louis XI décida, avant de mourir, que son jeune fils, Charles, né en 1470, n’aurait pas de régent. Le véritable successeur de Louis XI fut sa fille, Anne, chargée de gouverner au nom de son frère. Le choix était heureux. Cerveau froid et avisé, dominatrice et ferme, Anne était de la trempe d’Isabelle de Castille, de Marguerite d’Autriche et d’Anne de Bretagne, ses contemporaines. Son mari, Pierre de Beaujeu, partagea avec elle la direction des affaires. Par eux, la continuité de l’œuvre de Louis XI fut assurée.

La remise en ordre politique occupa inévitablement le devant de la scène et retint principalement l’attention des hommes de gouvernement. Implacablement, la royauté renforce ses organes de commandement. Ainsi se prépare la France moderne.

En finir avec la présence étrangère : la fin de la guerre de Cent Ans



Pour ne plus revoir l’étranger dominer une partie du sol du royaume et éloigner les ravages d’une guerre incessante, la France commença par reprendre haleine. Charles VII avait dégagé les environs de la capitale, pris Pontoise en 1441 et harcelé les confins normands ; il avait esquissé un mouvement offensif en direction de la Guyenne. Il n’avait pas pu aller plus avant, faute de moyens et, aussi, en raison des intrigues des princes. L’ennemi, pourtant, était, lui aussi, très affaibli, las de la guerre, divisé et affecté par l’incapacité d’Henri VI. A Tours (mai 1444), on s’accorda sur le statu quo territorial et, pour gage de bonne volonté, Henri VI, devenu majeur en 1442, prit pour femme Marguerite d’Anjou, fille du roi René et nièce de Charles VII.

Cinq ans de trêve ne profitèrent qu’à la France. Les réformes financières de Charles VII, entreprises au lendemain de la libération, commençaient à porter des fruits. La permanence de l’impôt autorisa la permanence de l’armée juste au moment où la trêve risquait de condamner les mercenaires au licenciement. A partir de 1445 et 1446, les « compagnies de l’ordonnance du roi » furent soldées par le roi. En 1448, pour répondre à l’infanterie anglaise, Charles VII appela les roturiers, à raison d’un homme par cinquante feux, à s’exercer au tir à l’arc chaque dimanche ; dispensés de la taille, ces soldats furent appelés « francs archers ». La réorganisation des effectifs s’accompagna d’une artillerie régulière. Utilisées d’abord presque uniquement pour l’attaque e la défense des places fortes, elles firent leur apparition sur les champs de bataille lors des dernières campagnes.

Ainsi, avant même la rupture de la trêve, le roi de France disposait, à pied d’œuvre, d’une armée cohérente, adaptée aux exigences nouvelles de l’art militaire.

La paix était à la merci d’un incident. Il survint en 1449 (24 mars), à Fougères. Un chef de bande, François de Surienne, opérant pour le compte du duc de Somerset, lieutenant d’Henri VI en Normandie, enleva la place au duc de Bretagne, Jean V, revenu à l’alliance de Charles VII. Le roi de France ne tergiversa pas. Une séance solennelle de son Conseil donna le départ à une offensive immédiate en trois directions : la basse Seine, le centre de la Normandie, le Cotentin. Le 10 novembre, Charles VII fit une entrée émouvante dans la capitale normande enthousiaste.

Peu de temps après la prise de Rouen, la chute d’Honfleur libéra l’estuaire de la Seine. Cherbourg tomba quatre mois plus tard. Il n’y avait plus d’Anglais en Normandie.

La reconquête de la Guyenne fut plus difficile en raison de la versatilité des Bordelais. En 1451, Bordeaux se rendit à Dunois (30 juin) et Bayonne céda le 20 août. Mais, soucieux d’écouler leur vin, les habitants rappelèrent Talbot et ses bandes anglaises à l’époque des vendanges. A Castillon (17 juillet 1453), revanche d’Azincourt, Talbot trouva la mort, en éprouvant l’inanité démodée des charges désordonnées en face de la puissance de feu. Le 19 octobre, Bordeaux capitula. Les opérations continentales de la guerre de Cent Ans avaient pris fin.

Pourtant, rien, pas même une trêve, ne garantissait la France d’un retour offensif des Anglais. Les populations côtières des deux pays vécurent dans un perpétuel qui-vive pendant des décennies. En 1475, cependant, Edouard IV renouvela le geste initial de la guerre de Cent Ans et revendiqua la couronne de France. Il débarqua à Calais, mais en quelques jours l’entreprise fit long feu. A l’entrevue de Picquigny, Edouard fit honneur à la chère française. Une trêve fut signée pour sept ans.

Ni Edouard IV ni son successeur n’abandonnèrent leurs prétentions au trône de France. L’avenir avait donné raison à Jeanne d’Arc et, à quelque chose malheur étant bon, la guerre, finalement, servit es intérêts des deux peuples hostiles, en rendant l’un à sa vocation insulaire, en donnant à l’autre conscience de son unité dans le cadre d’une monarchie restaurée.

En finir avec le désordre intérieur et la turbulence des princes

Embaucher les bandes dans les compagnies d’ordonnance, ce fut un moyen de neutraliser leurs méfaits. Dieu sait ceux qu’elles avaient commis ! Le fléau ne cessa pas du jour au lendemain et reparut, sous Louis XI, au temps des guerres bourguignonnes, dans la Région parisienne et en Picardie. Quelques provinces ne connurent la sécurité qu’au terme du siècle. La réduction des princes à l’obéissance fut une œuvre de plus longue haleine et, en réalité, plus importante, parce que l’enjeu en était l’existence même de l’Etat.

Intrigues partisanes

On avait pu légitimement espérer que la réconciliation de Philippe le Bon avec Charles VII, sanctionnée par le traité d’Arras (1435), mettrait un terme aux anciennes rancunes. Les intrigues princières reprirent cinq ans plus tard, avec des traits nouveaux, dans la Praguerie. L’héritier du trône s’éleva contre son père. En 1440, les Princes reprochèrent à Charles VII de ne pas suivre leurs conseils, puis en appelèrent à une assemblée d’états, au cours d’une réunion tenue à Nevers en 1442. Charles VII sut déjouer l’intrigue avec vigueur et habileté. Pourtant, deux fois encore au cours du siècle, à vingt-trois ans de distance, la royauté vit se dresser contre elle des hommes qui prétendaient agir au nom du « bien public ». Tel fut, en effet, le prétexte sous lequel, par un ironique retour des évènements, Louis XI, en 1465, faillit perdre Paris et fut tenu en échec à Montlhéry par une coalition princière animée par le comte de Charolais, héritier de la Bourgogne, et le duc de Bretagne, François II. Cette fois, le rôle joué naguère par le dauphin fut tenu par son frère, Charles. Il est vrai que les maladresses initiales de Louis XI avaient fait beaucoup de mécontents. Le roi dut traiter d’égal à égal avec les révoltés, à Saint-Maur et à Conflans (octobre 1465), et leur faire de grandes concessions. Le prix de la paix était exorbitant, mais du « bien public » il ne fut question désormais, et nul ne parla plus.

Plus exactement, on en argua encore vingt-trois ans plus tard, lors de la réaction de détente qui suivit la mort de Louis XI. Les états généraux de 1484 avaient tourné court, et le libéralisme des princes, même celui du futur Louis XII, compromis dans l’affaire, comme autrefois le dauphin Louis et Charles de Guyenne, était trop affecté pour trouver crédit. La rencontre de Saint-Aubin-du-Cormier (28 juillet 1488) ne rappela en rien la bataille de Montlhéry. Cette fois, la guerre princière ne laissa que le souvenir d’une « folie », parce que, non sans mal, la royauté avait désamorcé les pièges qui lui avaient été tendus.

Plus loin, nous constaterons combien la noblesse française sortit transformée de la guerre de Cent Ans. L’évolution économique ne fut pas seule responsable. Les modifications de structure introduites dans l’armée ramenaient les chevaliers au rôle de simples combattants au service du roi ou de quelques grands seigneurs, assez puissants pour les « retenir » dans les compagnies. Les nobles voyaient surveiller leurs châteaux ; leurs droits judiciaires et fiscaux étaient limités ; leurs titres féodaux eux-mêmes, sujets à contrôle. Seuls, certains princes territoriaux essayèrent, pendant quelques décennies, de suivre une voie indépendante de la royauté.

Les derniers Etats princiers

Chaque principauté tendait à devenir un Etat jouissant de toutes les attributions de la souveraineté. L’institution des apanages en était arrivée à produire ses effets les plus néfastes, d’autant plus que certains princes des fleurs de lis échappaient juridiquement à l’emprise du roi par la possession de certains territoires sis hors du royaume. Il en était ainsi de la maison d’Anjou, maîtresse de la Provence et détentrice au moins du titre royal de Naples. C’était surtout le cas de la maison de Bourgogne, dont les aspirations à la sécession de fait, sinon de droit, n’étaient pas un mystère.

Philippe le Bon s’était « senti » encore français, mais on ne peut guère en dire autant de Charles le Téméraire, son fils et successeur en 1467. Il rappelait plus volontiers son ascendance portugaise et lancastrienne, en ligne maternelle, et son mariage avec une York. Une bonne moitié de ses territoires relevait non du roi, mais de l’Empereur. Au seigneur d’un ensemble territorial immense, il ne manquait que l’éclat de la dignité royale ; le Téméraire escomptait l’obtenir de l’Empereur.

Le fils de Philippe le Bon fut servi par bien des chances, mais aussi par ses qualités d’intelligence, son habileté diplomatique, son art de la propagande, son éloquence et son courage militaire. Homme d’Etat en avance sur son temps, il eut le tort de vouloir réaliser ses projets avec hâte. Autoritaire jusqu’à la violence, il exigea trop de ses sujets. A la fin, même la finance italienne se lassa de l’aider, à commencer par les Médicis. Pourtant, le duc Charles fut, aussi, à diverses reprises, secondé par les finasseries de Louis XI. Bref, il vit loin et grand, trop sans doute, et pour cette raison recueillit le surnom de Téméraire.

Le roi de France perdit la première partie, à Montlhéry, puis lors de l’humiliante entrevue de Péronne (9-14 octobre 1468). Venu imprudemment chez son adversaire, Louis XI dut accepter, sous la pression physique et morale, toutes les exigences de Charles. Louis s’engagea à appliquer les traités d’Arras et de Conflans, accepta d’assister à la répression de Liège, sa fidèle alliée, renonça pour l’avenir, à la juridiction du parlement de Paris sur la Flandre, ce qui équivalait à l’affranchissement du comté de l’autorité royale.

Cependant, le roi rapportait de Péronne deux atouts : la servilité de plusieurs serviteurs de Charles, à commencer par Commynes, qu’il avait corrompus ; la nullité d’engagements consentis sous la violence. Habilement, le roi la fit constater par une assemblée tenue à Tours en novembre 1470. Ayant, entre-temps, financé la restauration d’Henri VI, Louis XI l’espérant durable, escomptait soutirer à Charles l’alliance anglaise.

Après 1468, 1472 fut une année dure. Charles retrouvait l’alliance d’Edouard IV, définitivement restaurée, bénéficiait de la brouille de Louis XI avec les Couronnes de Castille et d’Aragon (Rois Catholiques). Le Téméraire tissait des liens d’une coalition étrangère qui se ramifiait à l’intérieur auprès du frère du roi, Charles de France, et des ducs de Bretagne et d’Armagnac. Charles croyait atteindre son but.

Cependant, la patience du roi Louis trouva sa récompense. Quoique sévère puisqu’elle dévasta la Picardie et le pays de Caux en 1472, la campagne bourguignonne échoua devant Beauvais, dont héroïsme légendaire de Jeanne Laisné, dite Jeanne Hachette, illustra la résistance. Inopinément, Charles de France vint à mourir. Le comte d’Armagnac fut défait. Le duc de Bretagne traita séparément avec le roi. Quant à l’Empereur, Frédéric III, il finit par décevoir Charles en lui refusant la couronne royale, si ardemment convoitée (entrevue de Trèves, 1473).

La puissance bourguignonne était arrivée à la limite de ses moyens. En 1474, l’échec du siège de Neuss révéla l’affaiblissement dune force militaire. Au même moment, les villes des Pays-Bas résistaient aux exigences financières du duc. C’était au tour de Louis XI de renverser à son profit les positions diplomatiques. Sans peine, il suscita à Charles de nouveaux adversaires. Sigismond d’Autriche, les cantons suisses, les villes rhénanes, René II de Lorraine formèrent l’union de Constance (avril 1474). La défection anglaise, au traité de Picquigny, consterna le Téméraire. Pour limiter les dégâts, le duc de Bourgogne se résigna à conclure avec Louis XI une trêve à Soloeuvre (13 septembre 1475).

Charles croyait pouvoir redresser sa situation et la consolider en conquérant la Lorraine et mettre à la raison les cantons suisses. S’il chassa René II de son duché, les piquiers suisses lui infligèrent une double et sévère défaite à Grandson et à Morat (2 mars et 22 juin 1476). Le sol se dérobait sous ses pas. Le duc n’eut plus qu’environ 2000 hommes à opposer à René et aux Suisses à une faible distance de Nancy, le 5 janvier 1477. Le son des fameuses trompes d’aurochs des soldats des cantons d’Uri et d’Unterwalden sema la panique parmi les troupes bourguignonnes. Deux jours plus tard, on retrouva le cadavre de Charles. Le royaume était libéré d’une menace mortelle.

Des deux « cornes raides » qui menaçaient le roi de France, la Bourgogne était abattue, restait la Bretagne. Elle constituait une principauté beaucoup moins étendue et surtout moins riche que la Bourgogne. Le duc régnant François II (1458-1488) n’était pas de la trempe du Téméraire. Louis XI n’eut pas le temps d’agir de ce coté. Sa fille s’en chargea et, au lendemain de sa défaite, le vieux duc accepta (traité du Verger, 1488) d’expulser de ses Etats les ennemis du roi et de ne pas marier ses filles sans son consentement. La cause était gagnée par la royauté contre les grands princes territoriaux. Il n’y a plus qu’un souverain, le roi, et bientôt qu’un seul Etat, le royaume.

Agrandir le domaine royal

Le triomphe de la royauté sur les particularismes princiers ne pouvait être assuré définitivement que par l’union de leurs possessions au domaine de la Couronne. A cet égard, pendant la seconde partie du XVème siècle, l’extension du domaine fut aussi considérable que variées les modalités : confiscation, reprise, héritage, dotation matrimoniale, … Le domaine continua à s’élargir au-delà même des limites anciennes du royaume, sous l’impulsion d’une conscience de plus en plus claire des frontières naturelles de la région française.

Mais les grandes acquisitions résultèrent de la triple succession de Bourgogne, d’Anjou et de Bretagne.

La fille du Téméraire, Marie de Bourgogne n’ayant que treize ans à la mort de son père, la tutelle et la garde revenaient de droit au roi. Mais usant hâtivement de ses droits, le roi fit immédiatement occuper, outre le duché, l’Artois et la Picardie, le comté de Bourgogne et Cambrai, sis en terre d’Empire. Marie ne pouvait plus compter de sujets fidèles qu’aux Pays-Bas et de protecteur qu’en la personne de son autre seigneur, l’Empereur. Voilà pourquoi elle accepta la main de Maximilien de Habsbourg, fils de Frédéric III (18 août 1477). Contre ce dernier, Louis XI soutint une guerre qui traîna cinq ans, sans conviction ni succès. Le hasard, de nouveau, servit la cause de Louis XI. Marie de Bourgogne mourut accidentellement. Maximilien se résolu à négocier en 1482 (à Arras, 23 décembre). Il renonçait définitivement à la Bourgogne et à la Picardie en faveur du roi de France et assignait en dot la Comté, le Maçonnais, l’Auxerrois et l’Artois à sa fille Marguerite, née de son union avec Marie, et alors âgée de trois ans ; celle-ci, fiancée au dauphin Charles, fut sans délai confiée à Louis XI, pour être élevée à la cour de France. Maximilien conservait tous les Pays-Bas, y compris la Flandre de langue française. L’Etat bourguignon était disloqué.

La succession de la Maison d’Anjou s’ouvrit également avant la mort de Louis XI. Coup sur coup disparurent, sans héritier direct, le roi René (10 juillet 1480) et son neveu, Charles du Maine (11 décembre 1481). En dehors du roi de France, seul René II de Lorraine, neveu d’Isabelle, femme du roi René, pouvait élever quelques prétentions à sa succession. Les Beaujeu, en 1484, laissèrent le Barrois au Lorrain, moyennant quoi l’apanage angevin rentra dans le domaine royal ; s’y ajoutait la Provence, avec des prétentions, lourdes pour l’avenir, sur la couronne de Naples.

Louis XI n’aurait pas eu le temps, si la prudence lui avait fait défaut, de faire valoir ces droits en Italie ; mais il s’était inconsidérément engagé dans les complications successorales de l’Aragon.

Louis XI ne vécut pas assez pour voir s’ouvrir la succession de François II de Bretagne. Maximilien d’Autriche crut pouvoir renouveler avec la jeune Anne de Bretagne, héritière de François II en 1488, le coup qui avait réussi aux Pays-Bas. Mais la petite duchesse, un enfant de onze ans, était précocement résolue. Sans hostilité envers la France, elle ne voulait pas que la juridiction du parlement de Paris et la suffragance des évêques bretons à l’égard du siège de Tours portassent préjudice à l’autonomie du duché. Pour faire face à son suzerain, qui réclamait la « garde » du fief d’une mineure et envoyait une armée, Anne trouva l’aide des paysans bretons et les propositions intéressées des princes étrangers : Henri VII, les Rois Catholiques, Maximilien. Anne épousa Maximilien par procuration (1490), mais ne vit jamais ce mari fantôme, t moins encore ses troupes et son argent. Charles VIII, alors, entrait à Nantes. Anne accepta la solution française ; le mariage du roi et de la duchesse fut célébré à Langeais (décembre 1491). La Bretagne devait conserver ses institutions et, si le mariage était stérile, Anne épouserait le successeur de son mari. C’est ce qui arriva, puisque Louis XII épousa Anne en secondes noces, et que leur fille, Claude, en 1514, devint la femme de François 1er. Par trois mariages successifs, le duché fut uni à la Couronne.

L’avènement de Louis XII détermina la réunion des biens de la maison d’Orléans au domaine royal ; l’étendue de ce dernier coïncida désormais à peu près avec celle du royaume. La fortune des grandes principautés territoriales avait vécu et, par un singulier paradoxe, Louis XII bénéficia de l’ordre rétabli par ceux-là mêmes contre qui il avait naguère levé l’étendard de la révolte, lors de la Guerre folle. Les institutions avaient enfin retrouvé et parfait leur équilibre.

Restaurer l’ordre dans l’Etat

La restauration de l’Etat ne pouvait provenir que de l’autorité royale et seule une action continue, mai progressive, devait réussir. La mise au pas des princes n’en était qu’une condition.

La première tache avait consisté à rétablir la vie commune du nord et du midi de la France. La dualité administrative d’avant 1436 posa un problème d’institutions et de personnel. Dans les régions naguère occupées par les Anglais, deux titulaires du même office se trouvèrent face à face. Dès 1437, on avait restauré une chancellerie et des cours souveraines uniques en fusionnant celles de Bourges, Tours et Poitiers avec les éléments parisiens demeurés fidèles à Charles VII. En Normandie, il fallut résoudre le délicat problème des transferts de propriétés opérés pendant l’occupation au profit des Anglais et de leurs collaborateurs. Plus graves étaient les traditions particularistes des provinces recouvrées, Normandie et Guyenne, ainsi que les tendances régionales du Languedoc, de l’Auvergne, du Poitou, de la Champagne et même des pays environnant Paris. La centralisation monarchique était mise en cause.

Progrès de la fiscalité

L’œuvre commença, on l’a vu, par la récupération d’impôt et son affermissement, ainsi que par l’institution d’une armée permanente. Les grandes lignes du nouveau système fiscal subsistèrent pendant plusieurs siècles.

L’ordre dans la justice

La guerre terminée, le roi affirma qu’il était maître de la justice et source de tout pouvoir. La grande ordonnance judiciaire de Montil-lès-Tours (1454) montre l’efficacité restaurée de la volonté législative du roi. Nomination de magistrats, exercice de leurs fonctions, règles de procédure, sont fixés. La publication des coutumes de Bourgogne (1459) inaugura la rédaction du droit coutumier, oral jusque-là. Un heureux compromis s’établit entre la centralisation et le respect des diversités locales. Le parlement de Paris, avec ses chambres multiples, retrouva son prestige et son rôle de juridiction suprême. On borna son ressort en dotant de parlements Toulouse (1443), Grenoble (1453), Bordeaux (1462), Perpignan (1463), Dijon (1477), et en conservant l’Echiquier de Rouen et la cour d’Aix-en-Provence.

Tout dépendait du conseil du roi ; diverse, tempérée par ses propres agents, la monarchie tendait à la centralisation ; elle devint autoritaire sous Louis XI, absolue sous ses successeurs.

Le clergé en tutelle

Astreint par le serment du sacre à protéger les églises, le roi attendait, en retour, la fidélité du clergé. Sans contester l’autorité du pape, la pragmatique sanction rendait au gouvernement royal le contrôle de l’Eglise de France. Le roi pourrait recommander ses candidats aux élections bénéficiales ; les bulles pontificales ne seraient pas publiées sans sa permission ; les appels en cour de Rome seraient limités ; la régale maintenue au profit du roi. La pragmatique ayant été établie unilatéralement, le Saint-Siège lutta sans cesse pour son abrogation.

Prenant le contre-pied de son père, Louis XI n’avait pas appliqué la pragmatique en Dauphiné et l’abrogea à son avènement, quitte à en rétablir par ordonnances les principales dispositions.

Refaire la fortune des Français

La guerre n’était pas seule responsable de la ruine, et la dépression économique commune à tout l’Occident freina la reprise pendant plus d’un quart de siècle après la fin des hostilités. Les efforts fournis ne porteront leurs fruits qu’à la génération suivante.

Restauration des campagnes

Dès la trêve de 1444 comme à chacune des accalmies survenues au cours de la guerre de Cent Ans, les initiatives individuelles concoururent à repeupler et à remettre en culture les terres dévastées. La population semble progresser.

La réoccupation des terres exigeait la remise des propriétaires en possession de leurs biens. Une ordonnance y pourvut en faveur des victimes de spoliations ennemies. Pour attirer et retenir les paysans, les seigneurs leur consentirent des contrats libéraux d’un type nouveau, comportant allégement temporaire ou perpétuel des cens et des redevances, transformation des services en rentes de taux réduit, fourniture par le propriétaire du cheptel et de l’outillage, moyennant quoi le preneur s’engageait à essarter et à marner les terres. Des lots de défrichement furent accordés à des paysans isolés ou à des groupes de colons. D’une façon générale, vu la médiocre valeur des terres, la durée des baux s’allongea jusqu’à celle d’une ou deux vies. Le régime seigneurial acheva de perdre ses caractères originels. Privé par la royauté de plus clair de ses attributions judiciaires et militaires, le seigneur ne fut plus qu’un « rentier du sol ».

Il est indéniable que l’agriculture, en général, connut un progrès. Progrès lent, cependant, comme tous les phénomènes du monde rural. Le relèvement agricole était freiné par la médiocre technique, prohibitive de bons rendements, par des charges fiscales excessives et croissantes, par la médiocrité des échanges, par le taux inférieur des prix des denrées agricoles.

Reprise industrielle

Il en était de même de la production des métiers. Sans doute, au lendemain de la guerre, les fabrications traditionnellement réputées se raniment assez rapidement, surtout la draperie. On pensa leur rendre leur ancienne prospérité en aggravant les statuts des métiers. Sous le seul règne de Louis XI, on publia près de 70 règlements de métiers.

De nouvelles industries se développèrent. Jean Gobelin pratiqua à Paris la teinture des tapisseries auxquelles il a légué son nom. L’imprimerie fut introduite en France, à Lyon et à Paris, où la Sorbonne en fut la première dotée en 1470. Dans le domaine industriel comme dans celui du commerce, nombre d’initiatives sont redevables à Jacques Cœur.

Renouveau commercial et assainissement monétaire

Les faits précédents montrent combien les hommes du XVème siècle étaient sensibles à l’aspect monétaire et commercial de l’économie. L’éphémère fortune de Jacques Cœur illustre la génération des nouveaux riches issue de la guerre de Cent Ans.

L’aventure de Jacques Cœur frappa les contemporains, et c’est à ses serviteurs et à ses émules, dont Louis XI s’entoura, que le roi dut sinon de pratiquer une « politique économique », du moins d’avoir des « vues d’économiste ». Avec leur conseil, Louis XI protégea le commerce. Le commerce extérieur était la grande affaire : avoir de l’or, vendre et ne pas acheter. Louis XI ajouta l’interdiction d’exporter des métaux précieux. Pour concurrence les foires de Genève, il favorisa celles de Lyon et y attira les banquiers florentins ; pour ruiner celles de Bruges et d’Anvers, il fonda celles de Caen et de Rouen. Il lutta contre la concurrence monétaire anglo-bourguignonne et, décriant les espèces étrangères, émit une monnaie forte, l’écu au soleil (novembre 1475).

L’unité de la nation

Sans le support de la conscience nationale, la reconstruction de la France eut été apparente et fragile. La conquête et l’occupation avaient contribué à définir, par contraste avec l’étranger, la communauté des manières de sentir, de penser et d’agir.

L’unité de la langue tendit à devenir un élément de l’unité française. En Bretagne, comme dans les pays occitans, où les dialectes se différencièrent, le français fut langue officielle, comme en pays de langue d’oïl. Substitué au latin dans les actes de la chancellerie vers 1450, le français gagna en étendue et en profondeur par l’action des officiers du roi, surtout dans les parlements.

Les états généraux de 1484 furent une expression de l’unité française. Représentation nationale : le terme « généraux », employé pour la première fois, convenait à l’assemblée de deux cent cinquante députés des trois ordres de tout le royaume ; seule, la Bretagne n’avait délégué que des observateurs. Les représentants des villes jouèrent un rôle prépondérant. Doléances nationales : six bureaux régionaux fondirent les plaintes communes en un cahier unique. Esprit national aussi : on insista sur la nécessaire rédaction des coutumes.

Libérée des hypothèses d’un passé récent, et pas encore engagée profondément dans des aventures extérieures, la France semblait reprendre souffle et pouvait se permettre de regarder en avant.

II.               LES DEBUTS DE L’EXPANSION

De nouvelles jeunesses

Les familles rurales devenaient de plus en plus nombreuses et le partage successoral morcelait les terres. En beaucoup de paroisses, il fallut agrandir ou réédifier l’église, devenue exiguë. La population urbaine crut de même L’immigration étrangère se développa à partir de 1480.

L’attrait de l’aventure et de la gloire : les guerres d’Italie

Vers 1490, la France semblait n’avoir plus qu’à faire mûrir les fruits de sa reconstruction. Elle jouissait de la paix intérieure. Aucune rivalité aigue n’opposait la France à ses voisins. Charles VIII régla ses difficultés avec Maximilien par le traité de Senlis (1493). A l’égard de Ferdinand d’Aragon, Charles préféra lui restituer le Roussillon (traité de Barcelone, 1493).

L’attraction italienne

Louis XI avait recueilli dans la succession du roi René les prétentions de la maison d’Anjou sur l’héritage de la reine Jeanne de Naples. L’entrée de Valentine Visconti dans la famille d’Orléans avait donné à cette maison la possession du comté d’Asti et des droits sur Milan, à faire valoir aux dépens de la dynastie usurpatrice des Sforza. Gènes, sous Charles VI, avait sollicité et accepté, pendant plusieurs années, la domination française. Comme dauphin, Louis XI avait pratiqué une politique savoyarde, puis, comme roi, entretenu une correspondance régulière avec Ludovic Sforza.

Rien de ce qui était italien ne pouvait laisser personne indifférent. L’éclat de la civilisation, à l’époque de Laurent le Magnifique, mettait à la mode tout ce qui venait de la péninsule.

Mais au milieu du chaos permanent mal corrigé par la paix de Lodi, les Italiens eux-mêmes sollicitaient l’intervention étrangère. De la poussière de principautés d’inégale petitesse, cinq Etats se détachaient, trop faibles pour absorber les autres, trop forts pour se laisser absorber. Contre Ferdinand 1er, bâtard d’Aragon et tyran fantasque, la noblesse napolitaine invita Charles VIII à faire valoir ses droits. A Florence, Savonarole prophétisait la venue du roi de France, envoyé de Dieu pur châtier les mauvaises mœurs de la Florence médicéenne. De Milan, Ludovic Sforza, dit « le More », sollicita l’alliance de Charles VIII pour l’aider à conserver le duché usurpé à son neveu Jean-Galéas, gendre du roi de Naples.

A l’invitation italienne, tout un milieu, à la cour de France, était disposé à répondre.

La mort du roi de Naples, en janvier 1494, fournit à Charles VIII l’occasion d’annoncer sa décision de faire valoir ses droits. Alors commencèrent les préparatifs.

Charles VIII à Naples

On besogna hâtivement. Le Trésor ne suffisait pas ; il fallut recourir, non sans difficulté, au crédit des banquiers lyonnais. Un gros effort militaire fut accompli ; la jeune noblesse française, envieuse des lauriers des vétérans des guerres anglaises, se concentra à Lyon en juillet 1494. C’était encore une armée toute médiévale. Une flotte fut concentrée à Gênes, occupée par le duc d’Orléans dès le début des opérations (juin 1494).

En cinq mois de marche triomphale, presque sans combattre, le roi de France traversa l’Italie. Charles VIII rencontra Ludovic à Pavie, libéra Pise, sujette de Florence depuis 1406. A l’approche du roi, Pierre II de Médicis, très impopulaire, et Alexandre VI, craignant d’être déposés, tremblaient. Pierre traita, mais fut chassé par l’émeute ; Charles VIII fit dans la ville une entrée spectaculaire. Rapprochement inattendu et paradoxal : Charles VIII, dont la présence à Florence venait de légitimer la « dictature », violemment réformatrice, de Savonarole, assura le trône du pontife.

Charles VIII poursuivait la réalisation des rêves de la chevalerie qui l’entourait. Le roi de Naples, Alphonse II, abdiqua et s’enfuit en Sicile. Charles VIII entra à Naples le 22 février 1495, portant le manteau impérial et la quadruple couronne de France, Naples, Jérusalem et Constantinople. A la gloire s’ajoutèrent les profits. Tout souriait à l’ardente jeunesse des conquérants.

Face à l’invasion étrangère qu’ils avaient appelée eux-mêmes, les Italiens prenaient conscience de leur communauté nationale. Ce fut la « ligue de Venise » (mars 1495).

Charles VIII sut parer le coup. Il laissa à son cousin Gilbert de Montpensier la garde du royaume de Naples. L’ardeur combative de ses troupes lui permit de bousculer les coalisés, au défilé de Pontremoli, près de Fornoue (5 juillet 1495). A la fin de septembre, le roi était de retour. Gilbert de Montpensier, privé de renforts, attaqué par les Espagnols de Ferdinand d’Aragon, fit son devoir, mais perdit Naples (février 1496).

La sagesse eut conseillé de ne pas renouveler son expérience malheureuse. Il n’en fut rien. Charles VIII préparait une autre expédition, lorsqu’il mourut accidentellement à Amboise (8 avril 1498). Il projetait avec Ferdinand d’Aragon un partage de l’Italie.

Louis XII à Milan et à Naples

Dans la question italienne, Louis XII fit preuve de vues aussi courtes que son prédécesseur. Louis XII était prêt à beaucoup de sacrifices et de compromis pour dominer l’Italie, au moins dans sa partie septentrionale, voisine immédiate du royaume. Il eut affaire, il est vrai, à des adversaires redoutables, Ferdinand le Catholique et le pape Jules II, par qui il sa laissa manœuvrer. Son principal conseiller, homme de grand talent, le cardinal Georges d’Amboise, lui épargna bien des faux pas, mais, comme tous ses contemporains, il avait les yeux fixés sur l’Italie et rêvait de la tiare.

Dès son avènement, Louis XII rompit avec l’attitude amicale de son prédécesseur envers Ludovic Sforza et prit le titre de duc de Milan, auquel son ascendance Visconti lui donnait droit.

Comme Charles VIII en 1494, il s’assura la neutralité des princes, particulièrement de l’Empereur, oncle de Ludovic le More et suzerain de Milan. Un échange de mutuels services, l’annulation du mariage avec Jeanne de France, d’une part, et la donation à César Borgia du duché de Valentinois, d’autre part, assurèrent à Louis XII la complaisance d’Alexandre VI. Les cantons suisses promirent des mercenaires. Venise, toujours antimilanaise, s’allia au roi, à charge de partager les conquêtes.

Une première occupation de Milanais, réalisée en trois mois (aout-octobre 1499), fut interrompue par un retour éphémère de Ludovic à la tête de renforts allemands et suisses (février-mars 1500). La Trémoille rétablit la situation. Ludovic, capturé à Novare (avril 1500), fut envoyé, dans une cage de fer, finir lamentablement ses jours au château de Loches. Georges d’Amboise, chargé d’organiser la conquête, laissa sagement aux Milanais une part de l’administration ; cela permit à la domination française de subsister, sans heurts sérieux, pendant douze ans.

La facilité de la conquête du duché de Milan et le prestige qui en résultait auprès des princes italiens firent illusion à Louis XII. Il comptait sur Venise, avec qui une flotte française tentait, dans l’archipel, un dernier effort de croisade (1499-1501). Il ne pouvait prévoir que la mort prochaine d’Alexandre VI (18 août 1503) le priverait de l’aide de César Borgia, imprudemment encouragé à concentrer sous sa loi les territoires de l’Italie centrale. Louis XII fit alors confiance à Ferdinand d’Aragon et négocia avec lui un projet de partage du royaume de Naples analogue à celui qu’il avait combiné avec Venise pour le Milanais (traité de Grenade, 11 novembre 1500). Marché de dupes. Ferdinand, déjà maître de la Sicile, ne dissimulait pas ses ambitions. La collaboration ne dura pas longtemps. Si Louis XII détint l’acte authentique de l’abdication consentie en sa faveur par Frédéric d’Aragon-Castille, roi de Naples, Gonzalve de Cordoue, chef de l’armée espagnole, entreprit d’agrandir la part dévolue à son maître En dépit d’un nouvel accord signé à Lyon, les escarmouches dégénérèrent en guerre ouverte. Une diversion en Roussillon, l’envoi à Naples de renforts par mer et par terre, des exploits individuels tels que la défense du pont de Garigliano par Bayard, n’empêchèrent pas la défaite. Le vice-roi, le duc de Nemours, perdit Naples ; Gaète capitula. Louis d’Ars réalisa une étonnante retraite avec le dernier contingent français. L’honneur était sauf, mais Naples définitivement perdue (1504). Entre-temps, l’influence française s’était considérablement affaiblie à Rome, du fait de l’élection du pape Jules II et de l’éviction de César Borgia.

Les hésitations françaises

Louis XII perdait l’initiative de sa politique. Gravement malade en 1504 et 1505, il voulut mettre ordre à ses affaires. La reine Anne, toujours déçue dans son espérance de donner un dauphin au roi, ne pouvait pas supporter la présence du jeune et brillant François d’Angoulême, héritier présomptif, que couvait l’orgueil maternel de Louise de Savoie. L’enjeu de leur rivalité était la main de Claude de France, héritière de la Bretagne. Anne ne voulait donner au fils de son ennemi ni sa fille ni sa patrie.

L’influence d’Anne triompha d’abord. Trois traités à Blois, avec l’Empereur, en septembre 1504, promirent au roi l’alliance impériale contre Venise et l’investiture du Milanais en échange des fiançailles du petit-fils de Maximilien, Charles (futur Charles Quint), avec Claude de France.

Des circonstances imprévues déjouèrent un projet aussi funeste à l’unité du royaume et liquidèrent de façon honorable la question de Naples. Louis XII profita du désir de Ferdinand d’Aragon, veuf d’Isabelle, de se remarier avec une princesse française ; le roi espagnol épousa Germaine de Foix, à qui son oncle, le roi de France, céda ses droits sur Naples, moyennant une indemnité de 900 000 florins à la charge de Ferdinand (1505). Mieux encore, Louis XII céda à l’influence du parti Angoulême et rompit le projet de mariage autrichien. Claude de France fut mariée à son cousin François. Le roi expliqua aux princes autrichiens que le serment des rois de France est si fort que ce qu’ils peuvent promettre est nul ensuite, si cela est contraire au bien et à l’utilité du royaume.

Louis XII au service de Jules II : la ligue de Cambrai

Le redressement accompli en 1506 par le gouvernement français, l’énergie déployée dans la répression d’une insurrection génoise en 1507, ouvraient à Louis XII la possibilité de dominer les affaires italiennes. Ferdinand recherchait son amitié (entrevue de Savone, juin 1507) ; Jules II redoutait la conjonction des forces franco-espagnoles. Ne pouvant pas, pour l’instant, réaliser son dessein de chasser les « Barbares » d’Italie, le pape résolut de les utiliser. Pour mater Venise, qui détenait certains de ses territoires, il parvint à grouper, dans la ligue de Cambrai (10 décembre 1508), la France, l’Espagne, l’Empereur. En fait, l’armée française, récemment renforcée de compagnies régionales, origine de nos régiments (ordonnance du 12 janvier 1509), porta seule le poids de la lutte ; elle eut, seule aussi, le mérite de la victoire d’Agnadel (14 mai 1509) ; le profit, cependant, ne fut que pour Jules II : Venise se soumit et fut pardonnée. Il n’entrait pas dans les vues de Jules II de récompenser les services rendus. Puissant, le roi de France pouvait être utile ; vainqueur, il devenait dangereux. Le pape voulait-il dominer l’Italie ou seulement affranchir le Saint-Siège d’un voisin qui deviendrait son tuteur ?

Jules II contre Louis XII : la Sainte Ligue

L’opinion française, fortement attachée au Saint-Siège, ressentit douloureusement les sanctions canoniques dont le roi et la France entière furent l’objet. Jules II détestait Louis XII.

La guerre contre Venise à peine terminée, Jules II retourna contre le roi une coalition groupant Ferdinand, Henri VIII, Venise et les cantons suisses. Ce fut la Saint Ligue (5 octobre 1511). L’armée française fut commandée par un chef de génie, un neveu du roi, Gaston de Foix, âgé de vingt-deux ans seulement. Une tactique d’usure refoula les Suisses dans leurs montagnes. De vive force, en hiver, Gaston rompit le siège de Bologne, entrepris par les Espagnols et les Pontificaux. Dix jours après, il reprit Brescia aux Vénitiens. Gaston de Foix trouva enfin la gloire, et la mort, sur le champ de bataille de Ravenne (11 avril 1512). La victoire de Ravenne ne procura cependant qu’un répit à Louis XII. La Palice évacua le Milanais sous la pression des Suisses ; Maximilien Sforza récupéra le trone de ses pères et refoula la dernière tentative française à Novare, en juin 1513. Maximilien avait adhéré à la Saint Ligue (19 novembre 1512), et Henri VIII sur les arrières duquel Louis XII tentait de lancer les Ecossais, débarqua à Calais le 1er juillet 1513. L’invasion menaçait : Ferdinand en Navarre, les Suisses devant Dijon, les Impériaux et les Anglais dans le nord. Il fallait en finir

La pacification

Tout le monde était las d’une guerre dont on avait perdu de vue les objectifs premiers. La disparition de Jules II (21 février 1513) et l’élection d’un pape pacifique, Léon X (11 mars 1513), contribuaient à éclaircir l’horizon. Louis XII se réconcilia avec le nouveau pape en janvier 1514. La mort d’Anne de Bretagne (9 janvier 1514) permit la célébration du mariage de Claude de France et de François d’Angoulême ; la politique du Conseil royal se trouva clarifiée. Dès 1513, Louis XII avait traité avec Venise et signé une trêve avec Ferdinand ; La Trémoille avait négocié la retraite des Suisses. Henri VIII accepta de conclure paix et alliance, et même de donner sa sœur Marie en mariage au roi de France ; la guerre de Cent Ans était un lointain souvenir. Seul restait en ligne l’empereur Maximilien, encouragé par les sentiments anti-français qu’éprouvaient sa fille Marguerite.

Louis XII ne jouit pas longtemps de la paix et des charmes de sa nouvelle épouse, beaucoup plus jeune que lui. Le bilan de tant de guerres et de dépenses était nul ; mais il fallait que la France fut redevenue prospère pour les avoir supportées sans dommage.

L’accélération économique

C’est vers 1480 que l’on peut percevoir les effets de l’effort accompli depuis la fin de la guerre de Cent Ans.

Progrès de la production

L’économie est très régionalisée. Chaque province pratique culture, élevage, exploitation forestière, tannerie et tissage. On cherchait à produire mieux et à gagner davantage. Ainsi s’appliquait-on, parfois, en vue de la commercialisation des produits du sol, à adapter les cultures à la nature des terroirs. De riches exploitations d’Ile-de-France puirent s’offrir la nouvelle charrue, « toute de ferraille » et montée sur deux roues. Partout la production augmenta. La valeur de la terre ne cessa de s’élever.

De telles circonstances profitaient au producteur. L’époque de Louis XII vit augmenter le nombre des paysans propriétaires. Mais, à coté des « laboureurs aisés », il y avait un nombreux prolétariat d’ « ouvriers de bras ».

Pour l’ensemble de la masse paysanne, les conditions de vie restaient dures, mais beaucoup moins qu’aux temps de la guerre et de la fiscalité de Louis XI. Pour les générations suivantes, accablées par les charges de la lutte contre Charles Quint, le quart de siècle écoulé entre la régence des Beaujeu et la fin du règne de Louis XII représentait le bon vieux passé.

Les arts mécaniques, aussi, augmentèrent leur fabrication. Les textiles restaient au premier rang, mais se renouvelaient. La nouvelle draperie des faubourgs utilisa la laine castillane, substitua le rouet à la quenouille, foula au moulin et non plus au pied, acheta l’alun espagnol et teignit « en couleurs joyeuses » ; elle fabriqua en trois semaines ce qui se faisait en cinq. La production surpassa les besoins locaux ; on exporta. L’industrie du livre bénéficia du rayonnement de l’imprimerie.

D’autres signes traduisent le progrès industriel. La multiplication des forges risquait de dévaster les forets, dont le roi dut régler l’exploitation. Pour limiter les sorties d’or et d’argent qu’exigeait l’acquisition des matières premières, on prospecta le sous-sol français.

Parmi les apports de la nature à la richesse française, le sel était l’un des principaux. Les cotes vivaient de la pêche.

Intensification du commerce

Parmi les aspects de la vie économique française, les progrès du commerce sont, à coup sur, les moins mal connus.

Le réseau routier, très développé depuis Louis XI, constituait déjà autour de la capitale un véritable réseau. Des pèlerins allaient de Rouen à Lyon en douze jours ; un convoi de mulets faisait en un mois l’aller et retour de Lyon à Marseille. Les bateliers des quatre grands fleuves formèrent de puissantes associations.

Les échanges habituels avec l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Espagne et le Portugal s’intensifièrent. A l’époque de Charles VIII et de Louis XII, le commerce maritime constituait l’une des ressources fondamentales du pays. La renaissance économique commeça dès la fin du XVème siècle.

Les « Nouveaux Messieurs »

Les bénéficiaires de la prospérité furent les familles bourgeoises. La richesse s’est concentrée entre leurs mains, pendant trois générations successives, chacune renchérissant sur la précédente. Non contents de détenir le capital, les bourgeois mirent la main sur les institutions municipales, ils peuplèrent conseils et offices. Aux offices urbains, ils ajoutèrent en faveur de leurs enfants, les offices royaux et les bénéfices ecclésiastiques.

La bourgeoisie accéda enfin à l’entourage du roi.

Un nouveau décor de la vie

Le retour à la paix et le rétablissement économique permirent à la vie urbaine, aux mœurs, à l’art, à la littérature, d’exprimer le charme d’une existence dont les contemporains des troubles et des guerres n’avaient gouté que l’âpre saveur, avec une hâtive frénésie. Les hommes jeunes de la génération de Charles VIII croyaient en l’avenir, et la clarté italienne vint renouveler leur confiance.

Le décor de la vie s’est transformé dans le sens du mieux-être, du confort, voire du luxe, avec un caractère ostentatoire. Dans le costume d’abord. Les draps lourds cédaient la place à la fine draperie, aux soieries, au linge délicat, façon de Damas ou de Venise, aux belles fourrures. Les hommes aimaient les chemises bouffantes, les robes amples de velours ou de soie brochée d’or, les ceintures d’argent et les bijoux. Les cours princières constituaient des foyers d’élégance. Luxe de l’alimentation : abondance de viandes, plats raffinés, vins fins, fruits exotiques, sucreries. Mobilier soigné : buffets et coffres sculptés, tables en bois de cyprés, ivoires, vases d’étain, tapisseries ornaient les demeures bourgeoises.

Depuis le milieu du XVème siècle, la maison urbaine s’embellit. La maison garde son pignon, mais gagne en élévation. Les villes, ainsi, s’embellissent et l’urbanisme nait. On pave les rues de pierre, on reconstruit les halles, on éloigne les abattoirs, on multiplie les fontaines. L’architecture civile prend son essor, mais la part de Dieu reste la plus grande. Les moindres villages ont rebati leurs églises dévastées, et les villes marchandes ont construit à la mesure de leur richesse. Les articulations recherchées de la voute et l’exubérante floraison sculpturale des feuillages et des choux frisés, la complication des arabesques expriment l’opulence retrouvée et la joie de vivre autant que, naguère, la psychologie tourmentée des temps troublés.

Le château, en même temps, évolue. Une fois la paix revenue et en face d’une artillerie en progrès, la haute cuirasse de pierre, sans ouvertures, humide et triste, ne répond plus aux exigences de la vie. Le donjon devient un belvédère et une terrasse ; au chemin de ronde succèdent les galeries ouvertes, propices aux cent pas ; les meurtrières font place aux baies à meneaux sculptés et des gables ajourés les surmontent ; des rampes courent au long des toits ; la décoration n’épargne pas les cheminées ; l’alternance de la brique et de la pierre fait jouer la lumière.

Les « sensations » d’Italie pénétrèrent lentement, surtout dans l’architecture. Le style flamboyant conserva dans la Nord et en Bretagne une vogue durable, et les apports antiques furent, d’abord, seulement des accessoires. En dépit de la présence d’artistes italiens embauchés par Charles VIII, Louis XII et Georges d’Amboise, la forme extérieure évoluait, mais l’esprit de la construction restait médiéval.

On ne méprisait pas encore les traditions de l’art médiéval, mais les façons italiennes étaient à la mode.

Prélude à l’humanisme

Dans le domaine des travaux de l’esprit, la synthèse entre la tradition médiévale et les formes nouvelles semble avoir été plus lente. La culture humaniste trouvait ses premiers adeptes. Le gout des classiques se diffusait.

Renouvellement des aspirations religieuses

Lentement aussi, la pensée et la sensibilité religieuses cheminaient vers une épuration et un renouveau.

L’inquiétude de la mort fut, jusqu’à la fin du XVème siècle, une dominante de la mentalité religieuse.