Les institutions civiles dans l'Occident médiéval

La Monarchie

Tous les Etats barbares constitués en Europe à partir du Ve siècle sont soumis à l’institution monarchique. Celle-ci fait l’objet essentiellement d’une loi coutumière. Ce fut ensuite que ces usages furent codifiés. D’abord chef de bande, le roi assied son pouvoir avec la conquête, et, d’abord élu par ses pairs, accède ensuite au pouvoir soit par hérédité (Francs, Anglo-saxons, Ostrogoths) ; soit, après une période brillante où les souverains imposent leur postérité, une période d’anarchie durant laquelle les chefs acquièrent la dignité royale par les armes (Wisigoths, Lombards).

Dans la période de conquête, le fondement de l’autorité monarchique se trouve dans la bravoure et la victoire ; dans la période d’enracinement territorial, il réside dans la propriété du sol. Cependant, chez les peuples venus de Germanie, Francs et Anglo-Saxons, le roi, à partir du moment où il était investi, devenait un personnage sacré.

Chez les Mérovingiens, le pouvoir royal, or celui de lever les impôts, se manifestait par des prérogatives issues de traditions germaniques. La principale était le mainbour (de Mund, bouche, et Burde, le fardeau, la charge, qui signifiait aussi « le commandement »). Elle consistait dans le pouvoir de donner des ordres sans contestation. On en trouvait une variante avec le ban (du vieil allemand intérêts, ordre, commandement), pouvoir de commandement à la fois administratif, judiciaire et financier. Pratiquement le ban était une proclamation : la bannière l’oriflamme qui précédait la troupe ; mais aussi bannir, on devenait for-ban.

L’autorité royale se manifestait en outre par des éléments ajoutés aux traditions originelles. L’un était romain, et consistait en un décorum emprunté aux usages de l’Empire.

Un autre aspect sensible du pouvoir monarchique consiste, à partir du baptême de Clovis, dans la consécration du roi par le pouvoir ecclésiastique. Grégoire de Tours rapporte qu’après son baptême, Clovis reçut de l’évêque Rémi une onction avec le saint Chrême. On interpréta ensuite que cette onction était celle que David reçut quand il fut consacré roi du peuple élu. En réalité, le sacre royal fut inauguré par les Carolingiens. Ce fut Pépin le Bref qui demanda cette consécration à saint Boniface, archevêque de Germanie. Le pape Etienne II la renouvela pour lui et ses deux fils. Mais la cérémonie complète du sacre commença avec Louis le Bègue (877-879), fils de Charles le Chauve, et ce fut la reine Richilde, sa mère, qui en eut l’initiative, en apportant, pour lui conférer son pouvoir, l’épée, la couronne, le sceptre et le manteau de Charlemagne. Mais il fallut attendre Charles V, par un règlement publié en 1365, pour fixer officiellement les rites de la cérémonie.

Le règlement de Charles V rendait la cérémonie obligatoire à Reims, et par archevêque, en souvenir du prétendu sacre de Clovis. Cependant, Reims n’avait jamais été, ni sous les Carolingiens, ni sous les Capétiens, une obligation. De même, le ministre du sacre ne fut pas toujours archevêque de Reims. Cependant, se rappelant que la monarchie était élective, les premiers Capétiens prirent soin de faire sacrer leurs fils de leur vivant, imitant en cela les Carolingiens.

La couronne était l’un des insignes nécessaires de la royauté, qui datait des empereurs romains. A l’époque féodale, les grands vassaux, puis les autres, portèrent une couronne dans les cérémonies ; mais elles étaient distinctives de leurs dignités. Le couronnement du roi était différent du sacre ; plus exactement, il était pour les rois de France, l’un des rites du sacre, pour les autres la légitimation de la royauté, qui n’avait pas besoin de sacre. En France, la couronne imposée aux souverains était la couronne dite « de Charlemagne », sorte de mitre surmontée d’un globe et d’une croix. En réalité, elle était de l’époque capétienne, probablement du règne de Louis VII.

Au fur et à mesure de l’implantation, les principaux chefs de guerre se transformaient en administrateurs, soit en assistant le souverain au pouvoir central (palatins), soit en exerçant le pouvoir sur une province. Au VIe siècle, les Mérovingiens trouvèrent leurs généraux chez les guerriers germaniques, les administrateurs chez les Gallo-romains. Dès la fin du siècle, notamment chez Gontran, roi de Bourgogne, on trouva des chefs de guerre chez les Gaulois et des hauts fonctionnaires chez les Francs. Mais ce furent Clotaire II et Dagobert qui formèrent à Paris un véritable gouvernement. Le roi demeure la seule autorité, dont se réclament ses conseillers (ce qu’on appellera plus tard des ministres, nom qui signifie serviteurs), avec une organisation : le référendaire est une sorte de premier ministre qui exerce surtout une fonction législative ; l’autre conseiller important est le trésorier royal, sorte de ministre des finances.

Sous l’autorité de l’administration centrale se développe une administration territoriale, exercée par les comtes au nom du roi. Les titres de comte (comes = compagnon du roi) et de duc (dux = conducteur d’armée) signifient à l’origine des fonctions différentes, l’une civile, exercée par les gouverneurs de provinces, l’autre militaire, exercée par des généraux. Mais les comtes eurent bientôt un pouvoir militaire dans leur circonscription, et les ducs se virent attribuer des responsabilités administratives régionales, au-dessus des comtes.

Dès la fin du VIe siècle se transforme, dans le gouvernement des Mérovingiens, la fonction de maire du palais : le premier de la Maison du Roi. C’était au départ un fonctionnaire chargé de l’organisation du palais royal et de la gestion de la fortune royale ; mission de confiance qui en engendra de plus officielles : d’abord tuteurs des rois mineurs, les maires du palais en devirent les premiers ministres, sortes de vice-rois.

Charlemagne porta à son sommet l’administration. Dans celle du palais, l’officier le plus important était l’apocrisiaire, préposé aux affaires ecclésiastiques. Il avait pour premier adjoint l’archichancelier, qui était une sorte de secrétaire, chargé de la rédaction des actes royaux. Venaient ensuite le chambrier, le comte palatin (pour la justice), le sénéchal, le bouteiller, le connétable, le maître des logis, les veneurs et le fauconnier.

La limitation des pouvoirs : assemblées légales et chartes


Sous Charlemagne, l’administration du royaume était conférée à deux assemblées, qui traitaient l’une des affaires de l’année courante, l’autre des affaires de l’année suivante. Ces assemblées étaient composées de deux sortes de membres : les grands et les conseillers, consultés les uns en considération de leurs fonctions, les autres en considération de leur sagesse. Elles délibéraient sur un ordre du jour précis, préparé par le roi. Charles gouvernait par ordonnances appelées capitulaires, qui habituellement suivaient ces assemblées, dont il avait tiré le plus grand fruit. Les ordres étaient portés dans les provinces par les Missi dominici, qui s’y rendaient par paires : un comte et un évêque.

A partir d’Henri l’Oiseleur (919-936), la monarchie germanique était considérée comme élective ; les grands (seigneurs et évêques) constituèrent une assemblée que le roi devait consulter avant toute décision importante. Cette assemblée fut, à partir d’Otton le Grand, la Diète d’Empire, du latin Dies indicta, le jour fixé, en allemand : Reichstag, « le jour de l’empire », c’est-à-dire le jour de sa réunion.


Il faut distinguer de la diète, à partir du XIIIe siècle, le collège électoral, qui se substitue à elle pour désigner l’empereur. Au milieu de ce siècle, sont princes électeurs, les archevêques de Mayence, de Cologne, et de Trèves, le prince palatin, le duc de Souabe, la margrave (marquis) de Brandebourg et le roi de Bohême.


Les chartes constituèrent une autre forme de concession de la part du souverain. Ainsi les Bulles d’or. La première est un code de droit constitutionnel qui réforme les traditions de la Hongrie (1222). Trois autres Bulles d’or furent l’œuvre de Charles IV de Luxembourg : la troisième d’entre elle surtout conférait des statuts à l’Etat germanique et confirmait la qualité des sept princes électeurs. Cette constitution eut force de loi pour l’Empire allemand jusqu’en 1806.


En Angleterre, le bretwalda, ou souverain supérieur de la confédération anglo-saxonne, non seulement n’agissait pas dans les choses graves sans consulter les autres rois, mais il était élu et contrôlé par une « assemblée de sages ».  Composée des compagnons du roi, les princes et les évêques, elle admit en son sein des nobles secondaires à partir du VIIe siècle. Il y eut alors deux classes de membres : ceux qui siégeaient et ceux qui restaient debout, comme il en advint ensuite lorsque les Lords et les Communes se réunissaient.


Par la Grande Charte de Jean sans Terre en 1215, ce roi lâche, incapable, débauché et criminel, il sauva son trône en signant une charte qui le privait de ses principales prérogatives : le clergé est dégagé de sa soumission au roi ; les nobles sont affranchis des droits fiscaux. Nul ne peut être emprisonné ou condamné à mort que par un jugement de ses pairs.


En Espagne, on vit apparaître, au XIIe siècle, les Cortes (cours), assemblées qui réunissaient les délégués de ce qu’on appela plus tard en France les trois ordres : clergé, noblesse, ville. La présence des députés des villes se comprend quand on sait qu’elles précédèrent la formation des royaumes, et que c’est grâce à leurs contingents que put avoir lieu la Reconquista.


En France, les états généraux furent des assemblées convoquées par le roi pour approuver ses projets, habituellement financiers. Ils réunissaient les trois ordres. Ce fut Philippe le Bel qui convoqua le premier les états généraux, selon une tactique chère à Frédéric Barberousse : faire approuver par toute la nation les actes royaux les moins admissibles en les lui présentant de façon tendancieuse.


Il convient de signaler ici la naissance etle développement, au Moyen Age, d’un Etat sans monarchie, la Suisse. Elle naquit de l’union des territoires compris d’abord dans la Lorraine carolingienne, puis dans le royaume de Haute-Bourgogne, constitué en 930, sous la tutelle de l’empereur.


La justice


Au Moyen Age, le souci de fixer les règles de la justice prend d’emblée une importance capitale, au point que les premiers recueils de lois s’apparenteront plus à un code pénal qu’à un code constitutionnel. Ainsi, le Bréviaire d’Alaric (506) promulgué par Alaric II sur le modèle du Code théodosien, afin d’apaiser la réprobation des Gallo-romains. Ainsi, la Loi gombette, publiée dans une première rédaction par Gondebaud en 502, inspirée concurremment par les lois écrites de l’Empire romain, et les lois coutumières des Burgondes.


Ethelbert (560-616), premier roi chrétien chez les Anglo-Saxons, rédigea un code administratif et pénal intitulé Dooms ou Jugement d’Ethelbert : lui aussi synthèse du droit romain écrit et du droit germanique traditionnel. Les articles énumèrent et chiffrent les sanctions à apporter contre les crimes. A l’occasion des amendes à payer, le code procède à une classification des hommes libres selon leur fortune, leur propriété et l’importance des charges occupées à la Cour ou dans l’administration. Ainsi, chaque classe sociale est affectée d’un mund et d’un were. Le mund est une amende en monnaie, censée réparer le dommage causé. Le were était une somme de dommages et intérêts, payée par un meurtrier, et cette fois encore, d’autant plus élevée que la victime appartenait à une classe sociale supérieure.


Ce double caractère de code pénal et d’unification du droit romain et du droit germanique, se retrouve dans la Loi salique, ou recueil juridique des Francs.


Le texte primitif concernait pour le plus grand nombre des dispositions d’ordre pénal.


La Loi salique, malgré la glorification dont elle fut l’objet de la part des premiers Carolingiens, tomba en désuétude dès le VIe siècle. La cohabitation de plusieurs rois sur un même Regnum Francorum, avec le partage de l’autorité et les rivalités engendrées par l’intérêt, abaissa le caractère absolu du pouvoir royal. Il en résulta d’une part que les ducs et les comtes prirent leur indépendance dans l’exercice du pouvoir judiciaire, et d’autre part que les souverains eux-mêmes devenaient, s’ils étaient infidèles à leurs serments, sujets de tribunaux supérieurs qui seront inconnus des Capétiens.


Charlemagne, ne tenant aucun compte de la loi salique, d’un contenu pauvre et rigide, formula, dans ses Capitulaires, des lois par ordonnances, mêlées aux règlements administratifs, et qui sont souvent des rappels d’usages ou de règles édictés par des conciles antérieurs.


Après Charlemagne, ce ne seront plus les lois qui détermineront les supplices à faire subir aux criminels, ou simplement aux adversaires, mais la cruauté du souverain ou du seigneur. Le plus fréquent de ces supplices est l’aveuglement, considéré comme châtiment politique, et plus encore comme précaution ; l’adversaire, en effet, ne peut plus combattre, et périt misérablement, parfois dans les jours qui suivent sa mutilation, parfois plusieurs années plus tard.


Quand la justice était impuissante à établir la culpabilité de l’accusé, elle recourait parfois au jugement de Dieu, ou ordalie, c’est-à-dire qu’elle le soumettait à une épreuve qui réclamait l’intervention divine : Dieu était sommé de faire un miracle en faveur de l’innocent. Cette épreuve prenait diverses formes. Elle pouvait être celle de l’eau, par laquelle le suspect devait plonger son bras dans l’eau bouillante sans être brûlé.


L’épreuve du fer ardent exigeait que l’accusé marchât, soit en tenant à la main une barre de fer rougie au feu, soit sur des socs de charrue incandescents. Toute proche, l’épreuve du feu consistait à traverser un brasier sans être brûlé.


L’épreuve du duel consistait à départager les accusés qui se proclamaient l’un et l’autre innocents.

L’Eglise, qui voyait dans les ordalies des manifestations de foi déplacées, et par là même des occasions d’erreurs scandaleuses, s’employa à les prohiber.


La féodalité


L’institution féodale est née, dans la plus grande partie de l’Europe continentale, à la décomposition de l’Empire carolingien. Sous les Mérovingiens et les premiers Carolingiens, c’est le roi qui est le possesseur de tout le domaine royal, et il a délégué le gouvernement à des nobles qui ne sont que des fonctionnaires. Cependant, les rois ont donné à leurs compagnons de conquête, puis à de bons serviteurs roturiers, certaines terres en toute propriété ; ce sont les alleux, qui n’impliquent aucune obligation à l’égard du donateur, sinon un hommage de déférence. Petit à petit, par la défection ou la multiplication de l’autorité centrale, et par la nécessité de se regrouper autour d’un chef de guerre, tout particulièrement lors des invasions normandes, les alleux se sont transformés en fiefs, et toute une hiérarchie nobiliaire est née, à proportion de la puissance du seigneur dominant, le suzerain, et du seigneur dominé, le vassal.


Les petits fiefs eux-mêmes, dits arrières-fiefs, se sont multipliés, selon la nécessité qu’éprouvait le suzerain d’avoir des représentants dans les diverses parties de ses domaines. En février 877, Charles le Chauve, avant de partir pour Rome et de s’y faire couronner, publie le capitulaire du Quierzy-sur-Oise, qui est une sorte de légitimation de la féodalité.


En Allemagne, le caractère électif de la monarchie favorisa la féodalité en diminuant l’autorité du prince et en accroissant celle des grands vassaux, qui dominent les seigneurs, de plus en plus nombreux, de leurs duchés. En réponse à la puissance de ces princes laïques, les empereurs allemands favorisèrent la formation des principautés ecclésiastiques, ce qui créa une double féodalité ; avec cette différence que les fiefs laïques, à partir de Conrad II (vers 1025), devinrent héréditaires, alors que les fiefs ecclésiastiques étaient électifs. En Angleterre, ce fut Guillaume le Conquérant qui installa la féodalité, en confisquant les biens des seigneurs anglo-saxons pour les distribuer à des compagnons d’armes. Les grands vassaux installèrent le système jusqu’en Palestine, à partir de la première croisade, en créant des Etats latins.


A ses débuts, la féodalité fut une mobilisation des énergies chrétiennes qui remédia à la carence du pouvoir central devant les invasions normandes. On appelait Normands (« Hommes du Nord ») des Barbares scandinaves venus du Danemark et de la Norvège, et qui mirent l’Europe à feu et à sang pendant plus d’un siècle.


On les signale pour la première fois en 793 sur les cotes de la Northumbrie. Un demi siècle plus tard, ils s’attaquent à l’Empire franc.


Charles le Simple conclura en 911 avec leur roi Rollon, le traité de Saint-Clair-sur-Epte ; il lui donne la belle province qu’on appellera la Normandie et la main de sa fille Gisèle, à condition qu’il reçoive le baptême. Le Barbare s’incline, devient un fervent chrétien, et fait de ses brutes des barons.


Cependant, le système féodal eut pour résultat de scléroser la société. Le seigneur local devint le possesseur de toutes les ressources de la nature. Les hommes libres disparurent pour laisser la place aux vilains et aux serfs. Les vilains (villanus, homme attaché à la villa) gardait la propriété du sol, mais n’avait pas le droit de le transmettre à sa progéniture ; à sa mort, le seigneur pouvait en disposer à son gré : c’était le régime de mainmorte ; en outre, l’occupant de cette terre devait payer une redevance annuelle. Le serf (servus, esclave ou serviteur) était attaché à la terre du seigneur, qui disposait de lui ; il devint le manant (de manere, rester), le roturier (de ruptere, cultiver) ; il n’avait pourtant pas la condition d’esclave, gardant le droit à la vie comme un homme libre, pouvant se marier et fonder une famille.


La féodalité, en limitant les horizons à un terroir limité, à exploiter et à défendre, a développé les guerres civiles. Le roi lui-même dut lutter contre ses propres vassaux.


Les Capétiens, bien que s’assurant du trône, qu’ils gardent héréditaire, n’en ont pas moins affaire à la compétition de leurs vassaux.


Ces guerres intestines, qu’on trouve semblablement en Allemagne et en Italie, mènent à l’anarchie politique. Mais en outre, elles provoquent la dévastation des campagnes. Ce ne sont pas seulement les invasions normandes qui brûlent les récoltes et déciment le cheptel, mais le seigneur voisin avide de représailles. D’une part, l’éducation de la jeunesse devient, pendant toute l’époque de la désintégration de l’Europe carolingienne, presque exclusivement guerrière ; le Xe siècle, surnommé le Siècle de Fer, verra certes des abbayes cultiver dans leurs murs les lettres et les sciences, mais elles constituent une autre société, en marge de la société seigneuriale, qui ne s’intéressent à elles que dans la mesure de leurs richesses, pour tenter d’y introduire des abbés administrateurs sortis de la noblesse.


L’institution féodale va être amenuisée progressivement sur plusieurs fronts. Celui de la royauté d’abord, dont les vassaux limitaient dangereusement le pouvoir et amoindrissaient la force de l’Etat, l’unité des lois, la cohésion de la nation, la solidarité face à un ennemi de l’extérieur. Ce fut en France que la monarchie capétienne parvint le plus rapidement et le plus efficacement à réduire la féodalité, en assurant un pouvoir central fort, qui préludait à la monarchie absolue. Cette réussite fut due à plusieurs causes. D’abord à la succession continue des rois en ligne directe, depuis l’avènement d’Hugues Capet (987) jusqu’à la mort de Charles IV (1328). Les crises dynastiques sont habituellement l’occasion de complots et de dissensions ; chaque roi capétien s’ingénia à obtenir une progéniture masculine avant de mourir. Deux d’entre eux se marièrent jusqu’à trois fois pour voir naître enfin un héritier.


Craignant de voir leur succession contestée, les six premiers Capétiens associèrent leur fils au trône de leur vivant. Ce ne fut qu’à partir de Philippe Auguste qu’ils négligèrent cette précaution : l’unité nationale était faite, le trône affermi, et la royauté élective s’était changée en royauté héréditaire.


Cette continuité de la race, la cérémonie du sacre qui, avant même l’avènement, rendait sainte et vénérable la personne du roi, écartèrent des Capétiens toute velléité d’attentat. Elles rendirent en même temps institutionnelle la primogéniture et exclurent à jamais le partage du territoire ; les frères du roi furent ses auxiliaires.


Outre le respect de l’institution monarchique, la noblesse française fut unie, pendant quatre siècles, par des guerres externes qui accaparèrent ses forces et la dissuadèrent des guerres internes : la longue lutte contre l’Angleterre des Plantagenêts, la Guerre de Cent Ans, les croisades. En outre, de nombreux barons français durent vendre leurs domaines pour financer leur participation, ce qui appauvrit la noblesse au bénéfice du roi, des villes ou de nouveaux propriétaires roturiers. Les souverains allemands entreprirent, certes, des guerres extérieures, mais peu populaires dans la noblesse, car la conquête de l’Italie, ce rêve perpétuel des empereurs germaniques, engloutit les forces guerrières et financières de la nation. Aussi, les vassaux de l’empereur posaient-ils des conditions de plus en plus lourdes à leur participation, ce qui ajoutait de l’importance au caractère électif de la monarchie. Enfin, la monarchie française s’affirma de façon prépondérante et éclipsa l’institution féodale en réunissant à la couronne les grands fiefs, par une patiente politique de mariages ; es derniers Capétiens et les Valois donnèrent ces fiefs à leurs fils ou à leurs frères, mais c’était une façon de les garder dans la famille royale.


Les villes constituèrent un lourd contrepoids au pouvoir de la noblesse. En Italie, elles acquièrent leur indépendance du pouvoir politique dès le XIe siècle. En France, elles partagent ce pouvoir avec les grands vassaux, et surtout avec celui des évêques Elles ont ceci de commun qu’elles s’administrent elles-mêmes. Elles peuvent avoir cependant trois origines différentes. Les villes municipales sont des vestiges de l’Empire romain, dont elles reproduisent les municipes, ayant à leur tête un sénat qui élit des consuls, et une caste de chevaliers, voués à sa défense (Arles, Narbonne, Bordeaux, Nîmes, Toulouse, Avignon). Les villes privilégiées, plus tardives, gardaient leur seigneur, mais avaient reçu de lui des franchises. Enfin, les communes étaient créées d’une révolte, le plus souvent à main armée (Le Mans, Noyon, Beauvais, Saint-Quentin, Laon, Amiens, Soissons, Reims, Sens, Vézelay, Crépy, Montdidier). Comme on le voit, les villes municipales se situaient dans le Midi, les communes dans le Nord. Les droits obtenus étaient ceux de force armée, de murailles, de réunion, de battre monnaie. Les citoyens libres qui la composaient étaient les bourgeois ; ils élisaient un maire, assisté d’échevins, qui avaient en charge l’administration. Ils se regroupaient en corporations, qui se donnaient chacune un syndic. En fait, cette liberté et ces privilèges n’étaient pas ceux de tous, car n’était pas bourgeois qui voulait : il fallait remplir dans la cité un rôle économique ou financier contrôlable. Au XIIe siècle, les rois encouragèrent le mouvement communal, qui affaiblissait les pouvoirs seigneuriaux.


En Allemagne, il faut distinguer trois sortes de villes. Les villes impériales sont de véritables principautés dont le seigneur est nominalement l’empereur, et qui s’administrent en son nom ; elles jouissent des privilèges des Etats : armées, tribunaux, monnaie. A partir de 1498, elles sont représentées à la Diète impériale. La gilde (ghilde, guilde) est d’abord une corporation, puis un ensemble de corporations de marchands et d’artisans qui jouissent dans les villes d’un statut privilégié, qui équivaut souvent à celui d’un conseil municipal. Les villes hanséatiques (allemand  hansen, « s’associer ») sont des villes commerçantes, qui jouissaient de droits commerciaux et maritimes étendus, et possédaient des contingents militaires propres. Elles forment bientôt une confédération puissante, la Hanse. La première association eut lieu en 1241 entre Hambourg et Lubeck (elle compta jusqu’à quatre-vingts villes au XIVe siècle).


Les parlements


Le parlement est une cour souveraine de justice. Il trouve son origine dans la Curia regis, qui était itinérante, et qui se fixa sous Louis IX à Paris, dans le Palais de la Cité. Composé de seigneurs laïques et de prélats, il avait des attributions judiciaires, politiques et financières. La cour des pairs,  qui siégeait parallèlement pour juger les grands vassaux, comptait au XIIe siècle six pairs laïques : les ducs de Bourgogne, de Normandie et de Guyenne, les comtes de Flandre, de Champagne et de Toulouse ; et six pairs ecclésiastiques : l’archevêque de Reims, les évêques de Laon, de Langres, de Beauvais, de Chalons et de Noyon. Outre sa fonction politico-judiciaire, la Chambre des pairs remplissait, le jour du sacre royal, une fonction cérémoniaire. Une ordonnance de 1223 modifie cette composition de la Chambre des pairs, qui donne trop d’autorité aux grands vassaux, et leur ajoute les grands officiers du palais. L’année suivante, elle était confondue avec le Parlement royal.


Philippe IV divisa cette Cour du roi en trois conseils : le Grand conseil, de compétence politique ; la Chambre des comptes, aux attributions financières, et le Parlement, aux attributions judiciaires. Ce même roi partagea le Parlement en trois chambres : Grande Chambre, pour les causes graves, concernant le roi, es princes, les pairs : Chambre des enquêtes, qui instruisait le procès ; Chambre des requêtes, pour les causes déposées directement devant le Parlement. Charles VII fit passer les chambres de trois à cinq, en partageant en deux celle des enquêtes et en créant une juridiction d’appel, la Tournelle. Le nombre des conseillers au parlement, au nombre de 67 sous Philippe le Bel, passa à 100 sous Louis XI.


Une telle institution rendit un grand service à la fois à la nation et à la monarchie, en unifiant la procédure et les pénalités, et en réduisant à peu de chose le pouvoir des vassaux. Cependant, les rois de France, au fur et à mesure que le domaine royal s’étendait, établirent de nouveaux parlements, qui rendaient la justice au nom du roi. Au Moyen Age, ces nouvelles cours furent au nombre de six.


Pour l’Angleterre, le nom de Parlement n’apparaît pour la première fois qu’en 1246 ; mais la chose existait déjà, car dès que Guillaume le Conquérant eut mis le pied sur l’île, les barons auxquels il avait distribué le territoire se constituèrent spontanément en assemblée pour le seconder et le contrôler. Ce fut cette institution sauvage qui exigea en 1215 la Grande Charte, et obtint d’Henri III, en 1258, les Statuts d’Oxford, acte inspiré par une assemblée de barons à la tête desquels se trouvait Simon de Montfort, petit-fils du vainqueur des Albigeois. Ces statuts, appelés encore Provisions d’Oxford, confirmaient et précisaient la Grande Charte : le conseil des barons, origine de la Chambre des lords, devait désigner chaque année le grand Chancelier, le grand trésorier, les juges et les gouverneurs. Henri III abrogea ces statuts en 1261 ; mais trois ans plus tard, après sa victoire sur l’armée royale, Montfort convoqua l’assemblée, et y fit admettre les représentants des bourgs ; ce fut l’origine de la Chambre des communes. La réunion des deux chambres forma le Parlement.


Le Parlement anglais, vu la faiblesse de la monarchie, joua un rôle beaucoup plus important que le Parlement français, et fut ainsi un grand faiseur de roi.


La chevalerie


Institution religieuse dans son inspiration, la chevalerie est une institution civile dans ses membres et dans son usage ; de même qu’elle est guerrière dans ses membres et sainte dans ses objectifs. Ceux-ci sont de mettre dans la guerre, considérée comme nécessaire du fait du prince et des évènements, un ordre moral qui proscrit toute action répréhensible et un ordre religieux qui élève les sentiments du guerrier au-dessus de la cupidité et de la haine.


Il semble bien que la chevalerie soit née en France sous le règne des premiers Capétiens. Au départ, elle fut une sorte de corporation de la noblesse. On y était admis sous des conditions rigoureuses. Il fallait prouver plusieurs quartiers de noblesse, avoir servi un seigneur renommé, comme page ou damoiseau, dès l’age de sept ans, avoir reçu de lui une formation dans l’équitation et les arts martiaux, l’avoir suivi dans les chasses et dans les tournois. A quatorze ans, le garçon était mis « hors page » ; il devenait écuyer (porteur de l’écu), avait soin de l’écurie, accompagnait son seigneur à la guerre et combattait à son coté.


C’était alors que, à partir de la fin du XIe siècle, la corporation devint confrérie religieuse. A vingt et un ans, l’écuyer, s’il avait satisfait à sa longue épreuve, était, à sa demande, armé chevalier. La cérémonie était solennelle. Après un bain, qui signifiait la purification de l’âme, il était revêtu d’une robe blanche, symbole de chasteté, puis d’une robe rouge, symbole du sang qu’il devait verser pour la défense de Dieu et de l’Eglise, et d’un justaucorps noir, symbole de mort. Après une journée de jeune et une nuit de prière (la veillée d’armes) au cours de laquelle il recevait le sacrement de pénitence, il assistait à la messe du Saint-Esprit. Le prêtre bénissait l’épée et prononçait une courte allocution, par laquelle il avertissait le candidat qu’il ne devait l’employer que pour la défense des Lieux saint, des veuves et des orphelins.


Après quoi, le célébrant chantait une oraison. L’officiant bénissait alors l’épée, donnant au jeune homme le baiser de paix et le conduisait au seigneur désigné pour le recevoir dans le sein de la chevalerie. Celui-ci le frappait sur l’épaule du plat de l’épée nue, et déclarait solennellement : « Au nom de Dieu, de saint Michel et de saint Georges, je te fais chevalier ». Il donnait à son tour le baiser de paix, et ceignait le nouveau chevalier de l’épée. Les parrains d’armes le revêtaient de se tenue de guerre et lui remettaient ses armes. Il avait droit désormais à l’appellation de monseigneur ou de messire, et sa femme à celle de madame.


La chevalerie conférait un tel caractère de noblesse, différent de celui du sang, et religieusement plus éminent, que tous les princes voulurent être armés chevaliers. Tous les rois de France le furent à partir de Louis VI (1097). L’institution gagna l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne…


En même temps que la chevalerie prenait un caractère religieux, elle créait un idéal courtois. Quand le chevalier n’était pas sur quelque champ de bataille, il pratiquait, à la Cour du roi, dans son propre château ou dans celui de son suzerain, des vertus sociales de dévouement, de respect, de désintéressement, qui mirent surtout l’accent, dès la seconde moitié du XIIe siècle et au XIIIe siècle, sur l’amour gratuit d’une dame. Ce fut ainsi que naquirent les romans de chevalerie, où se détachent ceux de la Table Ronde et du Saint Graal, hérités de l’épopée celtique, et où brille l’exceptionnelle figure de Chrétien de Troyes.


La chevalerie perdit son esprit dès le XIVe siècle. Pour des raisons techniques d’abord : l’intervention, dans le combat, des armes à distance, arc, arbalète, couleuvrine, rendirent inefficace la bravoure du chevalier. Pour des raisons morales ensuite : la corruption de la Cour, à partir de la fin du XVe siècle, détacha les seigneurs du dévouement religieux et de l’amour courtois.


A la chevalerie comme institution créée pour la pureté du guerrier, il convient d’associer la Trêve de Dieu, convention passée entre clerc et gens de guerre pour en faire cesser les maux. La première forme consiste dans la cessation de tout acte belliqueux contre les faibles et les pauvres, en portant l’anathème contre ceux qui pillent. Le second limite les hostilités : cessation de tout acte belliqueux du mercredi soir au lundi matin. Ceux qui, ayant promis la trêve, la violeront, seront excommuniés.

Ces dispositions furent partiellement exécutées. Mais l’esprit guerrier de ce temps en triompha. La rudesse des mœurs ne s’adoucit pas. C’est le petit peuple qui fait les frais de cette obstination dans la violence.