La propagation du savoir au Moyen-Age
Texte de Ivan GOBRY, extrait in La Civilisation Médiévale.
La propagation écrite
Les Barbares, dans leurs premières incursions sur
les terres de l’Empire romain, étaient analphabètes, et n’avaient donc pas le goût
de l’étude ; sur une grande partie du territoire envahi, ils détruisirent
d’ailleurs les bibliothèques, et ne trouvèrent ainsi plus rien pour nourrir une
initiation ; en outre, ces Barbares (sauf quelques-uns comme les Huns ou
les Alains) étaient des peuples germaniques, et devaient être familiarisés avec
les langues grecque et latine avant de tenter de les écrire. Il est vrai que,
dès la seconde génération d’envahisseurs, le clergé d’Orient, puis celui
d’Occident, n’eut guère de peine à apprendre la lecture aux rois barbares.
En Orient, dès le IVe siècle, les monastères
aménagèrent dans leurs murs des bibliothèques, assez sommaires au départ, ne
contenant que des copies de la Bible, le plus souvent déformées par les
copistes. En Gaule, les monastères de Provence furent dotés d’une bibliothèque
dès leur fondation.
Au VIIIe siècle, la bibliothèque exige, en plus
des psautiers, des ouvrages propres à la formation spirituelle du moine ;
ce sont donc d’abord des commentaires allégoriques de l’Ecriture qui s’ajoutent
à l’Ecriture elle-même, puis des petits traités d’édification, empruntés
notamment à saint Augustin et à saint Grégoire le Grand. A partir du IXe
siècle, les monastères d’Occident se constituent une imposante bibliothèque, où
cette fois la théologie spéculative prend une place prépondérante, mais où
s’insinuent en outre toutes les disciplines de l’esprit. L’office liturgique,
qui réclame maintenant, contrairement aux petits monastères mérovingiens, de
nombreuses lectures tirées des Pères, exige une profusion d’ouvrages.
En outre, les écoles abbatiales rivalisent dans
l’enseignement des sciences ecclésiastiques et profanes et, à mesure que s’accroît
le nombre des élèves, celui des livres devient un signe de grandeur. A partir
du Xe siècle, on compte en Occident des bibliothèques monastiques célèbres,
pour l’abondance et l’érudition de leurs ouvrages.
Pour augmenter le nombre des titres, on emprunte à
une autre abbaye des manuscrits qu’on recopie avant de les rendre, ou encore on
envoie des moines pour exécuter ce travail sur place ; quand le nombre des
usagers s’accroît, on recopie le même ouvrage à un certain nombre
d’exemplaires. De cette ardeur de transcription naît, dans chaque monastère
savant, le scriptorium, vaste salle destinée à cette activité, mais
aussi à la rédaction des lettres et des diplômes. A partir du XIIIe siècle
s’installera un commerce privé des manuscrits ; des ateliers laïques
s’aménageront dans les grandes villes, et exécuteront des commandes pour des
seigneurs et des prélats.
Les moniales s’étaient faites une spécialité de la
traduction des manuscrits. A partir du VIIIe siècle, on trouve cette même
application dans la plupart des grandes abbayes bénédictines, qui abondent en
femmes érudites.
Le parchemin était un matériau qui exigeait une
préparation laborieuse, à partir de peaux de chèvres, de porcs, de veaux, et
surtout de moutons élevés dans les monastères.
Le papier pénétra tardivement en Europe. Le secret
de fabrication en fut révélé aux Arabes au VIIIe siècle par des prisonniers
chinois. Les rescapés de la VIIIe croisade en rapportèrent la technique en
France. Pendant deux siècles, les utilisateurs du parchemin résistèrent à cette
nouveauté, les moines par habitude et goût esthétique, les fabricants laïques
pour des raisons commerciales.
Ce fut essentiellement l’imprimerie qui détrôna le
parchemin. Elle fut tout à fait transformée par Gutenberg, né à Mayence vers
1400, et qui apporta à la reproduction de l’écriture deux procédés
révolutionnaires : la typographie, ou association de caractères mobiles,
et la presse à bras. Ce fut en 1436 ou 1437, réfugié à Strasbourg, qu’il mit
secrètement au point la technologie nouvelle. En 1450, retourné à Mayence, il
s’y associa, à titre de bailleur de fonds, Johan Fust, qui lui permit de
publier en 1455 une Biblia latina, dite « à quarante-deux
lignes » (640 feuillets). On l’appela ensuite « Bible Mazarine »,
parce qu’elle fut acquise par le cardinal Mazarin et resta ensuite à la
Bibliothèque Mazarine.
Le fameux secret de l’imprimerie, propagé d’abord
par des ouvriers de Gutenberg qui voulurent s’établir à leur tour, fut
rapidement répandu en Allemagne et en Italie. Ce sont aussi trois imprimeurs
allemands qui installèrent l’imprimerie de la Sorbonne, laquelle bénéficia de
la protection de Louis XII et de François 1er.
Les écoles
Jusqu’au XIIe siècle, les monastères ont été les
centres culturels de la chrétienté ; ils le furent surtout par leurs
écoles. Avant même cependant d’établir des écoles pour les séculiers, les abbés
en ont établi pour leurs propres moines. Toutes les grandes règles religieuses
font une obligation au moine d’étudier.
En Gaule, à l’époque gallo-romaine, les écoles
monastiques internes étaient largement ouvertes aux clercs et aux moines qui
voulaient y faire un séjour d’études sans pour cela adopter cette communauté.
En conformité avec la règle de saint Benoît, un
certain nombre de parents, confiants dans la pédagogie des moines, remirent
leurs enfants tout jeunes à leur sollicitude : ils les leur
« offrirent » ; de là le nom d’oblats donné à ces enfants. Un
certain nombre de ces petits oblats, devenus grands, ayant goûté à la ferveur
du cloître, se refusèrent à retourner dans le monde, et firent profession dans
le monastère, qui regorgea bientôt d’hommes savants, à l’aise pour y poursuivre
leurs recherches. Pour leur permettre d’exercer leurs talents, on ajouta à
l’école claustrale une école externe pour les séculiers.
Dans la seconde moitié du VIIIe siècle, c’étaient
les abbayes anglaises qui possédaient les écoles les plus réputées. La
conversion de ce peuple avait commencé avec ses rois et ses princes, aussitôt
fondateurs d’abbayes et bientôt exigeants pour l’éducation de leurs
enfants ; ce furent donc eux qui incitèrent les abbés à ouvrir des écoles
pour la jeunesse de l’aristocratie. Celles de Cantorbéry, d’York, de Yarrow et
de Malmesbury acquirent en peu de temps une réputation universelle.
Charlemagne, dont le projet pédagogique était aux dimensions de son projet
politique, constatait que nulle école de son empire n’égalait celles de la
petite Angleterre. Il décida de créer dans sa propre capitale, et même dans son
propre palais, un lieu de formation de l’esprit qui fut une pépinière de clercs
et de laïcs savants et dévoués au bien commun, et qui mettrait fin à deux
siècles d’anarchie intellectuelle.
Lui-même avait reçu une forte éducation
humaniste ; saint Adalard nous apprend que, dès son enfance, il avait
étudié sous des maîtres distingués la grammaire, la dialectique (c’est-à-dire
la philosophie), les mathématiques, l’astronomie et la médecine, et s’était
appliqué aux écrits de Martianus Capella et de Cassiodore.
Ce roi lettré voulut pour ses collaborateurs et
ses sujets une science au moins égale à la sienne. Il méditait donc, dès le
début de son règne, d’établir sous son autorité une école qui fut universelle à
la fois pour les disciplines enseignées et pour le recrutement de ses
élèves : la première université en quelque sorte. A cette école, il tint à
donner des maîtres exceptionnels.
A ce temple de la science, il fallait un directeur
prestigieux. Charlemagne choisit Alcuin, écolâtre d’York. Né en Northumbrie, il
avait eu pour maîtres, dans cette même école, deux élèves de Bède :
Egbert, futur archevêque d’York, et son frère Aelbert, sorte d’encyclopédie
vivante, qui enseignait la grammaire et la rhétorique latines, la langue
grecque, l’éloquence, l’astronomie, la biologie et la zoologie, l’arithmétique
et l’exégèse ; quand il fut nommé au siège d’York, il désigna pour lui
succéder à la tête de l’école le plus éminent de ses élèves, Alcuin.
Charlemagne l’avait connu à Parme, alors que le jeune clerc était chargé d’une
mission en Italie, et il avait été ébloui par son savoir et sa modestie. Ce fut
donc ce maître anglais qui présida aux destinées de l’école palatine. Le roi
lui adjoignit un Lombard, Paul Warnefrid, surnommé Paul Diacre, devenu moine du
Mont-Cassin après avoir été, tout jeune, le chancelier du roi Didier ; il
fut chargé d’enseigner la langue grecque, et Charles se fit son élève. Ce fut
ce même Paul, helléniste distingué et historien érudit, mais encore délicat
poète, qui, parmi d’autres hymnes liturgiques, composa Ut queant laxis,
pour les vêpres de Saint-Jean-Baptiste, dont la première strophe servit à Guy
d’Arezzo pour nommer les notes de la gamme.
Pour ne pas en rester à ce centre culturel qui fit
appeler Aix-la-Chapelle « la petite Rome », Charlemagne suscita dans
l’Empire franc d’autres écoles, épiscopales ou monastiques, prestigieuses. Pour
éviter l’anarchie pédagogique, il tint à réglementer l’instruction publique
dans un capitulaire de 787.
Pour parvenir à cet enseignement supérieur, il
fallait organiser un solide enseignement secondaire, qui lui-même ferait suite
à un rigoureux enseignement primaire. Les deus furent installés dans de
nombreux diocèses, sous le contrôle des évêques et des missi dominici.
Dès l’époque carolingienne, de nombreuses écoles
supérieures suscitées par le zèle de Charlemagne vont acquérir une renommée
égale à celle d’Aix qui, après l’abdication de Louis le Pieux et le partage de
l’Empire, perdra beaucoup de sa splendeur.
Dans ces écoles extérieures se presse une foule
d’élèves inimaginables pour l’époque. Toutes les classes de la société s’y
trouvaient représentées, depuis les fils de rois jusqu’aux fils de serfs.
L’éducation des femmes n’était pas négligée ; de nombreuses abbayes de
moniales ouvraient, outre leur école claustrale destinée à la formation de
leurs propres sujets, une école externe fréquentée par les jeunes filles du
monde.
La célébrité de l’école de Saint-Rémi de Reims
commença avec le moine Gerbert d’Aurillac, le futur Sylvestre II, nommé écolâtre
en 972 par archevêque Adalbéron. Il attira des centaines d’étudiants à la fois
par son érudition et par sa méthode. Celle-ci, à rebours de la pédagogie
moderne, commençait par la dialectique, c’est-à-dire la philosophie, plus
exactement par la logique ; à rebours encore chronologiquement, il
commentait d’abord l’Isagoge de Porphyre (mort en 305 ap JC), puis les traités
d’Aristote (mort en 322 av JC). Puis il passait à la grammaire, que nous
appellerons aujourd’hui la littérature, avec Virgile, Stace, Térence, Juvénal,
Horace, Lucain ; et enfin à la rhétorique, c’est-à-dire l’art de parler et
de convaincre, avec pour manuel Victorinus.
Une autre école de renommée universelle fut au Xe
siècle celle de l’abbaye de Saint-Gall. Elle comptait alors cinq cents moines,
dont beaucoup était des érudits. Parmi ces érudits, figure en première ligne écolâtre
Nokter le Bègue, qui alliait à la direction de l’école la transcription des
manuscrits, la rédaction d’ouvrages originaux et la composition de mélodies.
Au XIe siècle, une école née de la réputation de
son premier écolâtre fut celle du Bec en Normandie. L’abbaye avait été fondée
modestement en 1035 par un chevalier devenu ermite, Herluin. Sans doute la
petite communauté serait-elle restée dans l’ombre si une recrue de poids
n’avait spontanément demandé l’habit monastique : Lanfranc de Pavie. Prié
de constituer une nouvelle école au Bec, Lanfranc y attira des élèves et des
admirateurs par centaines.
Au XIIe siècle, la France, l’Allemagne,
l’Angleterre, l’Italie du Nord sont semées d’écoles cathédrales et abbatiales.
Paris en possède en abondance ; les principales sont l’Ecole de
Notre-Dame, dirigée pour un temps par Guillaume de Champeaux, et, sur la rive
gauche, Saint-Germain-des-Prés, Sainte-Geneviève, Saint-Victor. Mais des
particuliers peuvent aussi, s’ils ont assez de jactance, fonder la leur.
Certains fondateurs d’écoles, instables parce que
cherchant le succès ailleurs, tentent leur chance dans des localités
successives, à les suivre, on constate que les écoles accueillaient des élèves jusque
dans les bourgs reculés. Abélard ouvre d’abord une école à Melun, puis à
Corbeil, puis sur la Montagne-Sainte-Geneviève, puis, chassé par sa mésaventure
avec Héloïse, à Maisoncelle-en-Brie, puis au Paraclet près de Nogent-sur-Marne,
puis à nouveau sur la Montagne-Sainte-Geneviève, d’où il est arraché par sa
condamnation définitive.
A l’abbaye Saint-Victor de Paris, fondée par
Guillaume de Champeaux qui la quitta pour devenir évêque de Chalons, Hugues fut
écolâtre de 1133 à 1141 ; il fut un maître inspiré et vénéré, mais attira
peu d’auditeurs, car il se tenait à l’écart des joutes philosophiques en
honneur chez la jeunesse de ce temps. En ce qui nous intéresse présentement,
son ouvrage le plus intéressant est le Didascalion, qui dresse un
inventaire des sciences à enseigner. Elles sont au nombre de quatre :
- science théorique, qui expose la vérité. A son tour, la science théorique, ou spéculative, se divise en théologie, mathématique, morale, politique
- science pratique, qui est celle de l’action morale : logique, ou art de parler et d’argumenter
- mécanique, ou science de l’action utile : tissage, armurerie, navigation, agriculture, chasse, médecine, théâtre
- logique, ou art de parler et d’argumenter : grammaire, art du discours, ce dernier comprenant la démonstration, la rhétorique et la dialectique.
Mais, quand il s’agit de programme d’enseignement,
ce bel édifice s’effondre : Hugues affirme que les matières à exposer aux
auditeurs sont celles du trivium et du quadrivium, cet héritage
de Cassiodre.
Parmi les centaines d’écoles du XIIe siècle, l’une
des plus célèbres fut celle de Chartres. Elle parait avoir existé dès le VIe
siècle. Aux IXe et Xe siècles, elle dispensait un enseignement étendu,
puisqu’on venait y étudier la médecine. Au début du XIe siècle, écolâtre
Fulbert (mort en 1028) lui acquit une renommé universelle ; on y
enseignait le trivium, le quadrivium, la théologie et la médecine. Ives (mort
en 1115), qui devint évêque de Chartres comme Fulbert, lui ajouta le droit
canonique. Le programme d’enseignement de l’école est développé par Thierry de
Chartres dans son Heptateuchon qui théoriquement, comporte le trivium
et le quadrivium, mais de fait fournit une abondance de textes pour
les illustrer.
Le fameux cursus, en effet, était fort souple,
selon l’état des connaissances du temps. Déjà, dans l’Antiquité, les maîtres
pythagoriciens enseignaient les sciences de la nature (physique, météorologie,
anatomie), qui ne figurent pas dans le quadrivium. A York, on omettait la
dialectique, c’est-à-dire la philosophie, mais l’on enseignait le droit et
l’histoire naturelle.
Les écoles dans le monde musulman
En Orient, les chrétiens établirent des écoles en
Egypte, où brilla la théologie, et où les
juifs de la diaspora avait ouvert un centre renommé d’études hébraïques.
En Mésopotamie, au milieu du Ve siècle, saint Ephrem de Nisibis avait fondé à
Edesse une école où l’on enseignait la philosophie d’Aristote, la médecine
d’Hippocrate et de Galien, les mathématiques et la théologie.
Quand, au VIIe siècle, les Arabes conquirent la
Mésopotamie et la Syrie, ils apprirent le grec, et, délaissant la théologie
chrétienne, s’empressèrent d’étudier la philosophie, les mathématiques et la
médecine. Il se constitua ainsi, dès le VIIIe siècle, de nombreuses écoles en
droit musulman, et certaines acquirent en quelques décennies une haute
renommée.
La plus célèbre fut celle de Bagdad.
Au IXe siècle, l’enseignement se propagea vers
l’Occident et s’installa en Espagne, où la plus brillante école fut Cordoue. Le
plus renommé de tous les maîtres de Cordoue fut Averroès (Ibn Rochd,
1126-1198), qui influencera profondément la scolastique chrétienne.
Les universités
Le mot latin Universitas ne servait pas à
désigner un établissement d’enseignement supérieur, mais l’ensemble des maîtres
et des étudiants d’une même ville. Au départ, c’était une simple corporation,
jusque-là inconnue. L’occasion en fut tout à fait banale : les étudiants
parisiens de la rive gauche menaient une vie fort libre, souvent peu
respectueuse de la propriété et de la tranquillité d’autrui, et ils avaient
maints démêlés avec les bourgeois. En 1200, quelques-uns d’entre eux, plus ou
moins ivres, saccagèrent la boutique d’un marchand de vin ; le guet
arriva, et les prit sur le fait ; il en résulte une rixe, dans laquelle
plusieurs étudiants perdirent la vie. Leurs condisciples portèrent plainte
devant le roi contre le prévôt de Paris, responsable de la Police ; et
Philippe Auguste, pour s’acquérir les faveurs de la gente écolière, lui accorda
le privilège du for ecclésiastique ; c’est-à-dire qu’il la soustrayait à
l’autorité laïque pour la soumettre à leur seule autorité ecclésiastique. Par
la suite, la corporation, reconnue par le double pouvoir royal et
ecclésiastique, obtint d’autres privilèges exceptionnels.
Ces privilèges ne semblaient pas suffisants à la
nouvelle corporation. En effet, les conflits dont elle était délivrée par
rapport au pouvoir laïc se renouvelèrent par rapport au pouvoir épiscopal. En
1212, Innocent III déliait l’universitas de l’autorité épiscopale pour
ne relever que de l’autorité papale. En 1215, le cardinal légat, Robert de
Courçon, ratifia ses premiers statuts, dont le plus important était la
collation des grades de bachelier, de licencié et de docteur, ainsi que les
conditions requises pour enseigner.
Cependant, évêque de Paris, Pierre de Nemours,
n’abandonnait pas la prétention de soumettre l’universitas à sa
juridiction. En 1222, avec l’accord du pape Honorius III, les universitaires
quittèrent l’île de la Cité pour se réfugier sur la rive gauche, qui devint
alors le quartier latin.
En 1231, Grégoire IX, par la bulle Parens
scientiarum, confirma solennellement tous les privilèges concédés à
l’université de Paris, qui devenait ainsi une puissance autonome.
Petit à petit se constitua l’organisation de cette
corporation. A la spécialisation des études correspondirent les facultés. La
première chronologiquement, qui formait une sorte de tronc commun préparatoire
aux autres, était celle des arts, c’est-à-dire des lettres et des
sciences. A l’issue de son cursus ès art, l’étudiant pouvait choisir entre
trois autres facultés : théologie, droit, médecine.
Bien que les études elles-mêmes fussent gratuites,
les étudiants devaient payer les professeurs, qui ne recevaient pas de
traitement. Surtout, les étudiants devaient assurer leur logement et leur
nourriture. Des mécènes fondèrent alors des pensions pour les nécessiteux. Ce
furent les collèges, « lieux où l’on se réunit ». En 1253, le
chapelain de Louis IX, Robert de Sorbon, fonda pour seize maîtres ès arts
aspirant au doctorat de théologie, sur la Montagne-Sainte-Geneviève, celui qui
devait être le plus célèbre, car, doté par le pape et le roi, il devint bientôt
le siège de la théologie ; on l’appela Sorbonne.
Le régime des collèges était sévère ; les
écoliers, pour être soustraits aux tentations du Quartier latin, qui étaient
nombreuses et désastreuses pour les études, étaient astreints à résidence et ne
pouvaient sortir que pour suivre les cours. Il en résulta vite que les
meilleurs élèves des universités étaient ceux des collèges ; les familles
riches voulurent bénéficier de ce précieux avantages, et demandèrent à en faire
profiter leurs fils en versant une pension, ce qui permit aux collèges de se
développer quant au nombre et quant aux ressources ; qui devinrent des
établissements d’enseignement.
On était admis à la faculté des arts à partir de
l'âge de quatorze ans. Le cursus adopté était celui des écoles de Paris :
le trivium littéraire (grammaire, rhétorique, dialectique) et la quadrivium
scientifique (arithmétique, géométrie, astronomie, musique) ; au XVe
siècle, la musique passa du quadrivium au trivium, ce qui inversa les
dénominations. Après deux ans d’études, on subissait un premier examen, la
déterminance, devenue ensuite le baccalauréat, qui consistait dans une série de
commentaires de textes étudiés au cours de l’année. Le titre suivant était la
licence, obtenue après quatre nouvelles années.
Le cursus, pour obtenir le baccalauréat, puis la
licence et enfin le doctorat, durait huit ans.
La réputation de la faculté de théologie fut
bientôt universelle. En 1292, Nicolas IV accorda aux maîtres de l’université de
Paris le privilège d’enseigner « sur toute la terre » sans avoir à
subir d’autres examens.
L’autonomie et la renommée de l’université de
Paris lui conférèrent à partir du XIVe siècle une forte importance politique.
Philippe IV le Bel sut s’en faire un instrument en lui accordant un rôle dans
les affaires intérieures de la France. Mais, forte de son autorité,
l’université oublia en 1420 les faveurs des souverains pour proclamer roi Henri
V d’Angleterre.
Un conflit d’une autre espèce opposa au XIIIe
siècle l’université de Paris à l’autorité ecclésiastique ; ce fut celui
qui naquit de l’enseignement d’Aristote. L’Occident avait perdu ses écrits,
mais il avait été traduit du grec en arabe, et c’était sous cette forme qu’il
était connu en Espagne ; or, au XIIe siècle, Raymond de Sauvetat, archevêque
de Tolède (1126-1151), demanda à des philosophes de son entourage de traduire
l’œuvre d’Aristote de l’arabe au latin. La connaissance de cet auteur ne fut
pas sans transformer les notions qu’on avait de la philosophie. En même temps,
ces auteurs chrétiens d’Espagne traduisaient en latin les œuvres d’Avicenne,
inspirées largement d’Aristote. Ce fut ainsi que toute cette pensée gréco-arabe
pénétra en France à la fin du XIIe siècle, et imprégna bientôt l’enseignement
de certains maîtres.
En 1210, un concile de Paris, présidé par le
métropolitain Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, condamna la philosophie
d’Aristote comme incompatible avec la vérité chrétienne, et interdit son
enseignement sous peine d’excommunication. Cependant, cinq ans plus tard, les
statuts de l’université de Paris, approuvés par le cardinal-légat, opèrent une
distinction dans l’œuvre d’Aristote.
Les décrets pontificaux n’empêchèrent nullement
les maîtres dominicains de l’université de Paris, saint Albert le Grand et
saint Thomas d’Aquin, d’enseigner Aristote. Finalement, l’enseignement
universitaire se prolongeant tel qu’il était prodigué, les traités d’Aristote
furent officiellement inscrits au programme, qui, en 1366, fut approuvé par le
chancelier de l’université.
Un conflit d’une autre nature opposa à Paris les maîtres
séculiers et les maîtres religieux. Les deux ordres des Dominicains et des
Franciscains avaient installé chacun un studium generale ; leurs maîtres
ayant acquis, par leur parole et leurs écrits, une grande réputation, furent
cooptés dans l’université, plus précisément à la faculté des arts. Cependant,
cette entrée rencontra de fortes résistances, et fut même agressivement
retardée ; il y avait à cela, outre la jalousie, une raison assez
compréhensible : les maîtres religieux étaient extérieurs à l’université
et échappaient sur un certain nombre de points à l’autorité du recteur et du
conseil.
Mais les maîtres séculiers employaient un
acharnement répété pour empêcher les mendiants d’accéder aux chaires qui leur
étaient réservées. Saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure l’un dominicain et
l’autre franciscain, tous deux reçus docteurs en 1253, se voyaient refuser
l’accès à une chaire théologique. Le pape Alexandre IV, par décret du 23
octobre 1256, intima l’ordre de la leur octroyer. Le conseil de l’université
résista pendant un an, puis s’inclina. Désormais, prêcheurs et Mineurs allaient
pendant deux siècles procurer à l’université de Paris ses maîtres les plus
illustres.
En un siècle, de nombreuses universités
s’ouvrirent en Occident sur le modèle de celle de Paris. Avant celle-ci
existait d’ailleurs celle de Bologne, qui ne fut pas considérée comme
université a parti entière à cause de l’absence d’une faculté de théologie
avant 1352.