La propagation du savoir au Moyen-Age


Texte de Ivan GOBRY, extrait in La Civilisation Médiévale.



La propagation écrite


Les Barbares, dans leurs premières incursions sur les terres de l’Empire romain, étaient analphabètes, et n’avaient donc pas le goût de l’étude ; sur une grande partie du territoire envahi, ils détruisirent d’ailleurs les bibliothèques, et ne trouvèrent ainsi plus rien pour nourrir une initiation ; en outre, ces Barbares (sauf quelques-uns comme les Huns ou les Alains) étaient des peuples germaniques, et devaient être familiarisés avec les langues grecque et latine avant de tenter de les écrire. Il est vrai que, dès la seconde génération d’envahisseurs, le clergé d’Orient, puis celui d’Occident, n’eut guère de peine à apprendre la lecture aux rois barbares.

En Orient, dès le IVe siècle, les monastères aménagèrent dans leurs murs des bibliothèques, assez sommaires au départ, ne contenant que des copies de la Bible, le plus souvent déformées par les copistes. En Gaule, les monastères de Provence furent dotés d’une bibliothèque dès leur fondation.

Au VIIIe siècle, la bibliothèque exige, en plus des psautiers, des ouvrages propres à la formation spirituelle du moine ; ce sont donc d’abord des commentaires allégoriques de l’Ecriture qui s’ajoutent à l’Ecriture elle-même, puis des petits traités d’édification, empruntés notamment à saint Augustin et à saint Grégoire le Grand. A partir du IXe siècle, les monastères d’Occident se constituent une imposante bibliothèque, où cette fois la théologie spéculative prend une place prépondérante, mais où s’insinuent en outre toutes les disciplines de l’esprit. L’office liturgique, qui réclame maintenant, contrairement aux petits monastères mérovingiens, de nombreuses lectures tirées des Pères, exige une profusion d’ouvrages.

En outre, les écoles abbatiales rivalisent dans l’enseignement des sciences ecclésiastiques et profanes et, à mesure que s’accroît le nombre des élèves, celui des livres devient un signe de grandeur. A partir du Xe siècle, on compte en Occident des bibliothèques monastiques célèbres, pour l’abondance et l’érudition de leurs ouvrages.

Pour augmenter le nombre des titres, on emprunte à une autre abbaye des manuscrits qu’on recopie avant de les rendre, ou encore on envoie des moines pour exécuter ce travail sur place ; quand le nombre des usagers s’accroît, on recopie le même ouvrage à un certain nombre d’exemplaires. De cette ardeur de transcription naît, dans chaque monastère savant, le scriptorium, vaste salle destinée à cette activité, mais aussi à la rédaction des lettres et des diplômes. A partir du XIIIe siècle s’installera un commerce privé des manuscrits ; des ateliers laïques s’aménageront dans les grandes villes, et exécuteront des commandes pour des seigneurs et des prélats.

Les moniales s’étaient faites une spécialité de la traduction des manuscrits. A partir du VIIIe siècle, on trouve cette même application dans la plupart des grandes abbayes bénédictines, qui abondent en femmes érudites.

Le parchemin était un matériau qui exigeait une préparation laborieuse, à partir de peaux de chèvres, de porcs, de veaux, et surtout de moutons élevés dans les monastères. 

Le papier pénétra tardivement en Europe. Le secret de fabrication en fut révélé aux Arabes au VIIIe siècle par des prisonniers chinois. Les rescapés de la VIIIe croisade en rapportèrent la technique en France. Pendant deux siècles, les utilisateurs du parchemin résistèrent à cette nouveauté, les moines par habitude et goût esthétique, les fabricants laïques pour des raisons commerciales.

Ce fut essentiellement l’imprimerie qui détrôna le parchemin. Elle fut tout à fait transformée par Gutenberg, né à Mayence vers 1400, et qui apporta à la reproduction de l’écriture deux procédés révolutionnaires : la typographie, ou association de caractères mobiles, et la presse à bras. Ce fut en 1436 ou 1437, réfugié à Strasbourg, qu’il mit secrètement au point la technologie nouvelle. En 1450, retourné à Mayence, il s’y associa, à titre de bailleur de fonds, Johan Fust, qui lui permit de publier en 1455 une Biblia latina, dite « à quarante-deux lignes » (640 feuillets). On l’appela ensuite « Bible Mazarine », parce qu’elle fut acquise par le cardinal Mazarin et resta ensuite à la Bibliothèque Mazarine.

Le fameux secret de l’imprimerie, propagé d’abord par des ouvriers de Gutenberg qui voulurent s’établir à leur tour, fut rapidement répandu en Allemagne et en Italie. Ce sont aussi trois imprimeurs allemands qui installèrent l’imprimerie de la Sorbonne, laquelle bénéficia de la protection de Louis XII et de François 1er.

Les écoles

Jusqu’au XIIe siècle, les monastères ont été les centres culturels de la chrétienté ; ils le furent surtout par leurs écoles. Avant même cependant d’établir des écoles pour les séculiers, les abbés en ont établi pour leurs propres moines. Toutes les grandes règles religieuses font une obligation au moine d’étudier.

En Gaule, à l’époque gallo-romaine, les écoles monastiques internes étaient largement ouvertes aux clercs et aux moines qui voulaient y faire un séjour d’études sans pour cela adopter cette communauté.

En conformité avec la règle de saint Benoît, un certain nombre de parents, confiants dans la pédagogie des moines, remirent leurs enfants tout jeunes à leur sollicitude : ils les leur « offrirent » ; de là le nom d’oblats donné à ces enfants. Un certain nombre de ces petits oblats, devenus grands, ayant goûté à la ferveur du cloître, se refusèrent à retourner dans le monde, et firent profession dans le monastère, qui regorgea bientôt d’hommes savants, à l’aise pour y poursuivre leurs recherches. Pour leur permettre d’exercer leurs talents, on ajouta à l’école claustrale une école externe pour les séculiers. 

Dans la seconde moitié du VIIIe siècle, c’étaient les abbayes anglaises qui possédaient les écoles les plus réputées. La conversion de ce peuple avait commencé avec ses rois et ses princes, aussitôt fondateurs d’abbayes et bientôt exigeants pour l’éducation de leurs enfants ; ce furent donc eux qui incitèrent les abbés à ouvrir des écoles pour la jeunesse de l’aristocratie. Celles de Cantorbéry, d’York, de Yarrow et de Malmesbury acquirent en peu de temps une réputation universelle. Charlemagne, dont le projet pédagogique était aux dimensions de son projet politique, constatait que nulle école de son empire n’égalait celles de la petite Angleterre. Il décida de créer dans sa propre capitale, et même dans son propre palais, un lieu de formation de l’esprit qui fut une pépinière de clercs et de laïcs savants et dévoués au bien commun, et qui mettrait fin à deux siècles d’anarchie intellectuelle.

Lui-même avait reçu une forte éducation humaniste ; saint Adalard nous apprend que, dès son enfance, il avait étudié sous des maîtres distingués la grammaire, la dialectique (c’est-à-dire la philosophie), les mathématiques, l’astronomie et la médecine, et s’était appliqué aux écrits de Martianus Capella et de Cassiodore.

Ce roi lettré voulut pour ses collaborateurs et ses sujets une science au moins égale à la sienne. Il méditait donc, dès le début de son règne, d’établir sous son autorité une école qui fut universelle à la fois pour les disciplines enseignées et pour le recrutement de ses élèves : la première université en quelque sorte. A cette école, il tint à donner des maîtres exceptionnels.

A ce temple de la science, il fallait un directeur prestigieux. Charlemagne choisit Alcuin, écolâtre d’York. Né en Northumbrie, il avait eu pour maîtres, dans cette même école, deux élèves de Bède : Egbert, futur archevêque d’York, et son frère Aelbert, sorte d’encyclopédie vivante, qui enseignait la grammaire et la rhétorique latines, la langue grecque, l’éloquence, l’astronomie, la biologie et la zoologie, l’arithmétique et l’exégèse ; quand il fut nommé au siège d’York, il désigna pour lui succéder à la tête de l’école le plus éminent de ses élèves, Alcuin. Charlemagne l’avait connu à Parme, alors que le jeune clerc était chargé d’une mission en Italie, et il avait été ébloui par son savoir et sa modestie. Ce fut donc ce maître anglais qui présida aux destinées de l’école palatine. Le roi lui adjoignit un Lombard, Paul Warnefrid, surnommé Paul Diacre, devenu moine du Mont-Cassin après avoir été, tout jeune, le chancelier du roi Didier ; il fut chargé d’enseigner la langue grecque, et Charles se fit son élève. Ce fut ce même Paul, helléniste distingué et historien érudit, mais encore délicat poète, qui, parmi d’autres hymnes liturgiques, composa Ut queant laxis, pour les vêpres de Saint-Jean-Baptiste, dont la première strophe servit à Guy d’Arezzo pour nommer les notes de la gamme.

Pour ne pas en rester à ce centre culturel qui fit appeler Aix-la-Chapelle « la petite Rome », Charlemagne suscita dans l’Empire franc d’autres écoles, épiscopales ou monastiques, prestigieuses. Pour éviter l’anarchie pédagogique, il tint à réglementer l’instruction publique dans un capitulaire de 787.

Pour parvenir à cet enseignement supérieur, il fallait organiser un solide enseignement secondaire, qui lui-même ferait suite à un rigoureux enseignement primaire. Les deus furent installés dans de nombreux diocèses, sous le contrôle des évêques et des missi dominici

Dès l’époque carolingienne, de nombreuses écoles supérieures suscitées par le zèle de Charlemagne vont acquérir une renommée égale à celle d’Aix qui, après l’abdication de Louis le Pieux et le partage de l’Empire, perdra beaucoup de sa splendeur. 

Dans ces écoles extérieures se presse une foule d’élèves inimaginables pour l’époque. Toutes les classes de la société s’y trouvaient représentées, depuis les fils de rois jusqu’aux fils de serfs. L’éducation des femmes n’était pas négligée ; de nombreuses abbayes de moniales ouvraient, outre leur école claustrale destinée à la formation de leurs propres sujets, une école externe fréquentée par les jeunes filles du monde.

La célébrité de l’école de Saint-Rémi de Reims commença avec le moine Gerbert d’Aurillac, le futur Sylvestre II, nommé écolâtre en 972 par archevêque Adalbéron. Il attira des centaines d’étudiants à la fois par son érudition et par sa méthode. Celle-ci, à rebours de la pédagogie moderne, commençait par la dialectique, c’est-à-dire la philosophie, plus exactement par la logique ; à rebours encore chronologiquement, il commentait d’abord l’Isagoge de Porphyre (mort en 305 ap JC), puis les traités d’Aristote (mort en 322 av JC). Puis il passait à la grammaire, que nous appellerons aujourd’hui la littérature, avec Virgile, Stace, Térence, Juvénal, Horace, Lucain ; et enfin à la rhétorique, c’est-à-dire l’art de parler et de convaincre, avec pour manuel Victorinus.

Une autre école de renommée universelle fut au Xe siècle celle de l’abbaye de Saint-Gall. Elle comptait alors cinq cents moines, dont beaucoup était des érudits. Parmi ces érudits, figure en première ligne écolâtre Nokter le Bègue, qui alliait à la direction de l’école la transcription des manuscrits, la rédaction d’ouvrages originaux et la composition de mélodies.

Au XIe siècle, une école née de la réputation de son premier écolâtre fut celle du Bec en Normandie. L’abbaye avait été fondée modestement en 1035 par un chevalier devenu ermite, Herluin. Sans doute la petite communauté serait-elle restée dans l’ombre si une recrue de poids n’avait spontanément demandé l’habit monastique : Lanfranc de Pavie. Prié de constituer une nouvelle école au Bec, Lanfranc y attira des élèves et des admirateurs par centaines.

Au XIIe siècle, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie du Nord sont semées d’écoles cathédrales et abbatiales. Paris en possède en abondance ; les principales sont l’Ecole de Notre-Dame, dirigée pour un temps par Guillaume de Champeaux, et, sur la rive gauche, Saint-Germain-des-Prés, Sainte-Geneviève, Saint-Victor. Mais des particuliers peuvent aussi, s’ils ont assez de jactance, fonder la leur.

Certains fondateurs d’écoles, instables parce que cherchant le succès ailleurs, tentent leur chance dans des localités successives, à les suivre, on constate que les écoles accueillaient des élèves jusque dans les bourgs reculés. Abélard ouvre d’abord une école à Melun, puis à Corbeil, puis sur la Montagne-Sainte-Geneviève, puis, chassé par sa mésaventure avec Héloïse, à Maisoncelle-en-Brie, puis au Paraclet près de Nogent-sur-Marne, puis à nouveau sur la Montagne-Sainte-Geneviève, d’où il est arraché par sa condamnation définitive.

A l’abbaye Saint-Victor de Paris, fondée par Guillaume de Champeaux qui la quitta pour devenir évêque de Chalons, Hugues fut écolâtre de 1133 à 1141 ; il fut un maître inspiré et vénéré, mais attira peu d’auditeurs, car il se tenait à l’écart des joutes philosophiques en honneur chez la jeunesse de ce temps. En ce qui nous intéresse présentement, son ouvrage le plus intéressant est le Didascalion, qui dresse un inventaire des sciences à enseigner. Elles sont au nombre de quatre : 





  • science théorique, qui expose la vérité. A son tour, la science théorique, ou spéculative, se divise en théologie, mathématique, morale, politique
  • science pratique, qui est celle de l’action morale : logique, ou art de parler et d’argumenter





  • mécanique, ou science de l’action utile : tissage, armurerie, navigation, agriculture, chasse, médecine, théâtre
  • logique, ou art de parler et d’argumenter :  grammaire, art du discours, ce dernier comprenant la démonstration, la rhétorique et la dialectique.
Mais, quand il s’agit de programme d’enseignement, ce bel édifice s’effondre : Hugues affirme que les matières à exposer aux auditeurs sont celles du trivium et du quadrivium, cet héritage de Cassiodre.

Parmi les centaines d’écoles du XIIe siècle, l’une des plus célèbres fut celle de Chartres. Elle parait avoir existé dès le VIe siècle. Aux IXe et Xe siècles, elle dispensait un enseignement étendu, puisqu’on venait y étudier la médecine. Au début du XIe siècle, écolâtre Fulbert (mort en 1028) lui acquit une renommé universelle ; on y enseignait le trivium, le quadrivium, la théologie et la médecine. Ives (mort en 1115), qui devint évêque de Chartres comme Fulbert, lui ajouta le droit canonique. Le programme d’enseignement de l’école est développé par Thierry de Chartres dans son Heptateuchon qui théoriquement, comporte le trivium et le quadrivium, mais de fait fournit une abondance de textes pour les illustrer.

Le fameux cursus, en effet, était fort souple, selon l’état des connaissances du temps. Déjà, dans l’Antiquité, les maîtres pythagoriciens enseignaient les sciences de la nature (physique, météorologie, anatomie), qui ne figurent pas dans le quadrivium. A York, on omettait la dialectique, c’est-à-dire la philosophie, mais l’on enseignait le droit et l’histoire naturelle.

Les écoles dans le monde musulman

En Orient, les chrétiens établirent des écoles en Egypte, où brilla la théologie, et où les  juifs de la diaspora avait ouvert un centre renommé d’études hébraïques. En Mésopotamie, au milieu du Ve siècle, saint Ephrem de Nisibis avait fondé à Edesse une école où l’on enseignait la philosophie d’Aristote, la médecine d’Hippocrate et de Galien, les mathématiques et la théologie.

Quand, au VIIe siècle, les Arabes conquirent la Mésopotamie et la Syrie, ils apprirent le grec, et, délaissant la théologie chrétienne, s’empressèrent d’étudier la philosophie, les mathématiques et la médecine. Il se constitua ainsi, dès le VIIIe siècle, de nombreuses écoles en droit musulman, et certaines acquirent en quelques décennies une haute renommée.

La plus célèbre fut celle de Bagdad.

Au IXe siècle, l’enseignement se propagea vers l’Occident et s’installa en Espagne, où la plus brillante école fut Cordoue. Le plus renommé de tous les maîtres de Cordoue fut Averroès (Ibn Rochd, 1126-1198), qui influencera profondément la scolastique chrétienne.

Les universités

Le mot latin Universitas ne servait pas à désigner un établissement d’enseignement supérieur, mais l’ensemble des maîtres et des étudiants d’une même ville. Au départ, c’était une simple corporation, jusque-là inconnue. L’occasion en fut tout à fait banale : les étudiants parisiens de la rive gauche menaient une vie fort libre, souvent peu respectueuse de la propriété et de la tranquillité d’autrui, et ils avaient maints démêlés avec les bourgeois. En 1200, quelques-uns d’entre eux, plus ou moins ivres, saccagèrent la boutique d’un marchand de vin ; le guet arriva, et les prit sur le fait ; il en résulte une rixe, dans laquelle plusieurs étudiants perdirent la vie. Leurs condisciples portèrent plainte devant le roi contre le prévôt de Paris, responsable de la Police ; et Philippe Auguste, pour s’acquérir les faveurs de la gente écolière, lui accorda le privilège du for ecclésiastique ; c’est-à-dire qu’il la soustrayait à l’autorité laïque pour la soumettre à leur seule autorité ecclésiastique. Par la suite, la corporation, reconnue par le double pouvoir royal et ecclésiastique, obtint d’autres privilèges exceptionnels.

Ces privilèges ne semblaient pas suffisants à la nouvelle corporation. En effet, les conflits dont elle était délivrée par rapport au pouvoir laïc se renouvelèrent par rapport au pouvoir épiscopal. En 1212, Innocent III déliait l’universitas de l’autorité épiscopale pour ne relever que de l’autorité papale. En 1215, le cardinal légat, Robert de Courçon, ratifia ses premiers statuts, dont le plus important était la collation des grades de bachelier, de licencié et de docteur, ainsi que les conditions requises pour enseigner.

Cependant, évêque de Paris, Pierre de Nemours, n’abandonnait pas la prétention de soumettre l’universitas à sa juridiction. En 1222, avec l’accord du pape Honorius III, les universitaires quittèrent l’île de la Cité pour se réfugier sur la rive gauche, qui devint alors le quartier latin.

En 1231, Grégoire IX, par la bulle Parens scientiarum, confirma solennellement tous les privilèges concédés à l’université de Paris, qui devenait ainsi une puissance autonome.

Petit à petit se constitua l’organisation de cette corporation. A la spécialisation des études correspondirent les facultés. La première chronologiquement, qui formait une sorte de tronc commun préparatoire aux autres, était celle des arts, c’est-à-dire des lettres et des sciences. A l’issue de son cursus ès art, l’étudiant pouvait choisir entre trois autres facultés : théologie, droit, médecine.

Bien que les études elles-mêmes fussent gratuites, les étudiants devaient payer les professeurs, qui ne recevaient pas de traitement. Surtout, les étudiants devaient assurer leur logement et leur nourriture. Des mécènes fondèrent alors des pensions pour les nécessiteux. Ce furent les collèges, « lieux où l’on se réunit ». En 1253, le chapelain de Louis IX, Robert de Sorbon, fonda pour seize maîtres ès arts aspirant au doctorat de théologie, sur la Montagne-Sainte-Geneviève, celui qui devait être le plus célèbre, car, doté par le pape et le roi, il devint bientôt le siège de la théologie ; on l’appela Sorbonne.

Le régime des collèges était sévère ; les écoliers, pour être soustraits aux tentations du Quartier latin, qui étaient nombreuses et désastreuses pour les études, étaient astreints à résidence et ne pouvaient sortir que pour suivre les cours. Il en résulta vite que les meilleurs élèves des universités étaient ceux des collèges ; les familles riches voulurent bénéficier de ce précieux avantages, et demandèrent à en faire profiter leurs fils en versant une pension, ce qui permit aux collèges de se développer quant au nombre et quant aux ressources ; qui devinrent des établissements d’enseignement.

On était admis à la faculté des arts à partir de l'âge de quatorze ans. Le cursus adopté était celui des écoles de Paris : le trivium littéraire (grammaire, rhétorique, dialectique) et la quadrivium scientifique (arithmétique, géométrie, astronomie, musique) ; au XVe siècle, la musique passa du quadrivium au trivium, ce qui inversa les dénominations. Après deux ans d’études, on subissait un premier examen, la déterminance, devenue ensuite le baccalauréat, qui consistait dans une série de commentaires de textes étudiés au cours de l’année. Le titre suivant était la licence, obtenue après quatre nouvelles années.

Le cursus, pour obtenir le baccalauréat, puis la licence et enfin le doctorat, durait huit ans.

La réputation de la faculté de théologie fut bientôt universelle. En 1292, Nicolas IV accorda aux maîtres de l’université de Paris le privilège d’enseigner « sur toute la terre » sans avoir à subir d’autres examens.

L’autonomie et la renommée de l’université de Paris lui conférèrent à partir du XIVe siècle une forte importance politique. Philippe IV le Bel sut s’en faire un instrument en lui accordant un rôle dans les affaires intérieures de la France. Mais, forte de son autorité, l’université oublia en 1420 les faveurs des souverains pour proclamer roi Henri V d’Angleterre.

Un conflit d’une autre espèce opposa au XIIIe siècle l’université de Paris à l’autorité ecclésiastique ; ce fut celui qui naquit de l’enseignement d’Aristote. L’Occident avait perdu ses écrits, mais il avait été traduit du grec en arabe, et c’était sous cette forme qu’il était connu en Espagne ; or, au XIIe siècle, Raymond de Sauvetat, archevêque de Tolède (1126-1151), demanda à des philosophes de son entourage de traduire l’œuvre d’Aristote de l’arabe au latin. La connaissance de cet auteur ne fut pas sans transformer les notions qu’on avait de la philosophie. En même temps, ces auteurs chrétiens d’Espagne traduisaient en latin les œuvres d’Avicenne, inspirées largement d’Aristote. Ce fut ainsi que toute cette pensée gréco-arabe pénétra en France à la fin du XIIe siècle, et imprégna bientôt l’enseignement de certains maîtres.

En 1210, un concile de Paris, présidé par le métropolitain Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, condamna la philosophie d’Aristote comme incompatible avec la vérité chrétienne, et interdit son enseignement sous peine d’excommunication. Cependant, cinq ans plus tard, les statuts de l’université de Paris, approuvés par le cardinal-légat, opèrent une distinction dans l’œuvre d’Aristote.

Les décrets pontificaux n’empêchèrent nullement les maîtres dominicains de l’université de Paris, saint Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin, d’enseigner Aristote. Finalement, l’enseignement universitaire se prolongeant tel qu’il était prodigué, les traités d’Aristote furent officiellement inscrits au programme, qui, en 1366, fut approuvé par le chancelier de l’université.

Un conflit d’une autre nature opposa à Paris les maîtres séculiers et les maîtres religieux. Les deux ordres des Dominicains et des Franciscains avaient installé chacun un studium generale ; leurs maîtres ayant acquis, par leur parole et leurs écrits, une grande réputation, furent cooptés dans l’université, plus précisément à la faculté des arts. Cependant, cette entrée rencontra de fortes résistances, et fut même agressivement retardée ; il y avait à cela, outre la jalousie, une raison assez compréhensible : les maîtres religieux étaient extérieurs à l’université et échappaient sur un certain nombre de points à l’autorité du recteur et du conseil.

Mais les maîtres séculiers employaient un acharnement répété pour empêcher les mendiants d’accéder aux chaires qui leur étaient réservées. Saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure l’un dominicain et l’autre franciscain, tous deux reçus docteurs en 1253, se voyaient refuser l’accès à une chaire théologique. Le pape Alexandre IV, par décret du 23 octobre 1256, intima l’ordre de la leur octroyer. Le conseil de l’université résista pendant un an, puis s’inclina. Désormais, prêcheurs et Mineurs allaient pendant deux siècles procurer à l’université de Paris ses maîtres les plus illustres.

En un siècle, de nombreuses universités s’ouvrirent en Occident sur le modèle de celle de Paris. Avant celle-ci existait d’ailleurs celle de Bologne, qui ne fut pas considérée comme université a parti entière à cause de l’absence d’une faculté de théologie avant 1352.