13 avril 1695 : La dernière fable de Jean de La Fontaine

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Singulier paradoxe : notre grand fabuliste, l'auteur qui a introduit et répandu en France le seul genre moral qui ait eu un succès populaire, a vécu et écrit en marginal. Marié et père d'un enfant, il a laissé sa femme en province pour aller mener joyeuse vie de célibataire à Paris. Né dans une famille aisée avec terres, rentes et charges dans les Eaux et Forêts, il n'a plus rien quand il meurt chez les d'Hervart qui lui assurent le vivre et le couvert. Il a tout perdu dans le vin, le jeu et l'amour vénal. Il aurait voulu être un grand poète. Il écrit pour Foucquet des poésies de circonstance qui le font connaître dans le monde, mais ne lui assurent pas la vraie gloire. Toute sa vie, il restera frustré de n'avoir pas réussi, malgré plusieurs essais, une œuvre qui l'aurait rendu digne de figurer dans l'Art poétique. Ses Contes, en 1665, lui apportent, à quarante-quatre ans, un foudroyant premier succès. Ils font scandale. Le voilà classé parmi les libertins. Malgré les Fables, le roi a du mal à accepter son élection tardive à l'Académie française. Il doit promettre de se ranger. Il n'écrira plus guère. Il ne se range pas. Il fréquente de grands seigneurs non conformistes. Il reste un esprit libre, un auteur inclassable. La maladie le convertit. Il doit renier ses contes pour recevoir les derniers sacrements. On est tout surpris à sa mort de trouver chez lui des instruments dont il se punissait de ses fautes passées. Nul n'a plus que lui parlé de soi en un siècle où le moi est haïssable. Nul pourtant n'est plus mystérieux.

Les Fables occupent une place singulière dans notre mémoire : par le souvenir que nous gardons de ces poèmes devant lesquels nous sommes restés enfants, mais aussi par la grâce de tant de vers devenus proverbiaux et que notre parole quotidienne fait renaître. Et tout se passe comme si une correspondance secrète se maintenait de siècle en siècle entre ces Fables et l'identité de notre pays comme de notre langue.
Le premier recueil paraît en 1668, et le second dix ans plus tard. Le succès est immense et les poèmes, alors, appartiennent pleinement à leur temps : la France du règne de Louis XIV. Mais le mystère de leur pouvoir est de s'émanciper très vite de cet environnement immédiat, d'éclairer nos réalités successives, d'allier de manière toujours éclatante le particulier et l'universel. Dans cette « comédie à cent actes divers, / Et dont la scène est l'Univers », le texte se dérobe à toute signification définitive. Mais La Fontaine, à chaque page, nous convainc que la poésie, à ses yeux, demeure instrument de connaissance : il existe une beauté du savoir - et nous ne cessons pas de la retrouver en lui.




Le paradis perdu de Jean de La Fontaine
"Poète avant tout" - c'est ainsi que Jean-Louis Barrault parle de La Fontaine. Patrick Dandrey dresse un portrait tout en contrastes : il parle du paradis trouvé puis perdu de Vaux, des deux hommes - le chrétien et le libertin - qui cohabitent en lui, et de son œuvre entière faite de contrepoints.
Patrick Dandrey est professeur de littérature française du XVIIe siècle à l’Université Paris IV-Sorbonne et président de la Société des amis de Jean de La Fontaine. Grand spécialiste de l’œuvre, il est notamment l'auteur d'une biographie intellectuelle intitulée La Fontaine ou les métamorphoses d’Orphée (Gallimard Découvertes, première parution 1995, réédition 2008).

Tout est né pour aimer
Même si La Fontaine lui-même, alors qu'il était malade, a fini par renier ses Contes, il ne s'agit pas d'une partie mineure de son œuvre. Par essence licencieux, le conte correspond au goût d'un autre public de La Fontaine : celui des mondains gais et joyeux, qu'il fréquenta à Vaux.
Mathieu Bermann est agrégé de lettres modernes, docteur en littérature et langue françaises, spécialiste de l’œuvre de La Fontaine. Il est l'auteur de Les Contes et nouvelles en vers de La Fontaine : licence et mondanité (Classiques Garnier, 2016). C'est de cette partie de l’œuvre, moins connue que les célébrissimes fables mais non moins savoureuse, dont nous parlons. 

La pensée et la sagesse selon La Fontaine

Loin d'être un sermonneur, La Fontaine est un fablier qui fait réfléchir. Ses Fables explorent les méandres de la nature humaine ; mais plutôt que d'en tirer des maximes, l'auteur multiplie les questions. Et si le pouvoir des fables, c'était justement de produire une liberté de pensée heureuse ?
Olivier Leplâtre est professeur de littérature française à l'Université Lyon 3. Son travail porte sur la littérature du XVIIe siècle, et tout particulièrement sur Fénelon et sur La Fontaine. Il est l'auteur d'un essai, La parole et le pouvoir dans les Fables de La Fontaine, publié en 2002 aux Presses Universitaires de Lyon ; ainsi que d'une lecture commentée des Fables pour la collection Foliothèque, publiée en 1998. 

Entre l’homme et l’ange




Poète et promeneur, Jacques Réda aime tant La Fontaine qu'il affirmerait presque l'avoir rencontré dans le jardin du château de Saint-Germain. C'est sa lecture de l’œuvre qu'il partage, du "Songe de Vaux" au "Discours à Madame de La Sablière".
Jacques Réda est écrivain, poète, et grand lecteur de l’œuvre de La Fontaine. Témoignant de son amour pour La Fontaine, il est l'auteur du recueil de textes La Fontaine chez Buchet-Chastel, dans la collection "Les auteurs de ma vie" (2016).

Jean de La Fontaine par Hyacinthe Rigaud, en 1690 — http://www.allposters.com/gallery.asp?startat=/getPoster.asp&CID=C208C6E1931040E4BF97BB86371CF38E&frameSku=1349963_4986654-2668924, Domaine public