7 mai 1794: le culte de l'Etre suprême
Depuis
1790, un culte civique s'était peu à peu esquissé au fil des grandes fêtes,
telle la fête de la Fédération le 14 juillet 1790. Le culte de la Raison
est un des caprices de ce culte civique que les révolutionnaires ont tenté
d'établir d'une manière désordonnée jusqu'à la création du culte de l'Être
suprême par Robespierre. Le 10 août 1793, la fête de l'Unité et de
l'Indivisibilité fut la première fête purement laïque. Vers le même moment
s'affirmait une véritable dévotion populaire pour les martyrs de la liberté,
Lepeletier, Chalier et surtout Marat.
L'essor du culte de
la Raison est lié à la déchristianisation, opérée d'abord en province par les
initiatives de représentants en mission à l'automne 1793. À Paris, la
Convention adoptait le 5 octobre 1793 le calendrier républicain, dont le
but était bien de supprimer les superstitions ; il s'agissait, comme le
disait le rapporteur, de fonder « sur les débris des superstitions
détrônées la seule religion universelle, qui n'a ni secrets ni mystères, dont
le seul dogme est l'égalité, dont nos lois sont les orateurs, dont les
magistrats sont les pontifes ».
La Commune de Paris
prit l'initiative et poussa l'évêque constitutionnel Gobel à renoncer
spontanément à ses fonctions le 17 brumaire (7 nov. 1793). Le
20 brumaire, Chaumette fit célébrer dans l'église Notre-Dame une fête de
la liberté, une des manifestations les plus éclatantes du culte de la Raison.
On avait édifié une montagne en carton dans le chœur, entourée des bustes de
Voltaire, de Rousseau et de Franklin. Après les discours et les hymnes, la
Raison sortit de la montagne sous les traits d'une danseuse de l'Opéra.
Notre-Dame resta consacrée au culte de la Raison. Le 5 frimaire
(25 nov. 1795), toutes les églises de Paris étaient à leur tour consacrées
à la Raison.
Le culte de la
Raison ne fut jamais bien organisé. Hymnes patriotiques, lectures des lois,
discours contre les superstitions ou cérémonies plus ou moins grotesques, tout
cela était laissé à l'initiative des municipalités lors des réunions décadaires.
Une partie de la Convention, avec Robespierre, hésitait à poursuivre dans ce
sens, de peur d'aliéner à la Révolution la masse des catholiques. Le culte de
la Raison exprime pourtant une tendance assez forte qui se manifestera à
nouveau avec le culte de l'Être suprême et, plus tard, avec la théophilanthropie.
Robespierre est à
l'origine du culte de l'Être suprême, par lequel il prétendait donner à la
vertu, principe et ressort du gouvernement populaire, un fondement
métaphysique. L'essentiel de ses idées est contenu dans son discours du 18
floréal an II (7 mai 1794) sur l'établissement des fêtes
décadaires : « L'idée de l'Être suprême est un rappel continuel à la
justice, elle est donc sociale et républicaine. »
L'article
premier du décret du 18 floréal proclame que « le peuple français
reconnaît l'existence de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme ».
Quatre grandes fêtes républicaines étaient instituées à la gloire des grandes
journées de la Révolution : 14 juillet 1789, 10 août 1792, 21 janvier 1793
et 31 mai 1793. La fête de la Nature et de l'Être suprême inaugurait le nouveau
culte, le 20 prairial an II (juin 1794).
La
cérémonie comporta deux épisodes. Aux Tuileries, devant le pavillon central
couronné d'un gigantesque bonnet rouge, se dressait devant un amphithéâtre de
verdure une statue de l'Athéisme en étoupe, où nichait une statue de la
Sagesse, incombustible. Après la canonnade, les fanfares, les chœurs de l'Opéra
entonnèrent l'hymne : « Père de l'univers, suprême intelligence... »,
puis Robespierre, président de la Convention, fit un discours et mit le feu à
la statue de l'Athéisme, la Sagesse sortit intacte des flammes.
On
se rendit ensuite au Champ-de-Mars, préparé pour la circonstance : on y
voyait une montagne symbolique, une colonne de cinquante pieds, quatre tombeaux
étrusques, une pyramide, un temple grec et un autel. Un tableau de
Pierre-Antoine Demachy représente la cérémonie. Le cortège vint se promener
dans ce décor allégorique et, sur un dernier « Père de l'univers, suprême
intelligence... », éclata une formidable canonnade qui mit fin à la
cérémonie.
La
fête de l'Être suprême fut l'apothéose de Robespierre. Porte-drapeau de la
Révolution, il en était apparu comme le maître, précédant les députés d'une
vingtaine de pas. Mais cela permit à ses ennemis de le perdre en l'accusant de
viser à la dictature. Enfin, cette cérémonie ne fut pas du goût de tous les
Montagnards, qui accusèrent Robespierre de calotinisme.
Décret de la Convention
nationale du 18 floréal an II, 7 mai 1794.
Article
premier. Le Peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et
l'immortalité de l'âme. Article II. Il
reconnaît que le culte digne de l'Être suprême est la pratique des devoirs de
l'Homme.
Article
III. Il met au premier rang de ces devoirs de détester la mauvaise foi et la
tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de
respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le
bien que l'on peut, et de n'être injuste pour personne.
Article
IV. Il sera institué des fêtes pour rappeler l'homme à la pensée de la divinité
et à la dignité de son être.
Article
V. Elles emprunteront leurs noms des événements glorieux de notre Révolution,
des vertus les plus chères et les plus utiles à l'homme, soit des plus grands
bienfaits de la nature.
Article
VI. La République française célèbrera tous les ans les fêtes du 14 juillet
1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793.
Article
VII. Elle célébrera aux jours de décades les fêtes dont l'énumération suit : -
à l'Être suprême et à la Nature ; - au
Genre humain ; - au Peuple français
; - aux Bienfaiteurs de l'humanité
; - aux Martyrs de la liberté ; - à la Liberté et à l'Égalité ; - à la République ; - à la Liberté du monde ; - à l'Amour de la patrie ; - à la Haine des tyrans et des traîtres
; - à la Vérité ; - à la Justice ; - à la Pudeur ; - à la Gloire et à l'Immortalité ; - à l'Amitié ; - à la Frugalité ; - au Courage ; - à la Bonne Foi ; - à l'Héroïsme ; - au Désintéressement ; - au Stoïcisme ; - à l'Amour ;
- à l'Amour conjugal ; - à l'Amour paternel ; - à la Tendresse maternelle ; - à la Piété filiale ; - à l'Enfance ; - à la Jeunesse ; - à l'Âge viril ; - à la Vieillesse ; - au Malheur ; - à l'Agriculture ; - à l'Industrie ; - à nos Aïeux ; - à la Postérité ; - au Bonheur.
Article
VIII. Les Comités de salut public et d'instruction publique sont chargés de
présenter un plan d'organisation de ces fêtes.
Article
IX. La Convention nationale appelle tous les talents dignes de servir la cause
de l'humanité à l'honneur de concourir à leur établissement par des hymnes et
des chants civiques, et par tous les moyens qui peuvent contribuer à leur
embellissement et à leur utilité.
Article
X. Le Comité de salut public distinguera les ouvrages qui lui paraîtront les
plus propres à remplir cet objet, et récompensera leurs auteurs.
Article
XI. La liberté des cultes est maintenue conformément au décret du 18 frimaire.
Article
XII. Tout rassemblement aristocratique et contraire à l'ordre public sera
réprimé.
Article
XIII. En cas de troubles, dont un culte quelconque serait l'occasion ou le
motif, ceux qui les exciteraient par des prédications fanatiques, ou par des
insinuations contre-révolutionnaires, ceux qui les provoqueraient par des
violences injustes et gratuites, seront également punis selon les rigueurs de
la loi.
Article
XIV. Il sera fait un rapport particulier sur les dispositions de détail
relatives au présent décret.
Article
XV. Il sera célébré, le 2 prairial prochain, une fête en l'honneur de l'Être
suprême. David est chargé d'en présenter le plan à la Convention nationale.
ARTICLES — Jean DÉRENS, archiviste-paléographe,
bibliothécaire à la bibliothèque historique de la Ville de Paris – Jean DÉRENS,
« ÊTRE
SUPRÊME CULTE DE L' »,
Encyclopædia Universalis [en ligne],
consulté le 6 mai 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/culte-de-l-etre-supreme/
– Jean DÉRENS, « RAISON CULTE
DE LA », Encyclopædia Universalis [en
ligne], consulté le 6 mai 2018. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/culte-de-la-raison/
IMAGES : Le peuple
français reconnaît l'être suprême et l'immortalité de l'âme,
estampe anonyme, 1794, Paris, BnF, département Estampes et photographie, RESERVE QB-370 (46)-FT
4, Domaine public. École française du XVIIIe siècle, Portrait de
Maximilien Robespierre, musée Carnavalet — www.paris.fr/portail/Culture,
Domaine public. CONCEPTION Mai 2018 ©Laurent SAILLY-Méchant Réac ! ®