20 avril 1233 : La vérité sur l’Inquisition médiévale
Une procédure judiciaire
L’inquisition (du mot latin inquisitio
signifiant enquête, recherche) est d’abord la justice ordinaire de l’Eglise.
Elle est avant tout une procédure judiciaire, rendue possible par le renouveau
juridique du XIIème siècle. Jusqu’au XIIIème siècle, le droit canonique n'admet
en effet que la procédure accusatoire : le juge instruit les
plaintes ; la charge de la preuve lui revient. Apparaît ensuite la
procédure dénonciatoire, fondée sur une simple dénonciation et non plus
une plainte en bonne et due forme.
La procédure inquisitoire
confère au juge l'initiative de la poursuite. Dans cette nouvelle forme de
procédure, le juge peut lancer d'office une procédure sur la base de la fama publica
(la « notoriété »). Soit il trouve des accusateurs précis par le
biais d'une enquête, générale ou individuelle, soit il se charge lui-même
d'administrer la preuve. L'ensemble de la procédure fait une large place à
l'acte écrit, au témoignage et à l'aveu.
Une procédure codifiée
Par la bulle Ille humani generis
(20 avril 1233), la pape Grégoire IX retire aux tribunaux ecclésiastiques la
compétence contre les hérétiques lorsqu’un tribunal d'inquisition existe.
Robert
Le Bougre est un « célèbre inquisiteur, réputé pour sa rigueur et ses
excès. Adepte du catharisme (de là vient son surnom de Bougre), dans lequel il
avait atteint le grade de parfait et dont il était tenu pour un docteur, il
revint à l'orthodoxie et entra dans l'ordre des Frères prêcheurs. Il entreprit
en 1233 son action d'inquisiteur en Bourgogne et fit alors brûler ses premières
victimes à La Charité-sur-Loire. Devant l'inquiétude que suscitèrent ses
méthodes et ses œuvres, engagées sans leur consentement et par-dessus leur
juridiction, les archevêques de Sens et de Reims, à qui il revenait de juger
les hérétiques dans leurs propres diocèses, intervinrent auprès du pape
Grégoire IX. Celui-ci apaisa leurs craintes. Peu après cependant (1235),
Robert fut nommé inquisiteur général pour la France, à l'exception du
Languedoc. Il se montra alors impitoyable dans la répression, non seulement à
l'encontre des cathares
et autres hérétiques, mais aussi contre tous ceux qu'il suspectait de les
connaître sans les dénoncer. Il les pourchassa particulièrement en Champagne et
aux confins de cette région avec la Bourgogne. En 1239, il envoya au bûcher, à
Mont-Wimer, cent quatre-vingt-sept hérétiques et complices d'hérésie. À la
suite de plaintes du clergé et des autorités civiles, le pape ordonna une
enquête qu'il confia au bénédictin Mathieu Paris. Ce dernier établit la véracité
des mesures abusivement brutales et illégales de Robert, qui fut relevé de ses
fonctions et condamné à la prison à vie. »
Article écrit par Marcel PACAUT
: professeur d'histoire du Moyen Âge à l'université de Lyon-II-Lumière –
Encyclopédie Universalis
L'inquisition se préoccupe du rachat des âmes donc
souhaite obtenir le repentir des accusés. Toute une procédure est alors
mise en place pour obtenir leur témoignage, puis leurs aveux. Pour aider les
clercs à procéder aux interrogatoires, des manuels de l'inquisiteur sont
rédigés dont les plus célèbres sont le Manuel de l'inquisiteur de Bernard Gui, le manuel
d'Eymerich, et le manuel de Torquemada. On y indique la procédure, les
questions à poser, les pressions morales et les pressions physiques que l'on
peut y faire subir. L'inquisiteur doit extraire la vérité éventuellement « par la ruse et la sagacité ».
Parmi les pressions physiques, on peut citer la réclusion qui, selon Bernard
Gui, « ouvre l'esprit »,
ainsi que la privation de nourriture et la torture. Mais une des
particularités de l'instruction inquisitoriale est le secret : l'accusé et
ses proches ne connaissent aucun des chefs d'inculpation et la défense se fait
donc à l'aveugle. Trois tortures sont préconisées : l'eau,
la poutre et le feu :
« La première se donnait en liant à l’aide
d’une corde les bras du prévenu renversés par derrière. On lui attachait aux
pieds de lourdes pierres, on l’enlevait en l’air au moyen d’une poulie et on le
laissait ensuite brusquement retomber presque jusqu’à terre de façon que la
secousse disloquât les jointures. Cette torture durait une heure et quelquefois
davantage. Pour la torture de l’eau, les bourreaux couchaient la victime sur un
chevalet, espèce de banc creux qui se refermait sur elle et la comprimait
autant qu’on le voulait. Les reins portaient sur un bâton transversal et
l’épine dorsale n’avait pas d’autre appui. Le questionnaire, comprimant le nez
du patient couché dans cette horrible position, lui versait lentement dans la
bouche une quantité déterminée d’eau. Il paraît qu’il avait soin
préliminairement d’introduire dans la gorge un linge fin et mouillé dont
l’extrémité recouvrait les narines afin que l’eau filtrât avec plus de lenteur.
C’est du moins ce qu’affirme Llorente, qu’il ne faut pas toujours croire sans
examen ; mais ici son témoignage est confirmé par Damhoudère qui nous
apprend qu’on usait de ce procédé dans certaines parties des Flandres. La
torture du feu n’était pas moins cruelle. L’accusé les mains liées était couché
sur le dos. Ses pieds préalablement frottés d’huile ou de lard étaient passés
dans une sorte d’entrave en bois qui les tenait suspendus au-dessus d’un
réchaud ardent. »
Extraits (page 198) de Les crimes et les peines dans l'antiquité et dans les temps modernes : étude historique, Jules Loiseleur, Hachette, 1863
Extraits (page 198) de Les crimes et les peines dans l'antiquité et dans les temps modernes : étude historique, Jules Loiseleur, Hachette, 1863
Des esprits « éclairés »
L'usage de la torture posait un problème
moral pour les inquisiteurs, qui, en tant que clercs, n'avaient pas le droit de
verser le sang. Après un flou juridique initial, cette pratique est
officiellement autorisée pour l'Inquisition en 1252 par la bulle Ad extirpenda, sous réserve
de ne conduire ni à la mutilation ni à la mort, et en excluant les enfants, les
femmes enceintes et les vieillards de son champ d'application. L’accusé
bénéficie de deux protections : la question ne peut être donnée qu'une
fois, et les aveux doivent être répétés librement pour être recevables.
Selon Nicolas
Eymerich, inquisiteur général d'Aragon au XIVème siècle, la torture n'était
toutefois pas un moyen fiable et efficace d'obtenir la vérité (quæstiones sunt fallaces et inefficaces)
car il estimait que, non seulement la capacité de résistance variait
considérablement d'un individu à l'autre, mais aussi que certains accusés
usaient de sorcellerie pour devenir insensibles à la douleur, voire préféraient
mourir que de confesser. En 1561, l'inquisiteur général Fernando de Valdés fit preuve du même
scepticisme.
À l'époque même où la première Inquisition est
fondée, Bernard de Clairvaux
formule que « la foi doit être persuadée, non imposée ».
Dominique de Guzmán, de son côté,
fonde son ordre des prêcheurs pour réduire l'hérésie albigeoise
par la prédication et l'exemple d'une vie mendiante. Dans sa lignée, Thomas
d'Aquin, futur docteur de l'Église, affirme, dans la Somme
théologique, qu'il est rationnel et donc juste que l'homme suive sa
conscience.
Vérités
historiques
La fréquence de l'usage de la torture,
majoritairement reconnue durant les siècles précédents comme faisant quasi
systématiquement partie de la procédure inquisitoriale, est remise en cause par
des historiens contemporains.
L’image sombre de l’Inquisition au Moyen Age, sans
pour autant minorer l’importance de celle-ci, est aussi le fait de nombreux cas
d'abus condamnés du vivant des auteurs : un des pires exemples,
loin d'être un cas isolé, fut sans doute celui de Diego Rodriguez Lucero,
inquisiteur de Cordoue de 1499 à 1507, date à laquelle il a finalement été
relevé de ses fonctions ; on rappellera également que Robert le
Bougre a été condamné à la prison à vie pour ses abus (supra).
Liberté de
conscience et dogme catholique
La société médiévale est socialement chrétienne. L’ordre
social se confond au temporel avec le dogme catholique. Tout atteinte au dogme
peut porter atteinte à l’ordre social. Mais, autant il est du ressort des tribunaux
ecclésiastiques de « dire » le dogme (sous la coupe papale), il est
du ressort des tribunaux temporels de prononcer les sanctions pénales.
L’Eglise outre passe ses fonctions en sanctionnant,
au-delà du dogme, la liberté de conscience.
L’hérésie est, à l’origine, un dogme défendu par un
groupe de croyants (généralement sous la direction d’un théoricien), qui n’a
pas obtenu d’un concile qualifié d’œcuménique. L’hérétique a alors deux possibilités :
revenir dans la communauté en acceptant les conclusions du concile ou, quitter
celle-ci (il est alors excommunié). Mais dans les deux cas, l’individu a agi en
toute liberté de conscience.
L’Inquisition (c’est-à-dire la communauté des hommes)
a « oublié » cette liberté de conscience reconnue par l’Eglise des
origines.
Le Pape et l'inquisiteur,
peinture de Jean-Paul Laurens —
http://a33.idata.over-blog.com/550x450/2/72/00/88/le-passe-a-de-l-avenir/jean_paul_laurens_pape_et_inquisiteur_1882_mba_bordeaux.jpg,
Domaine public. Scène d'Inquisition par Francisco Goya — Web
Gallery of Art : Image Info about
artwork, Domaine public. Pape Grégoire IX – Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=449817. Pape Innocent III, fresque du cloître du Monastère
Saint-Benoît (Italie) – Par Anonyme — Image du Wikipedia Allemand, Domaine
public. Conception Image Avril 2018©Laurent SAILLY –
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