2 mai 1668 : Traité d’Aix-la-Chapelle, premiers succès du jeune Louis XIV


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« Les semaines qui suivent la disparition de Philippe IV [d’Espagne] voient les chancelleries préoccupées de la santé de l’infant don Carlos devenu le roi Charles II, préoccupées d’analyser le testament espagnol. Philippe IV a confié la régence à sa femme, l’héritage entier à Charles. Il a confirmé l’élimination de Marie-Thérèse fondée sur le traité de 1659. En cas d’extinction de la lignée mâle, la totalité des droits irait à Marguerite-Thérèse, fille cadette du roi, fiancée à l’empereur Léopold.

La diplomatie française doit œuvrer en tenant compte de ces éléments défavorables.  Mais Louis XIV bénéficie de facteurs étrangers et de l’heureuse diversion que représente la guerre entre Anglais et Hollandais (juin 1665-juillet 1667). D’ailleurs on travaille, dans l’entourage du Roi et de Turenne, à restaurer les droits de Marie-Thérèse. Un premier argument – cadeau posthume du cardinal Mazarin – est celui du dédommagement : la dot de 500.000 écus, promise en 1659, demeure presque totalement impayée. Si le chapitre de la dot est désormais caduc, pourquoi n’en irait-il pas de même des articles de la renonciation ? Mais si la renonciation demeure valable, il faut compenser l’absence d’écus d’or par un dédommagement territorial.

Le second argument, découvert dès 1662, est celui de la dévolution. Selon la coutume du Brabant et d’une part des Pays-Bas, en cas de mariages successifs, l’héritage va aux enfants du premier lit. Dès lors Marie-Thérèse, reine de France, fille du premier mariage de Philippe IV, posséderait au Brabant (et dans les provinces voisines) le droit à la totalité de l’héritage, à l’exclusion de Charles II, issu du second lit. Ce que les juristes de Louis XIV ne disent pas, c’est que la dévolution n’est qu’usage de droit privé, par eux abusivement transporté au cœur du droit public. (…)

Au nom du droit de dévolution, la France revendique « dans les Pays-Bas, du chef de la Reine », quatorze provinces ou grands fiefs (…). Le droit n’est ici que prétexte. Le souci de la gloire est patent. Mais le mobile profond est défensif et frontalier (…).

On devine aujourd’hui aisément que Louis XIV réclamait le maximum dans l’espérance d’obtenir environ un sixième (la suite des évènements le confirme). (…) Aidé par Hugues de Lionne, Louis XIV joue donc un jeu délicat mais logique, celui qui consiste à effrayer l’Espagne en rassurant Londres et La Haye.

L’ultimatum rédigé, et surtout le recueil de ses pièces « justificatives », le roi de France le brandit au début du printemps de 1667. Depuis la fin d’avril ont commencé à Bréda les conférences de la paix, réunissant l’Angleterre, la Hollande, la Suède, le Danemark et la France. (…) Le 8 mai, Louis XIV adresse le résumé du Traité des droits à la reine régente des Espagnes ; le 9, il en envoie une copie dûment traduite à « leurs hautes puissances les Etats généraux », accompagnée d’une lettre expliquant la rupture de la paix. Les Hollandais sont si peu rassurés qu’ils vont tenter un coup décisif contre l’Angleterre : le 14 juin, Ruyter parvient avec sa flotte jusqu’aux portes de Londres. Le 31 juillet, la paix de Bréda est signée.

La veuve de Philippe IV, pour sa part, refuse avec dédain la demande française. Elle ne veut rien aliéner ou céder (…).

(…) Le 19 janvier 1666, Turenne passe en revue à Breteuil en Picardie une armée de 10000 hommes. (…). Les 5 et 6 mai 1666, devant le Roi, la Reine, Monsieur, et nombre de seigneurs ou dames, évoluent la cavalerie de la maison du Roi (…) ; les gardes françaises et les gardes suisses. (…). Du 8 janvier 1666 au 22 avril 1667, Louis XIV ne consacre pas moins de vingt-deux journées à passer en revue ses troupes.

C’est une armée de plus de 50000 hommes exercés que Louis XIV, en mai 1667, et sans déclaration de guerre, lance à l’assaut de la Flandre. Le gouverneur espagnol des Pays-Bas, Castel-Rodrigo, n’a que 20000 soldats. Il se sait vaincu « à moins d’un miracle ». Il ne peut que garnir tant bien que mal se places fortes. La campagne qui s’ouvre ne saurait don être qu’une guerre de sièges. Or une guerre de sièges, même si le camp attaqué se trouve en état de faiblesse, n’est jamais simple promenade militaire. Tous les chefs l’entendent ainsi (…).

          
Le Roi ne cherche pas à contrarier les compétences. Il se rallie aux intentions de Turenne, découvre Vauban et lui fait aussitôt confiance. Il règne plutôt qu’il ne guide ses armées.

(…)

La netteté et la rapidité des succès français aux Pays-Bas inquiètent l’Europe depuis juillet. (…) Les Provinces-Unies, l’Angleterre et la Suède menacent implicitement la France d’une guerre, si celle-ci garde la totalité de ses conquêtes de 1667 et n’accepte pas de médiation. En sens inverse, les agents de Louis XIV pratiquent dans l’Empire une véritable offensive de charme (et d’écus trébuchants), et M.  de Grémonville, notre ambassadeur à Vienne, fait accepter par Léopold 1er, le 19 janvier 1668, un « traité de partage » secret des Espagnes et de leur empire colonial (…).

Sans attendre ni le traité Grémonville, ni celui de La Haye, Louis XIV a décidé de hâter un projet envisagé depuis déjà un, celui de s’emparer de la Franche-Comté. [Le Roi] arrive à Dijon le 7 [février] pour apprendre le soir même la capitulation de Besançon. Le prince de Condé s’est emparé de la ville sans tirer un coup de feu. (…) Louis XIV se présente devant Dole, alors capitale de la province, le 10 février ; cette ville capitule le 14 (…).

Les Comtois, qui ne sont ni Espagnols ni Français mais rêvent d’une impossible neutralité, sont parfois amers.

(…) Louis XIV et le grand Condé (…) viennent d’assurer au royaume le gage essentiel qui est désormais indispensable aux « droits de la Reine » dans la conjoncture diplomatique issue de la réconciliation des puissances maritimes.

Sans l’acquêt provisoire de la Comté, un accord anglo-néerlandais eût risqué de priver la France de toutes ses conquêtes de 1667. Grâce à lui, le Roi peut conclure une paix avantageuse en se donnant le rôle du vainqueur généreux (…).

Le traité (…) est conclu à Aix-la-Chapelle le 2 mai à Aix-la-Chapelle (…). Le roi de France (…) gagne aux Pays-Bas un grand nombre de possessions utiles : Bergues et Furnes complètent notre domaine de Flandre maritime – dont Dunkerque, acheté aux Anglais en 1662, est la perle. L’acquisition de Binche et de Charleroi nous donne une avancée dans le Hainaut. Mais le gros des avantages territoriaux est fait de la Flandre française. (…) Ce sont Armentières, Menin, Audenarde, Tournai, Courtrai, Ath, Douai et surtout Lille. Ces villes, bientôt fortifiées par Vauban, vont aider le Roi à forger la fameuse « ceinture de fer ». (…) »

Texte extrait de « Louis XIV » par François Bluche – Fayard, p.350 à 359

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Louis XIV visitant une tranchée pendant la guerre de Dévolution par Beaudrin Yvart, d'après Adam Frans Van der Meulen, d'après Charles Le Brun, Domaine public.

Louis XIV par Charles Le Brun Par La Varende, Jean de: Louis XIV, Paris : Éditions France-Empire, 1958. - Château de Versailles, Domaine public.