23 avril 1671 : Vatel n’a jamais existé… ou du moins pas celui que vous croyez !


Le plus célèbre des cuisiniers français de Louis XIV était… maître d’hôtel (il à la charge de « contrôleur général de la Bouche de Monsieur le Prince », c’est-à-dire en charge de l’intendance et de l’organisation et non cuisinier), d’origine suisse (son vrai nom Fritz Karl WATEL) et au service du prince de Condé (dit le Grand Condé) ! Il n'a aucune recette à son actif (si ce n'est la crème Chantilly, qu'il aurait inventée à... Vaux-le-Vicomte).

Son geste, aussi dramatique soit-il, et son nom, ne seraient pas passés à la postérité sans les lettres de la Marquise de Sévigné :

« Mais voici ce que j’apprends en entrant ici, dont je ne puis me remettre, et qui fait que je ne sais plus ce que je vous mande : c’est qu’enfin Vatel, le grand Vatel, maître d’hôtel de Monsieur Fouquet, qui l’était présentement de Monsieur le Prince, cet homme d'une capacité distinguée de toutes les autres, dont la bonne tête était capable de soutenir tout le soin d'un État ; cet homme donc que je connaissais, voyant à huit heures ce matin, que la marée n'était point arrivée, n'a pu souffrir l'affront qu'il a vu qui l'allait accabler, et en un mot, il s’est poignardé. […] Je ne doute pas que la confusion n'ait été grande ; c'est une chose fâcheuse à une fête de cinquante mille écus ».

Marquise de Sévigné, lettre à Madame de Grignan du 24 avril 1671.

« À quatre heures, Vatel va partout, il trouve tout endormi. Il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportait seulement deux charges de marée ; il lui demanda : "Est-ce là tout ? " Il lui dit : "Oui, Monsieur." Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les ports de mer. Il attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne viennent point ; sa tête s'échauffait. Il croit qu'il n'y aura pas de marée ; il trouve Gourville, et lui dit : "Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci ; j'ai de l'honneur et de la réputation à perdre." Gourville se moqua de lui ; Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du cœur, mais ce ne fut qu'au troisième coup, car il s'en donna deux qui n'étaient pas mortels : il tombe mort. La marée cependant arrive de tous côtés ; on cherche Vatel pour la distribuer, on va à sa chambre ; on heurte, on enfonce la porte ; on le trouve noyé dans son sang ; on court à M. le Prince, qui fut au désespoir. M. le Duc pleura ; c'était sur Vatel que roulait tout son voyage de Bourgogne. M. le Prince le dit au Roi fort tristement : on dit que c'était à force d'avoir de l'honneur à sa manière ; on le loua fort, on loua et on blâma son courage... »

Marquise de Sévigné, lettre à Madame de Grignan du 26 avril 1671.

La vérité historique est parfois décevante. Toujours est-il que ce 23 avril 1671, le « contrôleur général de la Bouche de Monsieur le Prince », déjà affecté que la veille certaines tables aient manqué de rôtis, est au comble du désespoir en apprenant, le retard de la « marée » qui amène les poissons et les coquillages de Boulogne. Pourtant, la « marée » sera là à l’heure mais le pauvre homme est déjà mort.

Le Roi-Soleil, informé par Monsieur le Prince, se montre affligé par un sens de l'honneur aussi aigu mais la fête n'en continue pas moins jusqu'à son terme.