9 mars 1762: Jean Calas est condamné à mort


En 1761, lorsque l’affaire Calas éclate, l’Edit de Nantes (1598), édit de tolérance reconnaissant la liberté de culte aux protestants, n’est plus. Louis XIV l’a révoqué le 18 octobre 1685 et les dragonnades se multiplient pour convertir de force les protestants.

En cette deuxième moitié du XVIIIème siècle, le pouvoir royal reste également confronté au jansénisme, mouvement religieux du XVIIème siècle qui s’est développé en réaction à certaines évolutions de l'Église catholique et à l'absolutisme royal, qu’il rejette avec l’aide du pape.

L’affaire Calas survient à quelques mois des célébrations du bicentenaire du jour de la Victoire à Toulouse. Le 17 mai 1562, jour de Pentecôte, les Huguenots, las des persécutions dont ils sont victimes, sont sur le point de se rendre maîtres du Capitole mais ils sont délogés et quatre mille d’entre eux sont massacrés.

Le 13 octobre 1761, après un dîner familial, vers 19h30, Marc-Antoine, comme à son habitude, sort. Personne n’est inquiet de son absence, il part souvent faire une promenade le soir. Vers 22 heures, Lavaysse décide de se retirer, son ami Pierre Calas le raccompagne en l’éclairant d’un flambeau, c’est là qu’ils découvrent Marc-Antoine suspendu entre les deux battants de la porte qui communique de la boutique au magasin. Ils remontent pour en avertir Jean Calas. Tous poussent des cris d’effroi. Calas et son fils Pierre décident d'étendre le cadavre à terre. Alors que Lavaysse court chercher un chirurgien, les sanglots et les cris des Calas transpercent les murs et une foule s’amasse aussitôt devant leur maison. Cette foule ne connaît pas les causes de la mort de Marc-Antoine puisque les Calas ont convenu de ne pas les divulguer. A l'époque, les corps des suicidés sont en effet soumis à jugement puis à des peines infamantes. Aussitôt, la foule porte une accusation : les protestants Calas ont assassiné leur fils Marc-Antoine qui voulait se convertir au catholicisme. Alerté par la clameur publique, le capitoul4, David de Beaudrigue, intervient sur le champ avec sa « main forte », la force publique.

Arrivé sur les lieux, le capitoul se contente d’examiner sommairement le cadavre et de conclure qu’« il n’était pas mort de mort naturelle ». Il fait donc mander deux chirurgiens pour procéder à la « vérification du cadavre ». Beaudrigue ne perquisitionne pas et ne laisse aucun homme de la force publique devant la maison des Calas. Il arrête tous les occupants de la maison et fait déplacer le cadavre pour aller à l’hôtel de ville, bafouant ainsi l’ordonnance criminelle du 26 août 1670 (titre IV, article premier) en vigueur à l’époque. Dressé le 14 à l'hôtel de ville, le procès-verbal est antidaté.

Le soir même, le capitoul procède à l’audition de Jean Calas, qui ne répond pas précisément à la question sur les causes de la mort de son fils.

Selon ses dires, Marc-Antoine a été retrouvé mort couché à terre alors que la porte de la boutique était fermée. Beaudrigue en conclut que Marc-Antoine a été assassiné par une personne présente dans la maison et, convaincu par la rumeur de la foule hostile, il ne suivra plus que la piste du crime calviniste.

Lors du deuxième interrogatoire, le 15 octobre, voyant la tournure que prennent les événements, Jean Calas revient sur sa version des faits : Il affirme avoir découvert Marc-Antoine pendu et avoue avoir menti pour « conserver l’honneur de sa famille ». Mais il est trop tard, le capitoul ne le croit plus, et veut à tout prix faire avouer Calas.

Le procureur du roi Pimbert décide de recourir aux monitoires en posant quatre questions orientées clairement dans le sens d’un complot familial à l’encontre du fils pour l’empêcher de se convertir. Lui non plus n’hésite pas à faire des entorses à la légalité : les noms de Marc-Antoine et des accusés sont mentionnés dans les monitoires, contrairement aux dispositions de l’ordonnance de 1670 (titre VII, article 4).

Les 87 dépositions ainsi recueillies, n’apportent aucun élément décisif.

Un premier procès a lieu le 18 novembre 1761, soit un mois après les faits. Entre temps, le 8 novembre, Marc-Antoine a été inhumé en grande pompe selon le rite catholique. Le cercueil a été accompagné jusqu’au tombeau par une foule frénétique et immense. En faisant de ce tombeau celui d’un nouveau saint, les Toulousains condamnent, par anticipation, les Calas et valident ainsi la thèse du complot protestant.

Le tribunal est composé de quatre capitouls - dont deux ont participé à l’instruction - et de trois assesseurs.

Les accusés se défendent seuls. Les avocats sont en effet exclus de la phase d’instruction ainsi que de l’audience depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 (article 162).

Le procureur du roi Lagane requiert la peine de mort pour les trois Calas, les galères perpétuelles pour Lavaysse et un emprisonnement ferme de cinq ans pour la servante catholique Viguière.

Après de longues discussions et deux séances de vote, les juges condamnent les Calas à subir la question préalable avant jugement et Lavaysse et Viguière à y être présentés (simple intimidation dans ce dernier cas). Il y avait deux sortes de questions : la question ordinaire et la question extraordinaire. A Toulouse, la question ordinaire se faisait par étirement (les membres du condamné étaient étirés par des palans) et la question extraordinaire par l’eau (on faisait avaler une grande quantité d’eau au condamné) pour obtenir l’aveu du crime.

Les accusés interjettent appel devant le Parlement de Toulouse. Le procureur Lagane fait de même, estimant la peine insuffisante.

Le dossier ne contient toujours pas de preuve irréfutable de l’assassinat de Marc-Antoine et aucun accusé n’a avoué. Pourtant, le procureur général du roi Riquet de Bonrepos requiert la mort contre les Calas et plus ample information pour Lavaysse et Viguière.

Les treize juges du Parlement sont très partagés sur le sort des accusés. Il faudra dix séances pour que la majorité requise de deux voix d’écart soit obtenue. Le 9 mars 1762, le Parlement condamne Jean Calas à la peine de mort par 8 voix contre 5. Il sera également soumis préalablement à la question ordinaire et extraordinaire afin qu’il avoue son crime puisque le dossier est vide. Il est sursis à statuer sur le cas des autres accusés, les juges attendant les aveux de Jean Calas.

Le 10 mars 1762 au matin, le capitoul David de Beaudrigue soumet le condamné à un dernier interrogatoire. Jean Calas exténué, ne variera pas et confirmera qu’il est innocent ainsi que son entourage. Il subit donc la question ordinaire puis extraordinaire sans rien avouer.

L’après-midi, il endure le supplice de la roue. L’arrêt du Parlement de Toulouse a prévu que le bourreau « lui rompra et brisera bras, jambes, cuisses et reins, ensuite l'exposera sur une roue qui sera dressée tout auprès du dit échafaud, la face tournée vers le ciel pour y vivre en peine et repentance des dits crimes et méfaits, (et servir d'exemple et donner de la terreur aux méchants) tout autant qu'il plaira à Dieu lui donner de la vie ». Durant l’épreuve, Jean Calas est resté digne et ferme, « il ne jeta qu'un seul cri à chaque coup » et ne confessa rien au Père Bourges près de lui, excepté qu’il voulait mourir protestant. Il prit Dieu à témoin et le conjura de pardonner à ses juges.

Après deux heures passées sur la roue, le bourreau l'étrangle puis jette son corps dans un bûcher ardent. Ses cendres sont dispersées au vent.

Le 17 mars, les juges décident de bannir Pierre Calas à perpétuité et d’acquitter Madame Calas, Lavaysse et la servante.

L’affaire Calas a un retentissement considérable en France. Voltaire, alerté sur les contradictions du procès, décide de mener l’enquête. Après avoir examiné les pièces durant trois mois et après avoir longuement interrogé les frères Calas réfugiés à Genève, Voltaire a acquis une intime conviction : Marc-Antoine n’a pas pu être assassiné par son père. Dès lors, il travaille sans relâche à obtenir la réhabilitation de Jean Calas, multipliant les interventions à Versailles. Il débute l’écriture du « Traité sur la tolérance » dès octobre 1762. Bien que son ouvrage ait pour origine l’affaire Calas, dont il dénonce les incohérences, Voltaire élargit les perspectives à une vaste réflexion sur la tolérance : « Sortons de notre petite sphère et examinons le reste de notre globe ». L’universalité des Lumières est bien là.

Tout s’accélère le 7 mars 1763, lorsque le Conseil du roi ordonne à l'unanimité au Parlement de Toulouse de communiquer la procédure. Ce dernier résistera et ne s’y résoudra qu’au bout d'un an.

En novembre, la publication du "Traité sur la tolérance" a un grand retentissement.

Une assemblée de quatre-vingts juges casse l’arrêt du Parlement de Toulouse le 4 juin 1764 et ordonne la révision entière du procès. En février 1765, le capitoul David de Beaudrigue est destitué et le 9 mars 1765, Jean Calas et sa famille sont définitivement réhabilités à l’unanimité par la Chambre des requêtes de l’hôtel.

« Ce fut dans Paris une joie universelle : on s'attroupait dans les places publiques, dans les promenades ; on accourait pour voir cette famille si malheureuse et si bien justifiée ; on battait des mains en voyant passer les juges, on les comblait de bénédiction » décrit Voltaire.

Après avoir passé plusieurs années dans les couvents à fuir la furie de ceux qui ne voulaient se résoudre à son innocence, Madame Calas est invitée à Versailles pour rencontrer Louis XV qui lui accorde, ainsi qu’à ses enfants, une pension de 36 000 livres.