27 mars 1785 : Louis XVII, naissance d’un indicible martyre


De 1785 à 1795, le sort du royaume de France se confond avec celui de la famille de Louis XVI. La mort du dauphin Louis-Joseph, le frère aîné du futur Louis XVII en juin 1789 marquant le début de la tragédie… Tragédie d'un roi sans royaume, d'un orphelin à la fois captif et otage des luttes de pouvoir inhérentes à la Convention.
Instrumentalisé, esseulé et malade, le 8 juin 1795, vers 15 heures, le petit Louis Charles, ci-devant Dauphin de France devenu roi sous le nom de Louis XVII à la mort de son père Louis XVI, expire entre les bras de l’un des gardiens de la prison du Temple, où il est enfermé depuis près de trois ans.

« J'en appelle à toutes les mères... »

C'est par ce cri indigné que Marie-Antoinette réagit instinctivement, au cours de son procès, en octobre 1793, lorsqu'on lui demande pourquoi elle ne répond pas aux accusations d'inceste qu'on a placées dans la bouche de son fils. Louis-Charles, le malheureux Dauphin, a été arraché à sa mère au mois de juillet précédent.

Louis Charles était prisonnier au Temple depuis le 13 août 1792. C’était jusqu’alors un enfant vif, joyeux, d’une intelligence précoce, d’une santé robuste mais d’un tempérament nerveux, très affectueux : le “Chou d’amour” est notamment très attaché à sa “Maman Reine”. Il partage d’abord sa détention avec le reste de sa famille. L’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, change la donne : quelques minutes après les coups de canon qui annoncent la nouvelle, Marie-Antoinette s’agenouille devant son fils : le Dauphin est désormais, pour tous les royalistes, Louis XVII. Étendard des chouans, réclamé par toutes les monarchies en guerre contre la France, l’enfant devient un enjeu de prix, et une source d’embarras : faut-il l’exiler ? le garder en otage ? Hébert propose « que ce petit serpent soit jeté dans une île déserte » ; beaucoup souhaiteraient la mort du « petit sapajou engendré par une guenon », comme l’appelle encore Hébert, mais même la Révolution française, qui ne fut pas avare de crimes, reculera devant l’horreur d’envoyer un enfant à l’échafaud.

Responsable des prisonniers du Temple, Chaumette a la solution : « Je l’éloignerai de sa famille, pour lui faire perdre l’idée de son rang. » Le 3 juillet 1793, l’enfant est arraché à sa mère pour être confié à un cordonnier illettré et à sa femme, les Simon, dans un appartement séparé. Simon travaille à la dépravation morale du “louveteau” : on lui apprend à jurer, à blasphémer, à renier son origine, on le coiffe du bonnet rouge, on l’abreuve de vin de même couleur pour lui faire chanter la Carmagnole. Le municipal Daujon l’entend dire, à propos de sa mère et de sa tante détenues à un autre étage : « Est-ce que ces satanées putes-là ne sont pas encore guillotinées ? » Pour le faire obéir, Simon le menace de la guillotine, menace qui, pour le fils de Louis XVI, n’a rien de rhétorique et qui le plonge dans un état de profonde terreur. Gifles et rasades d’eau-de-vie ont remplacé les leçons de grammaire ou de mathématiques.

Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que la santé de l’enfant se dégrade. Déjà atteint de puissantes fièvres en mai 1793, il est victime de fortes diarrhées à la fin de l’année, soignées par le Dr Thierry. C’est aussi la période où commencent les rumeurs de mort ou de substitution.

Le 7 octobre 1793, à la suite des accusations ignominieuses qu’on lui a soutirées à l’encontre de sa mère et de sa tante, l’enfant est confronté à celle-ci et à sa sœur : c’est la dernière fois qu’il est vu par des membres de sa famille. En janvier suivant, les Simon démissionnent de leurs fonctions, dans lesquelles ils ne seront pas remplacés.

Madame Élisabeth et Madame Royale s’imaginent alors que l’enfant est parti avec eux. Comme c’est aussi le moment où le Dr Thierry cesse de venir au Temple, et qu’aucun linge du dauphin n’a été emporté le 30 janvier, certains ne manquèrent pas d’en tirer la conclusion que l’enfant serait mort à cette date. Le général d’Andigné, détenu au Temple sous le Consulat, n’a-t-il pas assuré y avoir déterré, en jardinant, le cadavre d’un enfant ? Compte tenu de la situation internationale, le Comité de salut public aurait décidé alors de cacher cette mort et de procéder à une substitution.

“Un enfant mourant, victime de l’abandon le plus complet”

En réalité, les Simon ont simplement obtempéré à un décret qui venait d’être pris contre le cumul des fonctions ; leur départ aura quelque peu désorganisé le service, dont la blanchisserie, et Thierry a cessé de venir, très probablement, parce que les diarrhées avaient cessé…

Les soupçons sont pourtant renforcés par la relative réclusion dans laquelle était alors maintenu l’enfant – probablement pour accélérer une dégradation morale déjà bien engagée : désormais enfermé dans une pièce close, il est abandonné à lui-même la plupart du temps, mais souvent réveillé la nuit pour des contrôles. Les quatre nouveaux commissaires qui se relaient chaque jour à sa garde ne s’en occupent que de loin. L’hygiène du prisonnier se détériore rapidement : il vit dans la crasse, se nourrit peu, ne fait plus d’exercice, parle à peine. Les soldats du Temple, qui ne le voient jamais, en sont réduits à se demander « s’ils gardent des pierres ou quelque chose ».

Après la chute de Robespierre, le 27 juillet 1794, le premier acte public du nouvel homme fort, Barras, est de se rendre au Temple. Il découvre un enfant dans un état déplorable, prostré, vivant au milieu des ordures, incapable de marcher tant il a les genoux gonflés, souffrant de rachitisme. De nouveaux gardiens sont nommés, et les conditions de détention s’améliorent. Trop tard pour Louis XVII, déjà atteint de tuberculose.

À cette époque, Louis de Frotté, le chef chouan, cherche à soudoyer un conventionnel pour s’introduire au Temple : celui-ci le dissuade de ce « sacrifice […] inutile », l’enfant ayant été « entièrement abruti » par les mauvais traitements.

Au début de mai 1795, ses gardiens signalent « une indisposition et des infirmités qui paraissent prendre un caractère grave ». Le Dr Pierre Joseph Desault, dépêché au Temple, déclare y avoir « trouvé un enfant idiot, mourant, victime de la misère la plus abjecte, de l’abandon le plus complet, un être abruti par les traitements les plus cruels et qu’il est impossible de rappeler à l’existence ». Son traitement reconstituant produit un léger mieux mais est impuissant à rétablir la santé du jeune roi. Quelques jours après, le médecin meurt brusquement : non pas, comme on l’a dit, empoisonné parce qu’il aurait constaté que le prisonnier n’était pas Louis XVII, mais victime d’une épidémie qui emporta aussi plusieurs de ses collègues. Son successeur, Philippe-Jean Pelletan, n’obtient pas plus de résultat. L’enfant expire le 8 juin sans qu’il ait rien pu faire. La mort sera tenue secrète pendant une demi-journée, le temps de la proclamer à la tribune de la Convention.

Qui a volé le cœur de Louis XVII ?

L’air est léger le matin du 9 juin 1795 dans les rues de Paris. Il règne un silence inhabituel, comme si la ville retenait son souffle. Les ondes de la Terreur se sont peu à peu dissipées, le bruit de la guillotine qui tournait à plein régime s’est presque tu, les révolutionnaires qui se déchiraient pour le pouvoir se sont entretués. Paris n’a pas connu ce calme depuis le déferlement de violence qui a suivi la guerre contre les armées anti-révolutionnaires et l’exécution du roi Louis XVI.

Un médecin loyal au nouveau régime

L’origine de cette paix retrouvée ? La mort de Robespierre, l’homme qui dominait le Comité de salut public, excommuniait les traîtres et les infidèles à tour de bras, tué par ceux que l’on nomme les Thermidoriens. Et l’on peut désormais respirer sans craindre d’être trahi par son ombre. Un an après cette exécution, la Révolution hésite : peut-elle s’assagir sans se trahir ? Faut-il rédiger une nouvelle Constitution pour établir une république bourgeoise et modérée ?

Longeant la Seine pour rejoindre la prison du Temple, un homme marche d’un pas rapide, perdu dans ses réflexions. Philippe-Jean Pelletan vient de quitter l’Hôtel-Dieu avec son jeune élève, Guillaume Dupuytren. Professeur de clinique chirurgicale, c’est un citoyen modeste, mais de grand renom, loyal au nouveau régime. Il s’est toujours tenu éloigné de la politique. Les hommes et leur goût du pouvoir ne l’impressionnent pas. Il connaît trop bien leurs entrailles, la matière dont sont faits leurs intestins. Sur une table de dissection, tous les corps se ressemblent. Sa thèse porte sur « l’entérocèle étranglée », une forme de hernie intestinale. Le reste n’est que bavardage.

Cette mort misérable révolte le Dr Pelletan

Ce jour-là, quelque chose vacille en lui. Sa loyauté lui pèse. Il a été appelé par le Comité de salut public pour une mission spéciale, intimement liée au destin de la Révolution : autopsier le corps d’un enfant de 10 ans mort la veille, le deuxième fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le petit duc de Normandie. Le 21 janvier 1793, jour de la décapitation de son père, il est devenu Louis XVII, selon le principe monarchique ancestral. Le roi est mort, vive le roi ! Certes du sang royal, maudit, coulait dans ses veines. Mais sa mort misérable révolte le médecin : la Révolution ne dévore pas seulement ses enfants, elle trahit ses idéaux humanistes en sacrifiant des victimes innocentes.

« Alors, qu’avez-vous décidé ? Vous venez avec moi ? » demande le docteur Pelletan, en jetant un coup d’oeil der rière lui, de plus en plus agacé par la présence évanescente de son apprenti dont le pas ne cesse de ralentir depuis quelques mètres.

Guillaume Dupuytren est le plus doué de ses élèves. Philippe-Jean Pelletan lui a proposé de l’accompagner à la prison du Temple, une faveur ! C’est une mission délicate : il leur revient de dire que le jeune Louis XVII est mort « naturellement » dans cette prison, et non en raison des mauvais traitements qui lui ont été infligés. Pour exempter la Révolution de sa faute. Et montrer que la mort de ce petit roi a été causée par la maladie que ses ancêtres étaient supposés guérir : les écrouelles, une infection de ganglions du cou. Donc que la magie royale a disparu.

Mais il sent que son élève a peur. Cet ambitieux qui n’a de cesse de naviguer entre les dépouilles et les corps pour faire avancer sa carrière, de jouer du bistouri comme d’un instrument d’ascension sociale, évite soigneusement les situations qui pourraient compromettre son avenir. « Non, je crois que je vais finalement retourner à l’hôpital pour vérifier quelque chose... Je vous retrouverai demain. » Le rouge monte aux joues du docteur Pelletan. Cet enfant fait encore peur. Le contact de sa dépouille mortelle peut-il lui porter malheur ? Malgré ses craintes, il poursuit son chemin.

Dans la cellule sombre, les autres médecins sont déjà penchés sur le corps de l’enfant, posé sur une table en bois. « On n’attendait plus que vous ! » s’exclame le docteur Dumangin, manifestement excité par la perspective de découper le cadavre royal. En voyant ce corps si maigre, abîmé par les mauvais traitements, recroquevillé, le docteur Pelletan sent son cœur se serrer. L’instant d’après, il fend la dépouille d’un coup de scalpel, sans trop savoir ce qu’il cherche. Il est visible que l’enfant est décédé de tuberculose osseuse. « Tout de même, s’exclame le docteur Lassus à la fin de l’examen, pour un enfant royal, finir ainsi ! Quand je pense qu’autrefois, les reliques des rois étaient embaumées et finissaient dans des tombeaux en marbre et des vases en cristal ! »

Avant de réparer la poitrine de l’enfant, le docteur Pelletan profite de l’inattention de ses collègues. Rendre justice à l’innocent, empêcher que ce corps, autrefois sacré, disparaisse dans une fosse commune. En un instant, il s’empare de son cœur, l’enveloppe d’un linge et le glisse dans sa poche. Un geste de déférence. Pire, un geste de soumission, peut-être même de servitude, qui peut lui coûter la vie. Revenu chez lui, il plonge la relique dans un vase rempli d’alcool. Dans quelque temps, une fois le liquide évaporé, le petit cœur deviendra une sorte de caillou sec et dur que le docteur glissera dans son tiroir comme un talisman.

Vingt ans plus tard, les Bourbons sont de retour sur le trône. Le docteur Pelletan n’a de cesse de vouloir restituer le cœur à sa famille. Mais les rumeurs vont bon train au sujet de Louis XVII. Son corps a disparu et cette période troublée alimente les fantasmes : aurait-il pu s’évader ? L’un de ces aventuriers prétendant être Louis XVII n’est-il pas l’enfant du Temple ? Inquiets, les rois Louis XVIII et Charles X se méfient de tout ce qui a un lien avec leur défunt neveu et refusent de rencontrer le docteur.

Dépossédé de sa chaire par son élève, l’habile Dupuytren, Philippe-Jean Pelletan est, à la fin de sa vie, l’objet de calomnies et d’intrigues. Quelques jours avant son décès, il confie le cœur à l’archevêque de Paris. Il meurt en 1829, presque aussi pauvre qu’il l’était lors de ses études : il ne touche alors que sa pension de membre titulaire de l’Institut de France, « cette providence des gens imprévoyants ».

Les mystères de l'histoire : Louis XVII, l'évadé du Temple

Pour les « survivantistes » et autres « évasionnistes », ce corps ne saurait être celui de Louis XVII, mais celui d’un autre enfant qui lui aurait été substitué pendant ces mois d’enfermement. À l’appui de leurs thèses, qui toujours partent de la conclusion souhaitée – que l’enfant royal ait échappé à ses bourreaux –, aucune preuve mais des indices fragiles : on n’a pas fait venir sa sœur pour identifier le cadavre, ou pas davantage fait appel aux médecins qui avaient soigné l’enfant quand il était encore avec sa famille. Mais plus d’une dizaine de personnes, dont la totalité des officiers de garde, reconnurent le corps. Et même durant sa période d’“enfermement”, l’enfant vit défiler plusieurs centaines de commissaires chargés de « constater l’existence » du petit prisonnier, dont plusieurs avaient vu le Dauphin aux Tuileries.

De fait, les thèses survivantistes, comme le notait Maurice Garçon dans son livre Louis XVII ou la Fausse Énigme, ne reposent que sur des hypothèses nourries par un climat de suspicion : « Le silence fait autour du prisonnier par le gouvernement était suspect ; la rapidité du dénouement, qu’aucune information préalable n’avait pu faire prévoir, surprit comme un événement dissimulant quelque fraude. […] De bonne foi, il n’y avait pas un seul document permettant de soutenir que le Dauphin fût mort de - puis longtemps, ou évadé, lorsqu’on annonça son décès. On ne savait rien, mais on subissait une impression. […] Sans pouvoir dire comment ni pourquoi, dès 1795, on avait un peu, dans tous les milieux, commencé à répandre l’opinion qu’il existait un mystère du Temple. » Suspicion nourrie, à partir de 1800, par le succès du Cimetière de la Madeleine, un roman “évasionniste” à sensation écrit par un certain Jean-Joseph Regnault-Warin.

Les fouilles du cimetière Sainte-Marguerite, entreprises à la Restauration, furent rapidement interrompues, devant l’impossibilité manifeste d’identifier avec certitude les restes du Dauphin ? C’est qu’on cherchait à dissimuler quelque chose. Louis XVII, évadé, tardait à se faire connaître ? C’est que les persécutions de l’usurpateur Louis XVIII l’en empêchaient…

Chose embarrassante pour les « évasionnistes », mis à part quelques escrocs manifestes, nul ne s’est jamais vanté publiquement d’avoir fait échapper l’enfant-roi du Temple, ou de l’avoir recueilli. De nombreux faux Louis XVII se réclameront de Frotté, ignorant que celui-ci laissait derrière lui une correspondance où il dit explicitement avoir échoué à faire évader Louis XVII.

Une kyrielle de faux dauphins

Dès 1795, année de la mort de Louis XVII, des rumeurs font courir le bruit que le dauphin, remplacé dans sa geôle, aurait été libéré du Temple. Ce mythe de la survie du jeune prisonnier se développe tout au long de la première moitié du XIXe siècle. Il est favorisé par la restauration de la monarchie en France, par le goût romantique pour les histoires de conspiration ainsi que par les conditions d'isolement total imposées au dauphin. De quoi semer le doute sur l'identité du petit prisonnier, atteint de la scrofule par manque d'hygiène, vivant accroupi, à demi muet, la tête rasée et pratiquement méconnaissable. De nombreux faux dauphins, suffisamment crédibles pour réunir autour d'eux une cour d'adeptes, vont hanter la France. Le plus célèbre de tous, Naundorff, horloger berlinois dont les descendants gardent aujourd’hui encore de maigres partisans, y alla lui aussi de son roman à la Da Vinci Code. Une femme de chambre l'avait formellement reconnu comme étant le petit Louis-Charles Capet dont elle s'était occupée à Versailles. Le roi des Pays-Bas ayant proclamé Naundorff seul et vrai Louis XVII, ses descendants actuels sont toujours autorisés à utiliser le nom de Bourbon. Il finit par faire le prophète, et par fonder une nouvelle religion, l’Église catholique évangélique… En 1998, des tests ADN confirmeront, si besoin était, l’absence de parenté entre lui et Marie-Antoinette. Trois autres faux dauphins se détachent, non pour être plus crédibles que les autres, mais pour avoir rassemblé autour d’eux un nombre non négligeable de partisans, malgré l’invraisemblance de leurs récits. Hervagault, Mathurin Bruneau, le “baron de Richemont” se discréditèrent par des récits rocambolesques de leurs mésaventures. Quant à leur “évasion”, elle est impossible à réfuter autrement que par l’invraisemblance : ne sont jamais fournis la moindre indication de date ou les noms des complices…

Et si c'était le fils de Madame Poitrine ?

Derrière tous ces prétendants, on trouve une ribambelle de pistes, sans l'approche d'une preuve, qui évoquent des points de chute potentiels pour le petit roi évadé. Il y a la piste "auvergnate", avec le Velay, où plusieurs familles sont persuadées d'être les rejetons du dauphin. Une autre, tout aussi fantaisiste, évoque une survie de Louis XVII dans une ferme de Saulx-les-Chartreux, dans l'Essonne, et même à Saint-Domingue.

De toutes ces pistes, une histoire méconnue du public a intrigué Didier Audinot, spécialiste des énigmes : celle de deux lettres signées Louis-Charles, datées du 27 mars 1867 et dont l'auteur, âgé de 87 ans, prétendait être le véritable Louis XVII. L'une avait été envoyée au directeur du journal Le Figaro, la seconde au Grand Journal, une gazette qui avait publié une étude sur les usurpateurs. La première, acquise en 1972 par un collectionneur, faisait suite à un article sur le décès du comte de Ligny-Luxembourg, l'un des prétendus dauphins recensés. L'auteur avance que le comte de Ligny-Luxembourg n'est autre que le frère de lait du premier dauphin, décédé en 1789. Louis avait, en effet, une nourrice, Madame Poitrine, qui alimentait d'autres enfants en sevrage. Si on s'en tient à cette hypothèse, l'un de ses fils aurait été éduqué à la manière de Louis XVII pour, à un moment donné, prendre sa place, pendant ou après l'enfermement dans le Temple. Par la suite, cette doublure aurait abusé des connaissances acquises et serait devenue l'un des faux prétendants, en l'occurrence le comte de Ligny-Luxembourg. L'auteur mystérieux de ces deux missives se présentait comme un pauvre vieillard, oublié du monde. Il est clair qu'il ne supportait pas la concurrence, imposée par une bonne quarantaine de faux dauphins !

Les enveloppes qui auraient permis d'en identifier la provenance ont été perdues. Quant à l'envoi imminent de ses Mémoires, accompagnés prétendument de pièces authentiques, on l'attend toujours. Seule la lettre autographe, celle du Figaro, fut soumise à une expertise graphologique. On la compara aux devoirs effectués par le dauphin au début de sa détention. Et curieusement, les deux écritures semblaient se confondre, tant par l'orthographe que par la forme des lettres et la manière dont elles ont été rédigées. Le vrai Louis XVII a-t-il fini sa vie obscure, sous les cocotiers, à la veille... de la désastreuse guerre de 1870 ? Après plus de deux cents ans, la disparition de Louis XVII fait toujours fantasmer. Chaque année, un livre est publié sur le sujet et un prétendant au trône de France se manifeste. Souvent des personnes de naissance inconnue ou nées sous X.

Tous ces prétendants ayant sombré dans le ridicule, il faudrait donc admettre, si Louis XVII était sorti du Temple, qu’il soit mort avant d’avoir pu se faire connaître, et qu’il en aille de même de ceux qui l’avaient fait échapper.

L'enfant du cimetière Sainte-Marguerite

Le 10 juin 1795, à 21 heures, un cortège d'une trentaine d'âmes quitte la prison du Temple en direction du cimetière Sainte-Marguerite, affecté aux inhumations des guillotinés. Dans le cercueil de bois blanc se trouve l'enfant mort deux jours plus tôt. D'après le témoignage du fossoyeur, Pierre Bertrancourt, surnommé Valentin, qui a procédé à l'enterrement, le corps du gamin a été jeté dans une fosse commune, avant d'en être exhumé, pour être réinhumé dans un cercueil de plomb, contre le mur de fondation de l'église.

En 1846 et 1894, des exhumations eurent bien lieu, mais les ossements retrouvés dans la bière étaient ceux d'un enfant de 15 à 18 ans, alors que le dauphin n'avait que 10 ans lorsqu'il est mort. En 1979, une troisième exhumation a eu lieu sans apporter d'élément nouveau quant à l'identité de ce corps. Mais les hypothèses continuent de fleurir : le corps du dauphin aurait été subtilisé et remplacé par celui d'un autre. Et puis, a-t-on cherché au bon endroit ? Au moins quatre témoins se contredisent sur le lieu d'inhumation. Dans ce cas, le corps du dauphin repose toujours quelque part dans l'enceinte du cimetière.

L'énigme de Louis XVII résolue par l'ADN

Le comte de Paris, chef de file des orléanistes, s'était doublement opposé à l'expertise ADN diligentée par les bourboniens, au nom de l'éthique et de son inutilité : selon lui, le cœur n'était pas celui de Louis XVII. Mais c'est surtout un coup dur pour la centaine de vrais-faux dauphins qui s'étaient revendiqués tout au long du XIXe siècle comme étant « l'enfant du Temple », en surfant sur le mythe de l'évasion.

On pensait en avoir fini avec le mystère de l'évadé du Temple et du petit roi caché, définitivement résolu, en 2000, par les travaux de Philippe Delorme. Après avoir contacté la noblesse française, l'historien avait cette année-là publié une enquête historique et scientifique, basée sur une étude d'ADN du cœur de l'enfant mort au Temple et autopsié par le docteur Pelletan. Un médecin qui avait soustrait le petit cœur sur la dépouille qui lui avait été présentée comme celle de Louis-Charles, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, puis qui l'avait roulé dans du son, avant de le placer dans son mouchoir. En comparant l'ADN de l'organe desséché à celui des descendants de la reine, les analyses génétiques, réalisées par les laboratoires de Louvain et de Muenster, établirent que ce cœur était celui d'un enfant apparenté à Marie-Antoinette, en lignée féminine. Dès lors, on pensa la troublante énigme enfin résolue. Et on en déduisit que le cœur conservé à Saint-Denis était bien celui de Louis XVII. C'était sans compter sur la hargne des tenants de l'exfiltration et de la survie de Louis XVII, qui, un temps anéanti par les révélations de Delorme, allèrent faire renaître l'énigme de ses cendres, à grand renfort d'arguments.

Un palpitant au parcours rocambolesque

Qu'est-ce qui prouve, en effet, que le cœur étudié est bien celui de Louis XVII ? Bien qu'il soit identique pour tous les individus d'une même lignée maternelle, un code génétique mitochondrial n'est pas unique. Dans des cas exceptionnels, des personnes peuvent avoir le même profil ADN mitochondrial (transmis par la mère) sans avoir le moindre degré de parenté. Ce cœur peut donc être aussi bien celui de Louis XVII que celui d'un Habsbourg ou d'un parfait inconnu.

Surtout, le parcours rocambolesque de ce petit palpitant, un temps conservé dans un bocal d'alcool, volé par un étudiant en médecine, puis restitué, il est proposé à Louis XVIII, frère de Louis XVI, qui n'en veut pas : il craint pour sa propre légitimité. Confié à l'archevêque de Paris, le cœur est légèrement secoué lors d'un pillage en 1830 : le fils du docteur Pelletan rapplique dare-dare pour récupérer le bocal, mais un garde national veille au grain et le brise d'un coup de sabre. Le fils Pelletan revient pendant une nuit d'orage et retrouve l'organe sous un tas de sable. Il le remet aux Bourbons espagnols, qui le rétrocèdent en 1975 au duc de Beauffremont, chef de file des légitimistes français.

Comment attester sérieusement que ce précieux viscère, qui a été volé, perdu, retrouvé sur du sable, est celui de l'enfant du Temple ? Louis-Charles a eu un frère aîné, Louis-Joseph, décédé en juin 1789, à huit ans, d'une tuberculose et dont le cœur a, lui aussi, été conservé. De là à imaginer une inversion, il n'y a qu'un pas. Et c'est dans cette brèche que se sont engouffrés les « survivantistes », pour qui la mort au Temple est une trop mauvaise fin pour une histoire aussi passionnante.

Le cœur du premier dauphin, profané en 1793

Pour Laure de la Chapelle, présidente du Cercle d'études historiques pour la question Louis XVII (CEHQ) et juriste de formation, le cœur analysé en 2000 ne peut être que celui de Louis-Joseph. Philippe Delorme réfute cette thèse, après l'avoir un temps envisagé. À chaque étape de son périple, depuis la tour du Temple jusqu'à la crypte de Saint-Denis, la relique a fait l'objet de procès-verbaux officiels, de certificats d'authenticité, de déclarations sur l'honneur et d'actes notariés. Pour que l'échange ait été possible, il aurait fallu que le cœur du frère aîné de Louis XVII ait été disponible. Or, celui-ci a été profané par les révolutionnaires en 1793 avec les autres cœurs royaux du Val-de-Grâce. Il réapparaît en 1817, entre les mains du maire du 12e arrondissement (l'actuel 5e), qui le remet à son légitime destinataire, Louis XVIII. Le roi entend réunir les deux cœurs, en vue de les transporter à Saint-Denis. Celui de Louis-Charles échoue à l'archevêché de Paris, avant d'être remis aux Bourbons espagnols. Celui de Louis-Joseph disparaît sans laisser d'adresse. Aucun document historique ne prouve que les deux cœurs se sont retrouvés côte à côte, et qu'il peut donc y avoir eu substitution. Quel intérêt Pelletan ou ses héritiers auraient-ils eu à agir ainsi ? Le cœur qui a été analysé dans les deux laboratoires n'a pas été embaumé, contrairement aux usages royaux. Pelletan s'est contenté de le placer dans un bocal rempli d'eau et d'alcool, comme une vulgaire curiosité anatomique. Or, celui de Louis-Joseph, comme tous les cœurs princiers conservés au Val-de-Grâce, a probablement été embaumé comme le voulait la tradition.

L'énigme de Louis XVII relancée par l'ADN

Grâce à l'ADN, l'un des plus grands mystères de l'Histoire, l'un des plus polémiques aussi, est peut-être en train de s'éclaircir. Le mythe de Karl-Wilhelm Naundorff, mort en Hollande en 1845, qui prétendait être Louis XVII, le fils de Marie-Antoinette et de Louis XVI emprisonné à l'âge de 7 ans au Temple et décédé officiellement en 1795, est relancé par une nouvelle révélation.

Alors que des études ADN commandées par les Bourbons il y a une quinzaine d'années - pour en finir avec ce fantasme historique et cet « imposteur » - avaient « définitivement » attesté que Naundorff n'était pas Louis XVII, de nouvelles analyses démontreraient que son descendant direct est bien un Bourbon.

Cette découverte inédite revient au Pr Gérard Lucotte, généticien et anthropologue, et à l'historien Bruno Roy-Henry, à l'initiative de cette enquête dans les profondeurs moléculaires. C'est le descendant mâle de la branche aînée de Naundorff, un libraire de 40 ans vivant en France, qui a soumis ses gènes au microscope du Pr Lucotte. Il s'agit d'Hugues de Bourbon - la lignée des Naundorff porte le nom des Bourbons par « une courtoisie de la cour de Hollande », explique un historien, légalisée par plusieurs jugements de la justice française mais toujours très contestée par les Bourbons. Il est le fils de Charles Louis Edmond de Bourbon, descendant très médiatique de Naundorff, décédé en 2008, que beaucoup de gens appelaient « Monseigneur » en soulignant sa ressemblance criante avec Henri IV.

Les prélèvements sur le jeune Hugues ont eu lieu à La Rochelle, il y a deux ans. L'étude a porté sur les marqueurs du chromosome Y (spécifique de la lignée mas­culine). Au contraire de la précédente, il y a 15 ans, qui portait sur l'ADN mitochondrial (spécifique de la lignée féminine), prélevé sur Anne de Roumanie, descendante de Marie-Antoinette par la branche Habsbourg, et avait été comparé à l'ADN contenu dans un os de Naundorff. Ces ­recherches, conduites par le Pr Cassiman, avaient alors exclu toute parenté maternelle Habsbourg. Cette fois, l'analyse du chromosome Y du descendant Naundorff a été comparée avec l'haplotype des Bourbons grâce à « un profil du chromosome Y » de la maison royale établi en octobre dernier par le Pr Cassiman. Résultat : « On retrouve chez lui l'essentiel des marqueurs du chromosome Y des Bourbons, il fait partie de la famille », conclut le Pr Lucotte. Publiés dans la revue scientifique International Journal of Sciences, ces résultats seront présentés samedi par le généticien devant le Cercle d'études Louis XVII.

Outre la vérité historique, les enjeux et passions sont de taille, compte tenu des intérêts patrimoniaux et de la prétention symbolique au trône de France. Selon son entourage, Hugues n'aurait toutefois « pas du tout les revendications » de son défunt père qui prétendait au trône de France en cas de retour de la monarchie.

Que le jeune Naundorff soit un Bourbon n'établit pas pour autant que « l'enfant du Temple » a survécu et qu'il est le fruit de sa descendance. Enfin pas encore. Cette découverte de Lucotte et Roy-Henry n'est que la première étape d'une série de travaux à venir. Pour savoir si Naundorff était bien Louis XVII, il faudrait établir son ADN complet. Or, il y a quatre mois, des cheveux de Naundorff ont été ré­cupérés par des scientifiques. Qui chercheront à prouver que l'ADN mitochondrial Habsbourg - démenti il y a quinze ans - est bel et bien dans ses cheveux. Ces scientifiques remettent en cause la qualité et l'authenticité des prélèvements d'os sur Naundorff, lors de ces tests anciens, car le cercueil avait été ouvert en 1950 lors de la restauration du tombeau.


Conception Image Laurent SAILLY / Louis-Charles de France, Par Alexandre Kucharski — http://musee.louis.xvii.online.fr/kucharsky.htm, Domaine public. Louis-Charles en 1790, Par attribué à Élisabeth Vigée Le Brun — Photo Lauros-Giraudon, http://www.crc-internet.org/HIR04/June22_2.htm, Domaine public.Louis XVI s'occupant de l'éducation de son fils dans la Tour du Temple, Anonyme, (Musée de la Révolution française) Par Anonyme — musée de la Révolution française, CC BY-SA 4.0. Acte de décès de Louis XVII à l'état civil de Paris en date du 12 juin 1795 Par Etat civil de Paris — Archives nationales, Domaine public. Par Inconnu  — Procédure complète de Mathurin Bruneau, se disant Charles de Navarre et fils de Louis XVI, Lille, Bohem-Vacquet, s.d. (1818)., Domaine public. Par Inconnu — Alphonse B[eauchamp], Le Faux dauphin actuellement en France, Paris, Lerouge, 1803, Domaine public. Par Maurin — J. V. Claravali del Curso, Vie de Mgr le duc de Normandie, Paris/Lyon, 1850., Domaine public. Par Inconnu — Gabriel Bourbon-Leblanc, Le véritable duc de Normandie, Paris, mars 1836., Domaine public. Par Inconnu — Ludwig XVII. noch am Leben !, Dessau, 1853., Domaine public.