13 mai 1648 : Louis XIV, un enfant traumatisé par la Fronde (1/2)

Episode 1 – La Fronde Parlementaire et l’arrêt d’union du 13 mai 1648


Il est très difficile de délimiter avec précision les bornes chronologiques de la Fronde. Les historiens ont des avis divergents sur la question. Il est courant toutefois de proposer comme point de départ la date du 15 juin 1648 qui est marquée par la déclaration des vingt-sept articles à la suite de l'arrêt d'Union du 13 mai. Cette déclaration faite au Parlement de Paris énonce la limitation des pouvoirs du souverain. La soumission de la ville de Bordeaux, le 3 août 1653, est l'événement qui clôt les troubles de la Fronde.

« Dès l’enfance même, le seul nom des rois fainéants et de maires du palais me faisait peine quand on le prononçait en ma présence. Mais il faut se représenter l’état des choses : des agitations terribles par tout le royaume avant et après ma majorité [NDLR : 7 septembre 1651] ; une guerre étrangère, où ces troubles domestiques avaient fait perdre à la France mille et mille avantages ; un prince de mon sang et d’un très grand nom à la tête des ennemis ; beaucoup de cabales dans l’Etat ; les parlements encore en possession et en goût d’une autorité usurpée ; dans ma cour, très peu de fidélité sans intérêt, et par là mes sujets en apparence les pus soumis, autant à charge et autant à redouter pour moi que les plus rebelles. » 

Louis XIV, Mémoires, à l’intention de son fils.
In « Louis XIV » de François Bluche, Fayard (note 63).

Quand éclate la Fronde, Louis XIV est un enfant de 10 ans. Son père, Louis XIII, est mort depuis cinq ans. La Reine, Anne d’Autriche, sa mère, est régente.

    

« [Jusqu’à la fin de 1647], il semblait que l’esprit du cardinal de Richelieu [NDLR : mort en 1642], qui avait gouverné les choses avec tant d’autorité ; eût continué tant pour les affaires de la guerre que pour le dedans de la cour. Mais, en l’année 1648, il n’en fut pas de même ; nous y verrons des changements et révolutions si grandes que quiconque aura su comme les cinq dernières années de la régence de la Reine ont passé, ne pourra qu’avec un étonnement bien grand voir un changement si prompt et une confusion et dérèglement qui ont duré jusques à la fin de 1652. » 

Maréchal d’Estrées, Mémoires
In « Louis XIV » de François Bluche, Fayard (note 34). 

La simple continuité des ministères de Richelieu et de Mazarin suffirait à expliquer la Fronde (François Bluche). 


« Il [Richelieu] n’est pas mort ; il n’a que changé d’âge,
Ce cardinal [Mazarin], dont chacun en enrage. »
Ronde satirique, Richelieu Réincarné
In « Louis XIV » de François Bluche, Fayard (note 157).

Certes, les paysans souffrent du nouveau régime fiscal, mais c’est Paris qui déclenchera la Fronde. Comme toutes les grandes villes, il y a des pauvres dans Paris, mais se seront les bourgeois qui se révolteront. Les marchands montent les barricades, mais la Fronde sera animée par les plus grands princes du royaume.

Mais une fois déclenchée, la Fronde touchera tout le pays (Paris et Provinces), toutes les classes sociales (paysans, artisans, bourgeois, seigneurs), tous les ordres (noblesse, clergé, tiers état), toutes les institutions (états généraux, parlements).


Il est possible de distinguer trois facteurs d'explication :
Au niveau fiscal (une pression croissante de la fiscalité royale),
Au niveau social (une remise en cause des privilèges des parlementaires parisiens,
Au niveau politique (le pouvoir royal entend gouverner seul dans le cadre d'une monarchie absolue, qui amènerait un renforcement monarchique).

La guerre d’Espagne, dont l’objectif est de réduire l’influence de la maison des Habsbourg coûte chère. Les rentrées fiscales sont insuffisantes. Mazarin cherche à élargir l’assiette de l’impôt (édit du Toisé en 1644, taxe des Aisés et édit du tarif en 1646). L'opposition du Parlement obligea le ministre à revenir sur ces réformes ou à en réduire les effets. En janvier 1648, sept nouveaux édits fiscaux sont soumis à enregistrement auprès du Parlement de Paris. Le parlement proteste. En effet, les mesures touchent la plupart de ses membres qui, jusque-là, ne payaient pas ou peu d’impôts. Les Parisiens suivent et soutiennent les parlementaires. Le mécontentement se généralise.

En outre, les revenus des parlementaires sont atteints par la multiplication des offices. Si la création d’un nouvel office assure une recette pour l’état, elle fait baisser la valeur des offices déjà existants par l’augmentation de l’offre. De plus, en avril 1648, le pouvoir royal supprime pour quatre ans tous les gages des officiers parlementaires. C’en est trop pour les officier de robe de toutes les cours souverains (parlements, chambre des comptes, cour des aides et cour des monnaies) qui s’unissent pour défendre leurs privilèges.

Le développement de la monarchie absolue signifie concrètement que la direction du pouvoir est entre les mains du roi seul, sans l’assistance de corps constitués tels que les états généraux. Au cours du XVIIe siècle, le roi s’est peu à peu passé de telles assemblées. Lors de la minorité de Louis XIV, la noblesse mais aussi les élites de robe n’acceptent pas l’idée que le pouvoir réside entre les mains du cardinal Mazarin, jugé trop puissant. Le peuple parisien exprime son aversion à l'égard du cardinal dans des mazarinades. L’opposition se déplace ainsi sur le terrain politique. Le Parlement ambitionne de participer au gouvernement du royaume alors qu'il n'est à l'origine qu'une institution judiciaire. Certains princes du sang font également valoir leurs prétentions quant à la direction des affaires.

« Les circonstances de 1648 semblent préfigurer celles de 1788. Car enfin, si la nation est invitée aux sacrifices, pour renflouer les caisses de l’Etat, pourquoi seraient-ce les humbles les plus frappés ? (…)
Et cependant les magistrats de Paris, tirant prétexte de la « persécution » fiscale qui les atteint, vont élever le débat jusqu’à créer l’ébauche d’une assemblée constituante ! Le 13 mai, les quatre cours souveraines de la capitale votent un arrêt d’union : leurs députés siégeront en commun dans une assemblée novatrice, baptisée chambre de Saint-Louis. Tout de suite Anne d’Autriche mesurera l’incongruité et le danger de cette initiative, dépeignant la dite chambre comme une « espèce de république dans la monarchie ». Sans doute plus en colère que Mazarin, elle fait casser l’arrêt d’union [NDLR : par le conseil d'État le 7 juin 1648] et interdire la tenue de la chambre annoncée. Mais cette dernière se réunit tout de même, approuvée par le Parlement. »
In « Louis XIV » de François Bluche, p.63-64, Fayard.

Le 27 juin, Mathieu Molé, le premier président du parlement de Paris, prononce un discours à la reine que le cardinal de Retz résume dans ses Mémoires :

« Le premier président parla avec la plus grande force. Il exagéra la nécessité de ne point ébranler ce milieu entre les peuples et les rois. Il justifia, par des exemples illustres et fameux, la possession où les compagnies avaient été, depuis si longtemps, de s'unir et de s'assembler. Il se plaignit hautement de la cassation de l'arrêt d'union, et conclut, par une instance très ferme et très vigoureuse, à ce que les arrêts du conseil fussent supprimés. »

Cardinal de Retz, Mémoires, Éd. M. Perrot, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique »

« Alors Mazarin réimpose sa volonté, et la Régente acceptera, à contrecœur, deux mois de concessions (en attendant que les succès extérieurs poussent la Reine et son ministre à restaurer leur autorité bafouée). La chambre Saint-Louis, réunit du 30 juin au 9 juillet, élabore une manière de charte en 27 articles. »

In « Louis XIV » de François Bluche, p.63-64, Fayard.

Ce texte de vingt-sept articles qui propose :
1/ de donner à la chambre Saint-Louis un droit de veto sur la création des impôts royaux et sur celle des offices ;
2/ de supprimer les intendants ;
3/ d'abolir les juridictions d'exception et les lettres de cachet ;
4/ de réduire de 25 % la taille ;
5/ de limiter la création des offices en exigeant au préalable leurs enregistrements par les Cours souveraines.

En fait il s'agit de freiner la tendance absolutiste de la monarchie, en mettant des barrières au pouvoir absolu du roi en matière financière.

Particelli d'Émery est renvoyé le 9 juillet. Le nouveau surintendant des finances est le duc de La Meilleraye. Entretemps, l'État se déclarait en banqueroute, annulant tous les prêts, traités et avances consentis pour l'année et les suivantes. Par l’édit du 18 juillet et la déclaration royale du 31 juillet, la chambre de Saint-Louis obtient gain de cause sur presque tous les points (sauf sur l'abolition des lettres de cachet).

« Cette Fronde, le jeune Roi l’a vécue journellement, douloureusement (…)

(…) [Ni] la victoire de Lens (20 août 1648) ni le glorieux traité de Munster (24 octobre) n’empêchent, bien au contraire, les magistrats des cours souveraines, les grands de la cour, et M. de Gondi coadjuteur de Paris, de se soulever contre la Reine, sous prétexte de défendre face à Mazarin les intérêts du Roi et un royaume. (…) [Or s]’attaquer aux pouvoirs de la Reine, c’est presque attenter aux droits du Roi.

(…) Louis XIV n’a aucune raison de se désolidariser de sa mère ou de son parrain (même si sa vie quotidienne est troublée, s’il change sans cesse de résidence, s’il couche dans des draps sales et troués).

(…)

Le 26 août 1648, (…) la Reine mère fait arrêter le président Potier de Blancmesnil et le conseiller Broussel, les mauvaises têtes du Parlement. Il en résulte à Paris douze cent soixante barricades. (…) Broussel libéré, les barricades disparaissent, mais la cour quitte la capitale le 13 septembre, sous prétexte de ménager la santé du Roi. »

In « Louis XIV » de François Bluche, p.65-66, Fayard.

Par l'intermédiaire de Condé et celui de Gaston d'Orléans, la Cour et le Parlement tentent de trouver une issue à la crise lors de conférences tenues à Saint-Germain, du 25 septembre au 4 octobre 1648, où la Cour s'est repliée. Anne d'Autriche et Mazarin se résignent temporairement à accepter les exigences parlementaires : le 22 octobre, la monarchie accepte les articles de la Chambre Saint-Louis, ramenés à une quinzaine, par une déclaration royale confirmant celle de juillet. Le 30 octobre, la Cour rentre à Paris.

Le même jour, une paix est signée avec l'Empereur Ferdinand III (1608-1657) mais passe complètement inaperçue (traités de Westphalie) ; la France sort de la guerre de Trente Ans mais reste en conflit avec l'Espagne. Pendant l'automne, le Parlement ne cesse d'adresser des protestations contre les infractions faites à la déclaration royale. Mazarin projette de s'éloigner de Paris et de réduire la capitale par la famine.

« Profitant de la fête des Rois, [la Reine] emmène son fils, la nuit du 5 au 6 janvier 1649. (…) Trois jours plus tard le Parlement (…) déclare le Cardinal « perturbateur du repos public » (…) ».
In « Louis XIV » de François Bluche, p.67, Fayard.

Mazarin fait appel aux 4 000 mercenaires allemands de l'armée de Condé qui, au demeurant, reçoit le commandement des troupes royales afin de conduire le siège de Paris. Il dispose au total de 8 à 10 000 hommes. Le 8 février il s’empare de Charenton. Du 12 au 28 ses troupes resserrent leur pression sur Paris. Condé, vainqueur de Rocroi et de Lens, hait par Paris, dont l’orgueil est insupportable pour la Cour, est alors devenu irremplaçable.

Dans ces conditions (les alentours de Paris ravagés, Turenne neutralisé), les frondeurs parlementaires se divisent en légalistes (le premier président du Parlement Mathieu Molé et le président Henri de Mesmes) et en ultras (le président Viole et le président Charton). Le temps de la négociation est venu. Fin février, les magistrats s'émeuvent des accointances de certains princes, dont le duc de Bouillon, avec les Espagnols et ne souhaitent pas se faire déborder par l'agitation populaire. La fermeté de la Régente est ébranlée par l'exécution le 30 janvier 1649 du roi d'Angleterre Charles décidée par le Parlement anglais. Un compromis est signé le 11 mars 1649 (paix de Rueil), suivi de la paix de Saint-Germain (1er avril 1649). L'invasion de la Picardie par les Espagnols, qui va être arrêtée à Guise par le maréchal Du Plessis-Praslin épaulé par les mercenaires d'Erlach, amène Mazarin à modérer ses exigences et intégrer les princes dans la négociation entre les deux conférences. Tous les fauteurs de troubles sont pardonnés, y compris Turenne.

« Le 18 août Louis XIV, merveilleusement acclamé, faut sa rentrée dans la capitale. Il peut aussitôt mesurer l’inconsistance du peuple et sa versatilité : Mazarin ne récolte pas la moindre huée. « (…) La Reine dit le soir, en soupant au palais Cardinal, qu’elle n’eût jamais cru que le peuple de Paris eût tant aimé le Roi… Dès le lendemain jeudi, 19 août, tous les ordres et les compagnies de la ville furent saluer et complimenter la Reine de son retour, et d’avoir ramené le Roi à Paris. »


In « Louis XIV » de François Bluche, p.69, Fayard (note 84).

Mais les pamphlets hostiles à Mazarin circulent toujours à Paris. Les provinces s’agitent et les villes de Bordeaux et d'Aix se soulèvent chacune contre leur gouverneur respectif.

Quant à la situation parisienne, tout se joue en coulisse. En effet, le prince de Condé entend tirer quelques bénéfices de l'appui qu'il a accordé à Mazarin et souhaite prendre part au gouvernement. Mazarin se rapproche des anciens frondeurs et joue de la rivalité entre la maison de Condé et la branche illégitime des Vendôme.

Les relations entre Condé et Mazarin sont de plus en plus tendues. Ces jeux de clientèles renversent les alliances : en janvier 1650, par l'entremise de la duchesse de Chevreuse, quelques-uns des chefs de la vieille fronde (Gondi, Beaufort, le marquis de Châteauneuf) se rallient secrètement au pouvoir royal contre le prince de Condé et sa famille dans laquelle la duchesse de Longueville joue le rôle de tête politique.

A la Fronde des parlementaires va suivre celle des Princes …