1er mai 1245 : Le second trésor de Saint Louis
« Long
de quinze années, le règne de Philippe III le Hardi a été négligé par les
historiens. Probablement son père, Louis IX (Saint Louis), et son fils,
Philippe le Bel, lui font-ils tous deux de l'ombre par-delà les siècles... En
outre, la personnalité effacée, évanescente d'un roi sachant à peine lire,
capable des plus surprenants enfantillages, mais féru de violence et d'exploits
militaires donna par la force des choses le pouvoir à son entourage familial et
à ses conseillers. Sans les solides réformes administratives et fiscales faites
sous Louis IX, la monarchie française aurait pu connaître entre 1270 et 1285
une mutation semblable à celle que la Couronne anglaise avait subie quelques
décennies plus tôt : le régime des grandes assemblées mêlant l'aristocratie,
les princes territoriaux, les techniciens du droit et de la fiscalité, les
évêques et les grands abbés. Ponctué d'expéditions guerrières calamiteuses - y
compris la dernière où il laissa la vie - et de secousses politiques comme
l'exécution du favori Pierre de Brosse, ce court règne aux péripéties parfois
shakespeariennes est passionnant à suivre, car on y voit l'Histoire hésiter :
le renforcement du pouvoir central va-t-il s'arrêter là, l'édifice capétien
est-il sur le point de se défaire, ou bien les institutions vont-elles se
montrer plus fortes que les individus ? Bien sûr - nous connaissons la suite -,
ces quinze années de flottement seront oubliées, mais elles auront enrichi
l'expérience politique de la dynastie.
Au
terme de plusieurs années d’attente, Marguerite de Provence, qui avait épousé
Louis IX en 1234 (…) après deux filles (…) accoucha en 1244 d’un garçon qui,
selon l’expression du temps, constitua le trésor du royaume. Cette naissance
rassura le roi sur l’avenir de sa lignée. (…)
La
reine Marguerite de Provence allait bientôt donner au royaume et à son époux un
second trésir en la personne du prince Philippe, qui naquit le 1er
mai 1245. Bin que le premier biographe de ce roi hésite entre le 30 avril et le
1er mai (…). Cette naissance assurera en fait la continuité
dynastique, car Louis, le fils aîné, mourut en 1260. (…)
Les
archives ne donnent guère de renseignements sur l’enfance de Philippe. (…)
[Saint
Louis] avait (…) groupé autour de lui et de sa jeune épouse devenue mère de jeunes
gens capables, ambitieux, comme Pierre de Brosse et son frère Guillaume (…). Le
roi admirait particulièrement Pierre de Brosse, peut-être introduit dans l’hôtel
royal à titre de barbier ; celui-ci, de naissance assez médiocre, était
issu tout au plus de cette petite noblesse tourangelle souvent pauvre, dont l’espoir
quasi unique de promotion était le service du roi et une fidélité totale. Cette
attitude convenait parfaitement à Pierre de Brosse qui, vivant dans l’entourage
royal, eut fréquemment l’occasion de rencontrer Philippe dès sa petite enfance.
Quand Saint Louis se rendit compte de l’absolue nécessité de placer un homme
intellectuellement et politiquement doué auprès de son fils cadet appelé à lui
succéder sur le trône, il désigna Pierre de Brosse, à qui s’était attaché ce
petit prince si peu gâté par la nature.
(…)
Enfant
peu doué pour les études, adolescent épris de joutes physiques, jeune homme puis
adulte resté longtemps puéril, enclin à la passivité et peu apte à diriger, tel
apparaît bien Philippe aux divers stades de son existence. Quelles étaient les
causes de ces insuffisances qui ne furent pas simple médiocrité intellectuelle,
mais signes d’une faiblesse psychologique et mentale beaucoup plus lourde et
très précoce ? (…). [L’] affaiblissement (…) peut provenir d’une trop
forte contraction de la tête du nouveau-né au moment de l’enfantement. En
effet, Marguerite de Provence fut l’une des premières femmes du royaume à être délivrée
grâce à un ancêtre du forceps (…).
(…)
Quelle
attitude adopta le couple royal à l’égard de son fils infortuné ? Philippe
n’était certes pas aliéné, « perdu de sens », ni même perturbé à un
degré extrême, mais les sujets de préoccupation ne manquaient pas. Sur un
point, celui de son rapport à la violence, il est permis de la qualifier de
caractériel même si, vers la fin de son adolescence, sa soumission à sa mère et
à son père se fit profonde et ce à un point tel qu’on pouvait y déceler les
prémices d’une extrême passivité, ce qui ne dut guère rassurer Saint Louis ni son
épouse quand leur cadet devint l’héritier du royaume. Accompagnant son peu de goût
pour les études se repérèrent vite des difficultés de compréhension, d’assimilation
et, en fin de compte, une absence de résultats, signes non pas d’un total
désastre, mais suffisant pour inquiéter ses parents quant à son aptitude à
exercer personnellement le pouvoir et même à choisir les conseillers capables de
l’aider et de suppléer à ses déficiences. Sa vive inclination pour l’action ne
compensait pas un manque de culture qui allait de pair avec un penchant durable
pour les enfantillages.
A
cet enfant dont le retard psychologique et intellectuel leur causait de graves soucis
le roi et la reine voulurent cependant donner une éducation et une instruction
dignes d’un prince.
(…)
Grâce au bibliothécaire de Saint Louis, Vincent de Beauvais, nous connaissons
le nom d’un certain Simon, clerc enseignant chargé de l’instruction du prince
Philippe, mais nous ignorons quel était son rôle exact. (…)
(…)
La
préparation à l’art équestre et au métier de chevalier était certes fort
répandue dans la noblesse, mais elle revêtait une tonalité fort particulière
lorsqu’il s’agissait du futur roi. De jeunes fils de l’élite de la noblesse l’accompagnait
dans ce long et difficile parcours qui commençait au stade d’écuyer avec la
formation au rude combat à cheval et constituaient ensuite le noyau de ses
compagnons lorsqu’il partirait pour une campagne militaire ou pour la chasse.
Autre différence notable avec le cursus de la préparation d’un chevalier
ordinaire : on attribuait à l’héritier du trône comme maîtres d’équitation
et de combat les meilleurs cavaliers du temps et, surtout, les meilleurs stratèges,
qui lui enseignaient l’art de diriger des armées, des chevauchées et des
batailles. Le connétable Gilles le Brun, un chevalier du Hainaut impérial, stratège
réputé, contribua à y former Philippe.
(…)
Bien que sa marche vers la sainteté entreprise, depuis le retour de sa première
croisade en 1254, inclinât Louis IX à restreindre les dépenses somptuaires qu’il
jugeait inutiles pour le prestige royal, il ne lésina pas sur celle accompagnant
l’adoubement de son héritier, le 5 juin 1267, jour de la Pentecôte. (…)
Si
l’instruction du prince Philippe se soldat par de sérieux échecs, (…) son
apprentissage chevaleresque rencontra un franc succès en plusieurs de ses
aspects, notamment dans l’aptitude à la dépense, dans l’art de l’équitation et
dans le goût de la chasse où il montra beaucoup d’adresse. (…)
Quant
aux résultats de l’apprentissage du métier de roi, l’échec fut total. Saint
Louis avait cependant tenté l’impossible pour initier son fils à l’exercice
du pouvoir (…).
(…)
Dans
les premiers mois de 1270, Louis IX, qui se prépare à partir pour un second voyage
outre-mer, compose des « enseignements » destinés à son héritier, le
prince Philippe, et sa fille Isabelle, comtesse de Champagne et reine de
Navarre. (…) »
Texte
extrait de Philippe III le Hardi de Gérard Sivéry – Fayard , p.13 à 36 et
quatrième de couverture.
Célébration
du mariage de Louis et Marguerite. Le roi et la reine pratiquant
l'abstinence. Guillaume de Saint-Pathus, Vie et
miracles de saint Louis, 1330-1340, BNF, Fr.5716.Par
http://www.france-pittoresque.com/reines-france/img/marguerite-provence2.jpg,
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